On voit dans le premier clip de cette vidéo tournée au Pakistan à la sortie d’une école publique, les fillettes non-musulmanes être frappées pour non-port du voile.

La suite montre l’arrestation le 16 septembre 2022 d’une Iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, par la police des mœurs pour ne pas avoir porté correctement son hijab (foulard). En conséquence, des manifestations ont éclaté dans tout l’Iran. Ce clip est une compilation d’images de ces manifestations. On peut y voir des manifestants retirer leur foulard, se heurter aux autorités iraniennes, dégrader des affiches du Guide suprême iranien Ali Khamenei et du général Qasem Soleimani, commandant de la force Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique, qui a été tué. Les images ont été publiées sur Twitter les 16 et 18 septembre 2022 par le journaliste dissident iranien basé aux États-Unis Masih Alinejad, par l’analyste politique irako-kurde Shaho Al-Qaradaghi, par les journalistes iraniens Saman Rasoulpour et Farzad Seifikiran, et par d’autres utilisateurs iraniens de Twitter.

La mémoire est une vertu rare en politique. Vous vous souvenez peut-être de cette époque où, dans nombre de nos démocraties, on discutait à n’en plus finir du voile islamique. C’était il n’y a pas si longtemps. Fallait-il l’autoriser à l’école ? L’interdire aux fonctionnaires ? Le bannir dans les lieux publics ? Combien de commissions, de colloques, de forums, de tables rondes et de débats pour discuter jusqu’à plus soif de la substantifique moelle du voile ? Sociologues, philosophes, journalistes, politiques, féministes ou simples quidams y allèrent de leur opinion. Car, depuis une bonne dizaine d’années, le voile islamique n’a pas manqué de défenseurs. Le gouvernement canadien et la Commission européenne raffolent tout particulièrement des femmes voilées dans leurs publicités, histoire de démontrer leur « ouverture d’esprit ». Depuis 2013, chaque 1er février, se tient la Journée du hidjab. Les entreprises, gagnées au multiculturalisme, mettent en scène des jeunes filles parfaitement maquillées qui se pavanent avec des voiles aux couleurs chatoyantes. En 2016, la Fashion Week de New York organisa un défilé de mode avec des mannequins voilées. Vous ne vous en doutiez peut-être pas, mais le voile était cool. Il pouvait même être un objet de mode et d’émancipation !

C’est alors que survint Mahsa Amini.

Cette jeune femme de 22 ans est morte le 16 septembre dernier après avoir été battue à la suite de son arrestation par la police des mœurs iranienne. Sa faute : avoir laissé entrevoir une mèche de cheveux sous un voile mal ajusté. Il n’en fallait pas plus pour déclencher un des plus grands mouvements de révolte en Iran depuis la révolution islamique de l’ayatollah Khomeini en 1979. Partout, dans la rue comme sur les réseaux sociaux, des femmes courageuses brûlent leur voile et se coupent les cheveux. La répression sauvage qui s’abat sur elles a déjà fait près d’une centaine de victimes et elle en fera d’autres.

Il aura donc fallu ces morts pour nous ramener sur terre. Pour que tout redevienne limpide. Avec ce qui se passe en Iran, qui peut encore prétendre que le voile n’est pas politique ? Qui peut y voir le moindre symbole de liberté et non pas la bannière de l’obscurantisme le plus crasse ? Une manière d’enrôler les femmes dans leur propre effacement.

Nul ne remet en question le droit, en démocratie, de porter le voile dans les lieux publics. Là n’est pas la question. Mais cela ne devrait pas nous empêcher de nous interroger sur la signification de ce que le réformateur tunisien Habib Bourguiba qualifiait déjà dans les années 1960 de « misérable chiffon ».
On savait que le voile était un vêtement qui choquait profondément la civilité occidentale. Un vêtement qui créait un apartheid sexuel et religieux et qui heurtait nos mœurs pour lesquelles ne pas se dissimuler est la première forme d’ouverture à l’autre. Récemment, l’écrivain algérien Kamel Daoud, qui vit en Algérie sous une menace permanente, rappelait dans Le Point que « ce morceau d’étoffe est une prison et une condamnation à mourir une vie entière, un enterrement vertical, le renoncement acclamé à son propre corps ». Et il ajoutait que, depuis Mahsa Amini, on savait dorénavant que « le voile tue », qu’il est devenu « un féminicide ».
Allez donc expliquer à ces femmes qui risquent leur vie dans toutes les grandes villes d’Iran que le voile n’est qu’un vêtement comme les autres, une fantaisie vestimentaire, un caprice d’adolescente. Allez leur dire que ce voile ne porte pas à conséquence, qu’il peut même être un symbole d’émancipation décoloniale. Allez leur dire que s’opposer au port du voile relève de l’islamophobie, pour ne pas dire du racisme.

Non, le voile ne peut pas être à la fois une prison pour les femmes iraniennes et un simple caprice vestimentaire dans nos pays. Qu’on ait le droit de le porter ne modifie en rien la signification que lui a donnée l’Histoire, indépendamment des fantasmes de celles qui le portent.
Car la réalité est têtue. Depuis plus d’un demi-siècle, le génie de l’islamisme a été de récupérer ce vêtement coutumier souvent porté par les femmes âgées pour en faire un étendard politique. Depuis que, dans l’Égypte de Nasser, les Frères musulmans en ont fait le symbole de leur politique et que Khomeini l’a imposé par la loi, il est devenu rien de moins que la faucille et le marteau de l’islamisme.
Qu’on le porte par naïveté, ignorance ou provocation, comme c’est souvent le cas chez nous, n’y change rien. « Les islamistes savent tirer parti de notre éthique de la tolérance. Le voile est leur vitrine », dit l’ancienne rédactrice en chef du Nouvel Observateur Chantal de Rudder (Un voile sur le monde, Éditions de l’Observatoire).
À New York, la semaine dernière, la chef d’antenne internationale de CNN, Christiane Amanpour, ne s’y est pas trompée. Elle a refusé de porter le voile devant le président iranien, Ebrahim Raïssi, et l’entrevue fut aussitôt annulée.
Tous n’ont pas ce courage. Force est de constater que, pour des raisons idéologiques ou par pur électoralisme, tout un pan du féminisme qui n’a pourtant de cesse de répéter qu’il combat le « patriarcat » détourne le regard de ce qui se passe en Iran. Avec des amis comme ceux-là, on n’a pas vraiment besoin d’ennemis.

Grégoire