Sermon pour le trentième Dimanche du Temps ordinaire (année C)

(Liturgie de la Parole : Si 35 12…18;Ps 33 ; 2 Tm 6 …18; Lc 18 9-14)

Dimanche dernier, par les textes de la liturgie, Notre Seigneur nous invitait à user de trois armes pour gagner le combat de la Foi: la connaissance des divines Écritures ― sans laquelle il est impossible de connaître le Christ; annoncer la foi ― qui est le meilleur moyen de la garder; et «prier sans se décourager[Lc 18.1]».

Aujourd’hui, Notre Seigneur continue Son enseignement en indiquant l’humilité comme fondement de la prière, et finalement de toute vie authentiquement spirituelle. «La prière du pauvre traverse les nuées [Si 35.17]», nous dit la première lecture, et le psalmiste confesse que c’est de l’homme au «cœur qui souffre [Ps 33.19]» que le Seigneur est proche, tandis que l’Évangile nous montre justifié l’humble publicain [Cf. Lc 18.9-14].

Remarquons toutefois combien la persévérance est encore présente aujourd’hui. Ben Sirac la souligne dans le combat de la prière: l’humble «ne s’arrête pas, dit-il, avant que le Très-Haut ait jeté les yeux sur lui [Si 35.18]». «Ne s’arrête pas»… «Tant que [sa prière] n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable [Si 35.17].» «Inconsolable»… Le psalmiste témoigne lui aussi de la constance avec laquelle il entend servir Dieu: «Je bénirai le Seigneur en tous temps, Sa louange sans cesse à mes lèvres [Ps 33.2].» Et saint Paul, qui évoque le cours de sa vie, peut dire: «Je suis resté fidèle [2 Tm 4.7]»! Et encore: «Le Seigneur […] m’a rempli de force pour que je puisse jusqu’au bout annoncer l’Évangile [2 Tm 4.17].» Sans la persévérance, rien, dans l’ordre naturel non plus que dans l’ordre surnaturel, ne peut se faire. «C’est par votre constance que vous sauverez vos vies [Lc 21.19]», disait Jésus, et encore: «Celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, c’est celui-là qui sera sauvé [Mt 10.22]».

Eh bien! l’humilité nous est encore plus nécessaire que la constance, pourtant déjà indispensable. Encore plus nécessaire puisqu’elle est la connaissance du rapport qui nous unit à Dieu, autrement dit: la base à partir de laquelle nous pourrons bâtir notre relation à Dieu, à nous-mêmes et aux autres. L’humilité nous fait connaitre qui est Dieu et qui nous sommes. Sans cette juste appréciation, on n’aboutit à rien, sinon à être condamné, à l’exemple de ce pharisien qui n’avait pourtant rien à se reprocher, mais bien plutôt des raisons d’être satisfait, et qui pourtant est retourné chez lui, privé de la grâce de Dieu [Cf. Lc 18.9-14]…

Dieu est l’Être infini, éternel et subsistant par Lui-même, notre Créateur, notre Sauveur et notre Sanctificateur. Nous Lui devons tout. Par nous-mêmes, nous ne sommes rien, et moins que rien même en raison de nos péchés qui nous ont rendus plus vils que des êtres sans raison. Entre Dieu et nous, il y a l’abîme qui sépare l’infini du fini. Un jour, Notre Seigneur apparaissant à sainte Catherine de Sienne lui dit: «Sais-tu Qui Je suis et qui tu es? Tu es celle qui n’est pas et Je suis Celui Qui est.» Cette double connaissance du tout de Dieu et du rien de l’homme plonge l’âme dans la lumière de la vérité. Lorsque nous considérons combien Dieu est grand et digne d’être aimé au-dessus de tout parce que seul Il est, nous ne pouvons pas ne pas nous mépriser nous-mêmes, tant nous sommes devenus odieux d’avoir osé nous préférer à Lui, notre volonté à la Sienne, refusant d’obéir à Celui dont nous dépendons à chaque instant de notre existence. Mais celui qui accepte de vivre dans le mépris de lui-même parce qu’à Dieu seul sont dus «tout honneur et toute gloire», celui-là voit Dieu Se pencher vers lui pour l’élever aussitôt sur Son cœur. Et cela parce que Dieu aime la vérité. Il est Lui-même la Vérité [Cf. Jn 14.6]. C’est par l’amour de la vérité que nous pouvons Le rencontrer. Or l’humilité consiste à marcher selon la vérité. Vérité de ce qu’est Dieu, vérité de ce que nous sommes… «Tu es celle qui n’est pas, Je suis Celui qui est

C’est dans la mesure où nous ne regarderons que Dieu que nous pourrons Le voir. On ne peut pas courir deux lièvres à la fois: l’amour égoïste que nous avons pour nous-mêmes nous empêche d’aimer Dieu… C’est pourquoi Jésus disait: «Qui aime sa vie la perd. Mais qui haïra sa vie à cause de Moi la trouvera [Mt 16.25 ; Lc 9.24].» Ne regardant que Dieu, en Dieu il se trouvera, parce que tout est en Dieu ou n’est pas. Il se retrouvera, non plus tel qu’il se voyait, mais tel que Dieu le voit, c’est-à-dire en vérité, aimé de Jésus… Voilà pourquoi le psalmiste chante: «Je veux me glorifier du Seigneur [Ps 33.3]». «Du Seigneur», non pas de moi, ni de ce que je fais, mais «du Seigneur»!

Si la prière du pharisien est blâmée par Jésus [Cf. Lc 18.9-14], c’est parce que la prière authentique est oubli de soi pour ne plus penser qu’à Dieu. Or le pharisien ne regardait que lui-même. Il s’admirait! Le démon réussit ainsi à dérober aux âmes le trésor de leurs bonnes œuvres en les amenant à mettre leur confiance en ce qui n’est pas Dieu… Si saintes que soient nos œuvres, si beaux que soient les dons de Dieu, ils ne sont pas Dieu. Or Dieu seul est saint, Dieu seul est beau, Dieu seul est Sauveur.

Mais peut-être trouvera-t-on que saint Paul est lui-même orgueilleux, puisqu’il se vante de s’être «bien battu [et d’être] resté fidèle [2 Tm 4.7]». En quoi son attitude serait-elle différente de celle du pharisien? Tout d’abord en ce qu’il ne s’imagine pas tirer de lui-même sa capacité à faire le bien. Il dit: «Le Seigneur […] m’a assisté. Il m’a rempli de force. [Il] me fera encore échapper […]. Il me sauvera [2 Tm 4.17-18].» Il met sa confiance en Dieu, à la différence du pharisien qui dit: «Je ne suis pas comme le reste des hommes [Lc 18.11]». Le pharisien se croit d’une autre espèce que celle des autres hommes, il ne se reconnaît pas membre de l’Humanité pécheresse. Son orgueil l’aveugle au point de lui faire oublier ses propres insuffisances, à moins qu’il ne les considère que comme des bagatelles… mais on ne peut pas être à la fois juge et partie…

Une autre différence distingue l’assurance de saint Paul de l’orgueil du pharisien, c’est son amour. Loin de mépriser les autres qui l’ont pourtant abandonné, saint Paul demande «que Dieu ne leur en tienne pas rigueur [2 Tm 4.16]»! Sa charité l’assimile au Christ priant pour le pardon de Ses ennemis [Cf. Lc 23.34]. Et comme le Christ, saint Paul s’offre «en sacrifice [2 Tm 4.6]» pour eux, mettant ainsi le sceau de la perfection à son amour de Dieu jusqu’à la haine de soi.

Ainsi donc, la prière authentique, contrairement à ce qu’enseignent les religions orientales et le New-Age en particulier, n’est pas le produit de méthodes ou de techniques. Elle ne doit pas être confondue avec l’expérience psychologique. L’union de l’âme à Dieu – encore appelée «grâce» – s’accomplit toujours dans l’obscurité de la Foi, par la grâce donnée dans les sacrements, et elle peut très bien se réaliser même dans l’affliction et la désolation, puisque Jésus y est passé, et qu’étant Dieu, Il y est toujours pour les transformer en paradis, pour peu que nous L’aimions plus que nous-mêmes. Il faut fuir toute prière qui se présenterait comme la recherche d’une «connaissance supérieure» ou d’une «expérience». Ce serait réduire Dieu à une chose. La prière authentique suppose, à l’exemple de celle de saint Paul, la pratique effective de la charité fraternelle («Me voici déjà offert en sacrifice [Ibid.]»), l’accomplissement de tous nos devoirs («Je suis resté fidèle [2 Tm 4.7]»), et l’acceptation de tout ce qui nous arrive indépendamment de nous («Tous m’ont abandonné. Que Dieu ne leur en tienne pas rigueur [2 Tm 4.16]»). Elle est enfin une prière de pécheurs, de publicains, qui savent tout attendre de la seule miséricorde divine.

Le malheur, en notre temps, c’est que nous ne savons plus confesser nos péchés. Nous avons perdu le sens du péché. Nous préférons vivre dans les illusions flatteuses de Satan qui nous cache la vérité de ce que nous sommes. Nous sommes convaincus d’être des justes à qui Dieu doit le salut! Combien qui ne se sont pas confessé depuis des années, et qui n’ont toujours rien à confesser!

Seigneur, prends pitié! Seigneur, prends pitié, pécheurs!