30 avril, en la fête de Sainte Catherine de Sienne

Éminences, vénérés Cardinaux, Archevêques et Évêques de l’Église catholique,

Il y a deux ans et demi, j’ai écrit la lettre suivante à un cardinal avec lequel je suis en bons termes depuis des années et qui, peu de temps auparavant, comme beaucoup d’autres évêques et cardinaux, a déclaré dans une interview, qui a également été publiée, que la critique du pape François est un grand mal qui devrait être éradiqué. Le cardinal concerné a répondu à ma lettre avec beaucoup d’affection, mais à ma connaissance, aucune mesure n’a été prise.

Compte tenu de la mort du pape Benoît XVI et de la nouvelle selon laquelle le pape François a déjà signé une lettre de démission de sa fonction devant prendre effet en cas de détérioration significative de sa santé, et donc en vue d’un conclave qui pourrait être convoqué prochainement, je pense que le contenu de cette lettre concerne tous les cardinaux, ainsi que les archevêques et les évêques. C’est pourquoi j’adresse cette lettre, dont j’ai supprimé tout signe permettant de savoir quel cardinal l’a écrite à l’origine, comme une lettre ouverte à tous les cardinaux, et même à tous ceux qui assument des responsabilités à divers degrés dans l’Église. Que l’Esprit Saint fasse que tout le contenu de cette lettre, qui correspond à la vérité et à la volonté de Dieu, soit fructueux pour le bien de Sainte Eglise et de nombreuses âmes, et que pas un mot de cette lettre ne puisse nuire à l’Eglise, l’Epouse du Christ. J’ai choisi la fête de sainte Catherine de Sienne pour la publication de cette lettre parce qu’elle a su combiner de façon unique la révérence la plus intime pour le pape en tant que vicaire du Christ sur terre avec une critique sans complaisance de deux papes très différents. J’en viens maintenant au texte de la lettre, que chacun d’entre vous peut lire comme s’il lui était personnellement adressé.

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Éminence, Révérend Cardinal …

Je dois avouer que je suis préoccupé et attristé par une déclaration que vous auriez faite au sujet des critiques à l’encontre du pape François. Vous avez déclaré dans une interview, si l’on en croit les médias, que les critiques du Pape sont un “phénomène résolument négatif qui devrait être éradiqué dès que possible” et vous soulignez que le pape est “le pape et le garant de la foi catholique”.

Comment pouvez-vous dire que la critique du pape est un mal ? L’apôtre Paul n’avait-il pas déjà critiqué fortement et publiquement le premier pape Pierre ? Sainte Catherine de Sienne n’a-t-elle pas critiqué deux papes encore plus durement ?

Vous ne semblez pas comprendre pourquoi de nombreux catholiques peuvent critiquer le pape François, même s’il est “le pape”. Inversement, je ne comprends pas comment, selon toute apparence, tous les cardinaux, à l’exception des quatre cardinaux Dubia, restent silencieux et ne posent pas de questions critiques au pape. Car il y a beaucoup de choses que le pape François dit et fait qui devraient susciter non seulement des questions critiques mais aussi des critiques amicales. Souvenons-nous de la Déclaration sur la fraternité de tous les peuples, signée par le pape François et le grand imam Ahmad Mohammad Al-Tayyeb :

Conten”Le pluralisme et la diversité des religions, des couleurs, des sexes, des ethnies et des langues sont voulus par Dieu dans sa sagesse, par laquelle il a créé les êtres humains.” (La version anglaise est encore plus gênante : “Le pluralisme et la diversité des religions, des couleurs, des sexes, des ethnies et des langues sont voulus par Dieu dans sa sagesse, par laquelle il a créé les êtres humains”).t goes here

Ne serait-ce pas une hérésie et une terrible confusion que de prétendre que Dieu – de même qu’il a voulu la différence des deux sexes – c’est-à-dire avec sa volonté positive – a aussi voulu directement la différence des religions et donc toutes les idolâtries et les hérésies ? Oui, la Déclaration d’Abou Dhabi n’est-elle pas bien pire qu’une hérésie, à savoir une apostasie ? Comment Dieu, avec sa volonté créatrice positive, a-t-il pu vouloir des religions qui rejettent la divinité de Jésus, nient la Très Sainte Trinité, rejettent le baptême et tous les sacrements et le sacerdoce ? Ou encore comment aurait-il pu vouloir le polythéisme ou le culte de l’idole Baal ou Pachamama ? Cela ne contredit-il pas totalement le message du prophète Élie et de tous les autres prophètes, ainsi que les paroles de Jésus ?

Ne devriez-vous pas tous, cardinaux et évêques, exprimer votre ferme “non possumus” lorsque François exige que ce “document” soit la base de la formation des prêtres dans tous les séminaires et facultés de théologie ?

Dieu ne peut pas avoir non pas seulement autorisé, mais voulu directement et positivement les confessions chrétiennes hérétiques, puisque celles-ci nient les piliers de la foi catholique, comme l’enseignement selon lequel notre salut éternel n’est pas le fruit de la seule grâce divine, mais requiert notre libre coopération et nos bonnes œuvres. Comment pourrait-il, par Sa volonté directe et positive, vouloir des religions qui rejettent tout le fondement de la foi chrétienne et le Christ lui-même ?

En soi il est vrai que “le Pape est le Pape et le garant de la foi”, mais cette affirmation ne peut s’appliquer à un pape ayant signé la Déclaration d’Abou Dhabi et l’ayant diffusée dans le monde entier, et qui, de plus, a dit et fait beaucoup d’autres choses contraires à l’enseignement cohérent de l’Église.

Sa déclaration selon laquelle il faut promouvoir les alliances civiles/unions civiles des homosexuels contredit directement les déclarations claires du Magistère de l’Église (cf. les considérations sur les projets de reconnaissance juridique de la cohabitation entre personnes homosexuelles du 3 juin 2003, publiées sous le pontificat du saint pape Jean-Paul II), mais surtout la Sainte Écriture et toute la tradition de l’Église ! Vous tous, Cardinaux, ne devriez-vous pas, comme l’a merveilleusement fait Mgr Athanasius Schneider, accomplir un véritable acte d’amour envers le Pape et vous exprimer publiquement et clairement qu’il l’a fait, avec toute la clarté voulue ?

Le pape François – je le dis avec un cœur qui saigne – n’est pas le “garant de la Foi” lorsqu’il détruit les fondements de la Foi et de la morale avec cette déclaration et tant d’autres prises de position. Pour autant que je sache, aucun pape dans l’histoire de l’Église n’a jamais affirmé de telles monstruosités.

N’est-ce pas clair qu’un prochain pape devra condamner comme apostat cet enseignement d’Abou Dhabi que François envoie aux séminaires et facultés catholiques ? Comment l’Église peut-elle justifier l’anathème jeté sur le pape Honorius 1er pour une déviation infiniment moindre de la Foi, si elle ne condamne pas des déclarations encore plus scandaleuses ? Ne faudrait-il pas que tous les cardinaux écrivent au Pape comme un seul homme pour lui demander de retirer cette déclaration apostate ?

Ne devez-vous pas, Cardinaux, trembler pour  votre jugement lorsque vous devrez rendre compte au Christ de la raison pour laquelle vous n’avez pas protesté contre la Déclaration d’Abu Dhabi, qui proclame un enseignement contraire à celui de Jésus ?

Content”Enfin, comme les onze étaient à table, Il Se manifesta … Et Il leur dit : Allez par le monde entier, et prêchez la bonne nouvelle à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. (Mc 16.14)” goes here

Comment avez-vous pu garder le silence sur les dubia plus que justifiés du cardinal Caffarra – qui m’a encore appelé à la veille de sa mort et à qui j’ai dû promettre de continuer à défendre la vérité – et des trois autres cardinaux après Amoris Laetitia, ou même critiquer ces dubia ? Parmi les cardinaux, seuls les quatre cardinaux dubia ont formulé des questions polies sur l’hérésie moralo-théologique d’Amoris Laetitia qui consiste à nier les actions implicites intrinsèquement mauvaises. La splendeur du Bien et l’existence toujours et partout (ut in omnibus) de mauvaises actions ont été reconnues comme la pierre angulaire de toute éthique depuis Socrate, et ont été enseignées par le saint pape Jean-Paul II comme le fondement inébranlable de l’éthique et de l’enseignement moral de l’Église.

Tous les cardinaux n’auraient-ils pas dû être d’accord avec le cardinal Carlo Caffarra et les trois autres cardinaux Dubia et exiger cette clarification, aidant ainsi le Pape à proclamer la vérité ? Tous les cardinaux n’auraient-ils pas dû se lever comme un seul homme et soutenir la fraterna correctio que le cardinal Burke avait annoncée mais qu’il n’a jamais mise en œuvre ?

Ce n’est pas parce que le cardinal Burke a annoncé que les quatre cardinaux pratiqueraient une “correctio fraterna” au pape s’il gardait le silence sur cette question morale centrale, fraterna correctio qui n’a pas depuis été réalisée, ni par le cardinal Burke, ni par d’autres cardinaux … Seuls quelques laïcs et prêtres ont critiqué cette perversion de la Doctrine, montant  au créneau pour que vous, cardinaux, défendiez la vérité et le depositum fidei. Déjà, des laïcs avaient agi ainsi, avec saint Athanase, face à l’hérésie arienne, que le pape Libérius et la majorité des évêques toléraient.

Mais au lieu de nous miseri laici (nous, misérables laïcs), n’est-ce pas à vous, cardinaux, à qui revient, en premier lieu, de donner jusqu’à votre sang pour la vraie foi, d’élever votre voix contre les hérésies, que le pape François a commises ou au moins a suggérées ? Au lieu d’une interdiction de critiquer les déclarations du Pape, n’y a-t-il pas plutôt une obligation de correction fraternelle ou filiale ?

Et maintenant vous élevez la voix non pas pour la defensio fidei, mais pour faire taire ces critiques, pour “éradiquer” toute critique ?

Tous les cardinaux ne devraient-ils pas protester aussi dans de nombreux autres cas, comme lorsque le pape introduit arbitrairement un changement théologique et ecclésiastique erroné dans le catéchisme catholique, en contredisant les paroles claires de Dieu dans les Saintes Écritures (déjà dans le livre de la Genèse) et de nombreuses déclarations doctrinales des papes sur la peine de mort formulées dans une tradition ininterrompue, ainsi que des faits historiques, ou lorsque, à l’encontre de nombreuses paroles fortes de Jésus et des dogmes de l’Église catholique, il parle d’un enfer vide ou même, comme les Témoins de Jéhovah, affirme que les âmes des pécheurs incurables ne vont pas en Enfer mais sont détruites ?

Cher ami, qu’un pape nie l’existence de la seule vraie Église et la foi en unam sanctam, catholicam et apostolicam ecclesiam, au moins implicitement, à Abou Dhabi, et se comporte en maître des enseignements de Jésus-Christ et de l’Église, et que tant de cardinaux restent silencieux, oilà qui est une pierre d’achoppement mettant en danger la Foi de nombreux croyants, dont je fais partie, et sui causae un tort incommensurable à l’Église et aux âmes.

Je vous demande d’élever la voix pour défendre la vérité sans fard, et d’inciter d’autres cardinaux à dire la vérité, même si cela risque de révéler la terrible crise et le schisme de l’Église au milieu desquels nous nous trouvons et même si certains pusillae animae [âmes faibles] pourraient à tort y voir un scandalum.

Il ne s’agit pas d’une question culturelle concernant un pape latino-américain. Ce n’est pas une question de goût, de style, ou de tempérament. Non, il s’agit du oui ou du non au Christ qui nous a dit de prêcher l’Évangile à tous les peuples et à toutes les nations ; “Celui qui croit en Lui et sera baptisé, sera sauvé, mais celui qui refusera de croire en Lui sera condamné. (Mc 16.16)” Le Pape peut-il abroger de facto ce mandat missionnaire par le biais de la Déclaration d’Abou Dhabi ? Peut-il nommer, honorer personnellement et même récompenser des théologiens moralistes qui contredisent l’essentiel de l’enseignement catholique proclamé par les encycliques Humanae Vitae, Evangelium Vitae et Veritatis Splendor à l’Académie pontificale pour la vie ? Comment pouvez-vous, vous, les Cardinaux (et en particulier vous, qui avez travaillé pendant de nombreuses années sous la direction de St. Jean-Paul II et de Benoît XVI) garder le silence sur cette question et sur bien d’autres “désolations dans le sanctuaire”, alors que beaucoup de laïcs et de théologiens font leur possible pour proclamer les nombreuses vérités de la Foi que le Pape François contredit ouvertement ou tacitement par ses paroles et ses actes (comme la célébration de la Réforme, l’érection de la statue de Luther au Vatican, le timbre célébrant la Réforme, le culte de la Pacha Mama dans les jardins du Vatican et la Basilique Saint Pierre, etc.)? Ne devez-vous pas l’implorer de ne pas briser la boussole sûre de la Doctrine catholiques enseignée par la Sainte Écriture et les dogmes immuables de l’Église, et de ne pas se permettre d’en changer ne serait-ce qu’un iota ?

Dans une profonde douleur pour les nombreuses blessures reçues par l’Église, l’Épouse du Christ, et dans l’amour de Jésus et de l’Église qu’Il a fondée sur le roc de Pierre,

Votre Joseph

P.S. : J’espère du plus profond de mon âme que votre réponse en paroles et en actes sera un acte d’amour pour Jésus, pour Marie, pour la Très Sainte Trinité, pour l’Église, pour l’âme du Pape, et pour le salut de beaucoup d’autres âmes. Avec saint Jean-Paul II, je vous lance un appel : Corraggio ! Luttez courageusement et sans réserve pour la vérité, pour le Christ et pour l’Église, pour les âmes, y compris celle du pape François, et pour l’unité de tous les chrétiens, qui n’est possible que dans la vérité !

Professeur Dr.phil. habil. Dr. h.c. Josef M. Seifert, actuellement professeur de philosophie à la LMU, l’Université de Munich.