Dans une tribune publiée samedi dernier par le quotidien libanais L’Orient – Le Jour, plusieurs « musulmans, chrétiens, laïcs et athées » ont adressé une lettre destinée au grand Cheikh d’Al-Azhar – l’université islamique du Caire – et au pape François, pour leur demander d’« agir ensemble afin de promouvoir les questions de la citoyenneté ». Le groupe s’en prend à l’incapacité de certains musulmans de « considérer des non-musulmans comme leurs concitoyens ». Leur idée : demander l’abolition du statut de dhimmi, la dhimmât, pour mettre un terme à la tyrannie de l’Etat islamique. Voilà qui s’inscrit dans un projet de restructuration de l’islam qui aboutirait à le vider de son contenu pour le rendre compatible avec le monde moderne. Sans doute une telle démarche aurait-elle des effets bénéfiques pour tous ceux qui souffrent de la tyrannie islamique. Démarche pragmatique, en quelque sorte, pour réduire le nombre des morts et des autres victimes de Daech. Mais dans le même temps, en modifiant le contenu d’une fausse religion, non pour le faire approcher de la vérité mais pour le rendre compatible avec une liberté absolutisée qui rejette la vérité, cela aboutirait à servir l’islam. D’ailleurs, le titre de la tribune le dit clairement : « Pour sauver l’islam, abolir la dhimmât. » 

Le statut de dhimmi, une réminiscence de l’histoire et non de l’islam ?

 Faut-il vraiment sauver l’islam ? Ne vaut-il pas mieux qu’il se montre tel qu’il est ? Cela n’empêcherait pas de se battre pour ceux qui souffrent, et notamment pour les chrétiens d’Orient, d’autant que le projet présenté par Nader Allouche, Karim Ifrak et Harold Hyman – signataires de la tribune – ne garantit pas la vie sauve ni la liberté d’un seul chrétien vivant sous la coupe de l’Etat islamique. Si celui-ci cherchait à s’auto-réformer, cela se saurait… Les signataires de l’appel à abolir le statut de dhimmi prennent argument de la rencontre – « pour la toute première fois dans l’histoire » – entre le cheikh Ahmed Al-Tayyeb et le pape François le 23 mai dernier, afin que ceux-ci se mobilisent contre « une crise sans précédent » liée à des « éléments problématiques de la tradition musulmane que Daech exploite pour justifier ses crimes ». « Sans précédent », vraiment ? Le Liban a été le théâtre de maintes persécutions à l’égard des chrétiens, et il suffit de se remémorer l’abominable génocide des Arméniens dans un passé relativement proche pour comprendre que l’islam, version califat, s’inscrit dans une longue et exacte tradition. D’ailleurs le statut de dhimmi se fonde sur le comportement de Mahomet lui-même, et vise à instituer une forme de « protection » des « gens du Livre » moyennant le paiement d’un impôt et d’un statut inférieur à ceux des musulmans qui les entourent. En termes d’aujourd’hui, on pourrait parler d’un racket institutionnalisé. 

Initiative d’intellectuels du Liban pour la restructuration de l’islam

 L’idée des signataires est de montrer que ces pratiques ne sont pas liées à l’islam mais à des celles d’autres temps que l’on retrouve d’ailleurs dans de nombreuses cultures : « L’Etat islamique est à l’image du Ku Klux Klan. Nous l’avons déjà affronté en d’autres temps et d’autres cultures : l’Inquisition, l’esclavage, la ségrégation raciale, la violence misogyne et l’homophobie… Daech est ce fanatisme commun à toutes les sociétés oppressives, qui puise sa source idéologique dans l’islam. Nous devons faire comme hier l’Occident : il est temps de lancer une réforme de l’islam. » Les signataires reconnaissent que le problème réside en l’occurrence « dans la doctrine musulmane elle-même ». Ils tiennent à montrer que l’Etat islamique l’interprète de manière fanatique : « En voici un exemple : la dhimmât permettait à des voyageurs musulmans d’occuper pendant trois jours la maison d’un non-musulman, et de se servir de ses biens. Dans une dérive évidente, Daech s’est permis d’exproprier les chrétiens de Mossoul de leurs maisons ancestrales. Mais cette contrainte à l’hospitalité était déjà une forme de dépossession pour pousser les chrétiens à la conversion ou à l’exil. Certes, la plupart des pays majoritairement musulmans ont renoncé à l’application de la dhimmât. Mais elle n’a jamais été formellement abolie dans la doctrine religieuse. La question posée aujourd’hui à l’islam est la suivante : comment la doctrine musulmane peut-elle s’adapter à nos sociétés profondément plurielles ? En Égypte, les chrétiens sont au moins 12 millions. » L’argument est le suivant : l’islam a mis en place de telles règles de subordination mais il n’est pas seul. Il aurait un simple retard pour se réformer comme ont su le faire d’autres religions, et ce retard devient aujourd’hui dramatique en raison des abus et des « persécutions inouïes » que l’État islamique s’autorise sur la foi de la dhimmitude. 

Les catholiques auraient-ils eu leurs dhimmis jusqu’en 1965 ?

 « A la suite du concile de Latran en 1215, le monde catholique a connu les mêmes difficultés, que l’Église n’a vraiment surmontées qu’en 1965, au concile Vatican II. L’histoire des chrétiens doit inspirer les musulmans », affirme la tribune publiée parL’Orient – Le Jour, allant jusqu’à rappeler que le premier mariage de Mahomet a été célébré dans une église puisque le cousin de Khadija était prêtre. Les mises en accusation de l’histoire de l’Occident chrétien se poursuivent avec le rappel de la condition de « l’indigénat dans les anciennes colonies européennes ». La seule solution, selon les signataires, est de reconnaître la citoyenneté et l’égalité de tous les hommes – et femmes bien sûr – non de la manière chrétienne, qui se fonde sur la dignité de chaque être humain appelé à la vision béatifique de Dieu, mais de la manière laïque, qui tient toutes les religions pour des traditions à réformer.  Ils s’appuient sur les déclarations du président égyptien al-Sissi, qui a l’oreille d’Al-Azhar, et sur celle du roi du Maroc dans sa déclaration de Marrakech cette année, et ils exposent on ne peut plus clairement les objectifs et les moyens. « C’est un enjeu planétaire, qui consiste à renforcer notre Nouvel Ordre Mondial, fondé sur l’ONU, en faisant reconnaître les normes universelles de la citoyenneté pour que notre société internationale puisse connaître la paix, la justice et la liberté. La communauté internationale doit se tenir aux côtés des citoyens des pays majoritairement musulmans dans leur combat pour faire appliquer les normes du droit international. Nous sommes ces citoyens ! », proclame le texte. 

Pourquoi sauver l’islam, tel qu’il est ou version pâle copie ?

 Et de réclamer « un congrès mondial contre les extrémismes » dont l’objectif sera la publication d’une déclaration solennelle où les musulmans en particulier reconnaîtront « l’égalité fondamentale des êtres humains quelles que soient leurs convictions religieuses et philosophiques, incluant l’abrogation de la dhimmât ». Leur texte rêve d’un « accord international sur les modalités précises pour devenir imam / prédicateur », de la mise en place d’une « procédure juridique internationale pour obliger les Etats à condamner les appels à la haine religieuse » ( une loi antiraciste dont la mise en œuvre serait donc confiée un tribunal international !), et de la réforme des « programmes scolaires pernicieux ». Cerise sur le gâteau, les signataires envisagent la création d’une structure permanente chargée de surveiller tout cela, « éventuellement sous l’égide de l’ONU ». Lorsqu’on sait que l’ONU fait tout pour promouvoir l’idéologie du genre, l’éducation sexuelle perverse et la dictature du relativisme, on comprend que cette modification profonde de l’islam suppose aussi celle des autres religions traditionnelles, au premier rang desquelles le christianisme. Ce n’est certes pas pour défendre les droits des chrétiens qu’il faut affirmer ceux de la théocratie islamique. Mais il faut s’efforcer – contrairement à ces promoteurs d’un islam restructuré – de raisonner en vérité. D’autant que le christianisme apporte la vraie réponse : respect de la loi naturelle, que la modernité exècre, et respect de la distinction du temporel et du spirituel, que l’islam et la laïcité piétinent tous deux à leur façon. 

Anne Dolhein

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