Étant donné l’apostasie massive qui se répand du haut en bas de l’Église, sont bien compréhensibles le désarroi et la panique de nombre de sincères catholiques qui, pensant que le navire-Église n’a pas plus de pilote, se jettent par-dessus bord, et finissent noyés, ce que font les sédévacantistes. Comme si le pilote de l’Église n’était pas toujours Jésus ! La faute du sédévacantisme est de rejeter l’Église en sa réalité humaine, encore marquée par le péché, au nom de ce qu’elle est en train de devenir par la Miséricorde divine, et est déjà dans l’éternité. En un mot, le sédévacantisme ne voit que la première partie de cette promesse de Jésus à Pierre : “J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas (Lc 22.32)”, oubliant la suite :Quand tu seras revenu, affermis tes frères, suite qui montre que l’exaucement de la prière du Christ n’exclut pas l’égarement de Pierre … L’infaillibilité n’est pas l’impeccabilité. Le sédévacantisme n’arrive pas à tenir unis le pas encore et le déjà de la réalité de l’Église, qui est un objet de Foi, c’est à dire non accessible à la seule raison raisonnante. Il n’arrive pas à faire sien le regard de Dieu sur son épouse infidèle si bien décrit par le prophète Osée (2.4-3.5). Le sédévacantisme est tombé dans l’hérésie du libre examen professée par Calvin et Luther. A leur suite, un Adrien Aubazit, véritable pape du sédévacantisme, est flagrante, lorsqu’il rejette d’un revers de main l’argument de saint Paul reprenant publiquement saint Pierre (Ga 2.11) au motif qu’il ne le reprenait pas pour une question de foi ou de mœurs1 . Comme si, au risque d’offenser et diffamer le chef visible de l’Église, saint Paul s’était amusé à faire un scandale public pour des broutilles ! Comme si soi-même judaïser et y entraîner autrui par son exemple ne relevait pas de la Foi et des mœurs ! Comme si les Apôtres n’avaient pas reçu mille fois l’enseignement du Christ sur la nécessité de laisser les vieilles outres (Lc 5.37) ! Dans une réponse à cet article, Monsieur Aubazit nous reproche de contredire ainsi saint Alphonse de Liguori2 . Or, saint Alphonse présente le jugement des Pères à ce sujet comme étant seulement plus vraisemblable, non comme étant l’expression même de la vérité, ce qu’occulte totalement la réplique d’Adrien Aubazit. Citons ici l’enseignement de saint Thomas d’Aquin selon lequel « on ferait un péché mortel, si l’on observait maintenant les cérémonies que les Juifs observaient avec tant de zèle et de fidélité. (Somme Théologique, Ia-IIae, Q.103, a.4) », affirmation revêtue du sceau de l’infaillibilité du Concile de Florence (1431-1441) : « L’Eglise croit fermement, professe et enseigne que les prescriptions légales de l’Ancien Testament qui se divisent en cérémonies, saints sacrifices, sacrements, (…) après la promulgation de l’Évangile, (…) ne peuvent être respectées sans l’anéantissement du salut éternel. Donc elle dénonce comme étrangers à la foi du Christ tous ceux qui observent la circoncision, le sabbat et les autres prescriptions légales (…) . (Décret pour les Jacobites, DZ 1348) » Et lorsque Adrien Aubazit croit pouvoir s’appuyer sur le commentaire de saint Théophile dans La chaîne d’Or , il oublie d’y relever que la mission de Pierre est de “fortifier tous les fidèles qui se succéderont jusqu’à la fin du monde“, ce que la Tradition de l’Église a toujours compris comme se faisant par la succession des Papes … 

Le discours sédévacantiste repose sur l’absence actuelle d’un pape légitime, que ce soit en raison des hérésies qu’il professe ou de l’invalidité de son élection, avec toutes les conséquences qui en découleraient, dont l’invalidité des sacrements … Mais la façon dont les sédévacantistes entendent défendre la foi dans l’infaillibilité des Papes rend vaine leur entreprise puisque si les papes ne peuvent pas être hérétiques, alors on ne peut pas non plus se trouver dans la situation qui serait la nôtre, à savoir celle d’un pape hérétique … Et si cette situation découlait du fait qu’après la mort du dernier Pape catholique que serait Pie XII, la succession apostolique aurait trouvé son terme en étant remplacée par une succession de papes hérétiques, alors, ce serait la promesse de Jésus en l’incapacité des puissances démoniaques à vaincre l’Eglise (Mt 16.18-19) qui serait mise en défaut … C’est ainsi que, dans un cas comme dans l’autre, le sédévacantisme se contredit Or,

I. Il y a déjà eu des papes hérétiques !

Ce n’est pas attenter à la réputation de l’Église que de dire pareille chose, mais faire ce que demandait Léon XIII : « L’historien de l’Église sera d’autant plus fort pour faire ressortir son origine divine qu’il aura été plus loyal à ne rien dissimuler des épreuves que les fautes de ses enfants et parfois même de ses ministres ont fait subir à cette épouse du Christ. (…) Ce n’est cependant pas à elle qu’il faut reprocher les faiblesses et les blessures de certains de ses membres au nom desquels elle-même demande pardon à Dieu tous les jours : « Pardonnez-nous nos offenses » et au salut spirituel desquels elle se consacre sans relâche avec toute la force de son amour maternel. (…) Quand la licence des mœurs est plus déchaînée, plus féroce l’élan de la persécution, plus perfides les embûches de l’erreur, quand ces maux semblent la menacer de la dernière ruine, lui arracher même nombre de ses fils pour les jeter au tourbillon de l’impiété et des vices, c’est alors que l’Eglise éprouve le plus efficacement la protection divine. »3 

Sans même évoquer la vie scandaleuse de certains papes, motifs de grands troublesplusieurs d’entre eux enseignèrent ou soutinrent notoirement des hérésies. Aussi humiliant que cela soit pour l’Église, certains se sont fourvoyés jusqu’à condamner les tenants de l’orthodoxie, et parfois même avec une certaine solennité. La connaissance de l’histoire est maîtresse pour empêcher la construction d’idéologies et de mythes, y compris ecclésiastiques. Et pour ce qui nous occupe, elle montre qu’un certain nombre de saints papes, à la suite de saint Pierre, ont erré en matière de Foi. C’est ce qui apparait à la lecture du Manuel de symboles, de définitions et de déclarations en matière de foi et de morale, communément appelé Denzinger (DH), ainsi que du Dictionnaire historique de la papauté, rédigé sous la direction de Philippe Levillain, édité par Fayard en 1994, puisant largement au Liber Pontificalis, qui est un recueil de biographies pontificales commençant avec celle de saint Pierre, élaboré en plusieurs étapes dans l’administration romaine. Ainsi donc, dans l’ordre chronologique, on trouve :

  • Saint Zéphyrin (198-218) : a été sévèrement critiqué par saint Hippolyte de Rome pour avoir refusé la proclamation du dogme affirmant la personne du Christ différente de celle du Père, ceci afin de combattre l’hérésie du modalisme (qui tient que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois modes d’apparition de l’Être divin, et non pas trois personnes distinctes), l’hérésie du sabellisme en laquelle la Divinité serait une monade indivisible dont le Père serait l’essence, tandis que le Fils et l’Esprit seraient les modes d’expression du Père, en sorte que c’est le Père qui aurait souffert la Passion, d’où l’hérésie du « patripassionisme ». 
  • Saint Marcellin (296-304). Le Liber Pontificalis mentionne que, sous la terrible persécution de Dioclétien, Marcellin, conduit devant les autels païens, sacrifia en offrant de l’encens, mais que se reprenant rapidement, il aurait été exécuté seulement quelques jours après. Que ce fait ait été mentionné dans l’antique registre de la vie des papes, montre que pour ses auteurs, il n’était pas contraire à l’idée qu’ils avaient de ce qu’est un pape, qu’il puisse apostasier, se repentir, finir martyr, et donc saint…
  • Libère (352-366) : Au début de l’été 355 plusieurs centaines d’évêques occidentaux et orientaux se réunirent en concile à Milan et, à quelques rares exceptions près, signèrent tous la condamnation d’Athanase, l’évêque d’Alexandrie et héroïque défenseur de la Foi définie au Concile de Nicée contre le parti des Ariens pour qui Jésus n’était qu’un homme. Le Pape Libère adressa aussitôt une lettre d’encouragement et de félicitations à ceux qui n’avaient pas ratifié cette condamnation. Libère fut alors exilé par l’Empereur Constance II, favorable aux Ariens. Malheureusement, de concessions en concessions, au bout de deux ans d’exil, Libère finit par désavouer Athanase. Quatre lettres de Libère, rassemblées par saint Hilaire de Poitiers, en témoignent. Saint Hilaire, l’évêque de Poitiers, qualifie de « perfidie » ce que Libère avait appelé « Foi catholique ». Le témoignage de la défaillance de Libère  en 359 est rapporté par plusieurs de ses contemporains. En premier lieu par saint Athanase lui-même, le premier intéressé, mais aussi par saint Jérôme, qui accusa Libère, d’avoir, vaincu par l’ennui de l’exil, souscrit à la méchanceté des hérétiques en signant un formulaire semi-arien, que déjà cent soixante évêques d’Orient réunis à Séleucie, et quatre cent d’Occident, réunis à Rimini, avaient accepté. Libère ira jusqu’à condamner saint Hilaire, saint Athanase, et quelques autres ! Mais bientôt il se ressaisira et tiendra tête à l’Empereur en soutenant fermement la foi de Nicée jusqu’à la mort. L’Annuaire pontifical ne le reconnaît cependant plus comme saint.
  • Zosime (417-418) : annule totalement la condamnation portée par son prédécesseur, Innocent 1er, contre l’hérésie pélagienne, laquelle soutient que l’homme peut, par ses seuls mérites – sans donc l’aide de la grâce –, assurer son salut. Le Pape coopère ainsi à la diffusion de cette hérésie. Le diacre Paulin de Milan, tel un Mgr Vigano, refuse de répondre à la convocation de Zosime de venir à Rome s’incliner devant la sentence pontificale. Et les évêques africains, tels ceux d’aujourd’hui rejetant Fiducias supplicans, accusent Zosime de cautionner l’hérésie, et le 1er mai 418, réunis deux-cents évêques en concile et réclament la rétractation publique de Zosime. Cette double opposition amène Zosime à capituler, à condamner l’hérésie de Pélage, à l’excommunier ainsi que ses sectateurs. Par sa politique autoritaire et peu cohérente, il a contribué à affaiblir l’autorité du Siège apostolique et provoqué l’intervention du pouvoir impérial dans les affaires de foi, au point d’être évoqué par les Églises d’Afrique comme un pape non beatae memoriae, non de bienheureuse mémoire.
  • Vigile (537-555) : Il semble favoriser l’hérésie monothéliste en refusant de déclarer clairement la doctrine de l’Église affirmant deux volontés dans le Christ, l’une divine, l’autre humaine, notamment en s’abstenant de condamner les hérétiques anciens et nouveaux. Le diacre romain Pélage lui en fait grief et le déclare hérétique. Vigile l’excommunie. Mais c’est Pélage qui lui succédera sur le Siège de Rome !
  • Boniface IV (608-615) En 612, dans une Lettre “d’une admirable véhémence”, saint Colomban lui reprocha sa position pour le moins équivoque en faveur du monothélisme.
  • Honorius Ier (625-638) En 634 Honorius approuva formellement le compromis entre foi catholique et monophysisme imaginé par le patriarche Serge de Constantinople, compromis selon lequel le Christ – bien qu’ayant deux natures, ainsi que défini en 431 au concile d’Éphèse – n’aurait eu qu’une seule volonté (monothélisme). Pour se justifier de céder devant les hérétiques, il eut ce mot étonnamment moderne : « Prenons garde de ressusciter les vieilles querelles » ! Moyennant quoi, il ordonna de laisser l’erreur se propager librement et la conséquence fut que la vérité de l’orthodoxie se trouva partout bannie. Presque seul, saint Sophrone de Jérusalem s’insurgea contre Honorius, l’accusant formellement d’hérésie. Les Pères du IIIe Concile de Constantinople (DH 550-552), condamnèrent alors le Pape à être « enchaîné dans les liens de l’anathème perpétuel » pour avoir « accordé sa faveur à des affirmations infâmes », décision avalisée par son successeur, le pape Léon II, qui à son tour anathématisa Honorius 1er pour n’avoir « pas purifié l’Église apostolique par l’enseignement de la tradition apostolique, mais avoir tenté de subvertir la foi immaculée en une trahison impie (DH 563) ». Le quatrième concile de Constantinople (870) répéta la condamnation d’Honorius 1er, que confirmèrent les successeurs de Léon II ainsi que tous les grands conciles œcuméniques jusqu’à l’époque moderne. Ce sont des faits. Aussi, ceux qui veulent nier qu’Honorius 1er ait été hérétique doivent faire face à deux papes et deux conciles œcuméniques qui auraient faussement condamné Honorius … Sont-ils plus avancés pour faire valoir la sainteté immaculée du Siège de Pierre ? 
  • Vitalien (657-672) : Ayant lutté contre le monothélisme, hérésie qui ne reconnaît en Jésus qu’une seule volonté, doctrine officielle de l’Empire byzantin à partir de 638, le pape saint Martin 1er (649-653), par l’empereur Constant II, qui est arien, fut déporté en 653 en Crimée pour y mourir de mauvais traitements (655). Pendant cet exil, sous la pression impériale, furent élus deux papes : Eugène, puis Vitalien, lequel restaura la communion avec le patriarche monothélite de Constantinople. Le Patriarche de Constantinople et son Synode demandèrent alors au pape Martin 1er, lors du procès qu’ils lui firent, s’il était uni à l’Église de Constantinople, puisque cette dernière était désormais unie à celle de Rome grâce au pape Vitalien. Martin 1er, menacé de la peine capitale, refusa d’être en communion avec une Église professant le monothélisme, et fut pour cette raison condamné à mort, peine commuée à l’exil à perpétuité. Par son refus de communier avec un patriarche hérétique, en communion pourtant avec le pape alors officiellement régnant, le saint pape et martyr Martin montra qu’être catholique n’implique pas nécessairement d’être formellement en communion avec l’occupant du Siège de Pierre, mais avant tout de confesser la foi de Pierre. Et, de fait, dans le cas contraire, nul ne pourrait être catholique après chaque décès d’un pape lors de la vacance du siège romain …
  • Jean XXII (1244-1316) : Comme les orthodoxes encore aujourd’hui, Jean XXII enseigna avec force entêtement que les âmes des justes, après leur mort, ne jouissaient pas de la vision béatifique, mais devaient pour cela attendre le Jour du Jugement dernier. Toutefois il n’engagea jamais son infaillibilité dans l’affirmation de cette hérésie, et finit, sur son lit de mort, par la rétracter et confesser ce qu’il avait nié. Son successeur, Benoît XII, engagea, lui, son infaillibilité, pour condamner la thèse un temps professée par Jean XXII, et enseigner le contraire (Constitution Benedictus Deus).
  • Eugène IV, lors du Concile de Florence (1439), enseigna que la matière du sacrement de l’ordre était la porrection [la remise à l’ordinant] de la patène et du calice, ce que Pie XII a invalidé en affirmant de façon définitive que la seule matière du sacrement de l’ordre était l’imposition des mains.4  

Qu’un Pape professe une hérésie n’est donc pas chose nouvelle ! Une maxime dit très justement : “Trop de Pape, tue le Pape !” Autrement dit : trop attendre d’un pape conduit à en être déçu et en conséquence à rejeter la foi catholique. Il en va des papes comme du reste des hommes : il y en a des bons et des mauvais. Les uns comme les autres n’en sont pas moins papes. Aussi, « Seul un miracle de la puissance divine peut faire que malgré l’invasion de la corruption et les fréquentes défections de ses membres, l’Église, Corps mystique du Christ puisse se maintenir indéfectible dans la sainteté de sa doctrine, de ses lois et de sa fin, tirer des mêmes causes des effets également fructueux, recueillir de la foi et de la justice d’un grand nombre de ses fils des fruits très abondants de salut. (St Pie X, encyclique Editae saepe) »  Et quand le Pape est infidèle, l’Église prend la relève grâce aux saints, comme ce fut le cas avec saint Bruno le Chartreux, qui reprit le pape Pascal II ; saint Thomas Becket, qui refusa d’obéir au lâche Alexandre III, vrai responsable de son martyr ; saint Bernard, qui exhorta Eugène III ; sainte Catherine de Sienne, qui somma l’indolent Grégoire XI de rentrer à Rome, et morigéna durement Urbain VI qu’une folie sanguinaire transformait en bête féroce dans Rome terrorisée … ou encore l’Université de Paris, qui condamna l’hérésie de Jean XXII et l’amena à résipiscence …

II. Le Pape est-il directement choisi par Dieu ?

Le choix du Pape par le Saint-Esprit n’a jamais été un dogme dans l’Eglise. Et on comprend en effet que les cardinaux réunis en conclave, comme tous ceux qui ont été directement impliqués dans le choix du Souverain Pontife au long des siècles, ne perdent pas pour autant leur condition humaine avec ses fragilités. Dans le cas contraire, leur nombre serait superflu, et même offensant pour l’unicité du seul choix divin qu’un seul médiateur suffirait à faire connaître. 

En 1997, le cardinal Ratzinger répondit à un journaliste de la télévision bavaroise :  

« Je ne dirais pas que c’est l’Esprit Saint qui choisit le pape… Je dirais que l’Esprit ne prend pas exactement le contrôle de l’affaire, mais plutôt, comme un bon éducateur, il nous laisse beaucoup d’espace, beaucoup de liberté, sans nous abandonner complètement. Ainsi, le rôle de l’Esprit doit être compris dans un sens beaucoup plus élastique, non pas comme s’il dictait le candidat pour lequel on doit voter … Le Saint-Esprit ne contrevient pas au libre arbitre des cardinaux. Il les laisse libres de faire des erreurs et de pécher. Il y a trop de cas contraires de papes que l’Esprit Saint n’aurait évidemment pas choisis. »

Et l’on pense, évidemment, aux époques où plusieurs papes, proclamant tous la légitimité de leur élection, revendiquaient le trône de Pierre … En bref, ce n’est pas le Saint-Esprit qui choisit le pape … mais les cardinaux qui doivent prier pour que le Saint-Esprit les guide. Mais il est évident que la peur du chantage en raison de péchés personnels connus de certains peut conditionner la liberté d’un cardinal. La sous-culture homosexuelle au sein du clergé, ou des malversations financières, des affaires de corruption, par exemple, peuvent rendre certains cardinaux sujets au chantage. 

III. Seul le Christ peut juger le Pape !

Il faut noter que l’hérésie, même externe, n’enlève pas automatiquement la juridiction. En effet, selon le Canon 2264, sont illicites, mais pas automatiquement invalides, les actes de juridiction posés par un excommunié : « Un acte de juridiction posé par une personne excommuniée, que ce soit au for interne ou au for interne, est illicite; cependant si une sentence condamnatoire a été prononcée, il devient invalide, sans porter préjudice aux prescriptions du Can. 2261 ; sinon il est valide. » Si donc le clerc hérétique ne perd pas automatiquement ses fonctions, mais doit être déposé en bonne et due forme par l’autorité légitime, il est bien difficile en ce qui concerne le Pape, de trouver pareille autorité, car il n’existe aucune instance ecclésiale possédant l’autorité nécessaire pour procéder à cette déposition … Nul, en effet, n’est habilité de son propre mouvement, de par sa décision personnelle, à déclarer déchu de sa charge et dépouillé de ses pouvoirs un membre quelconque de la hiérarchie catholique. Or, le Pape n’a pas de supérieur sur la terre …

De ce fait, si un Pape méritait de perdre son pontificat en raison d’une déclaration officielle d’hérésie, nul ne pourrait légalement exécuter cette sentence, car le Pape n’a pas de supérieur sur terre capable de le juger et démettre de sa fonction. De la sorte, même s’il tombe dans une hérésie notoire, ce qu’à Dieu ne plaise, le Pape ne perd jamais son pontificat.

IV. Les fautes du sédévacantisme

Deux péchés graves condamnent le sédévacantisme :

  1. – Le subjectivisme, qui s’attribue la place du Christ pour juger et déposer le Pape, lequel n’a pourtant pas de supérieur sur cette terre.
  2. – Le conciliarisme, ou conclavisme, qui est une hérésie déjà condamnée par l’Église, nie la primauté du Pontife romain, et fait surgir à sa place autant de nouveaux papes qu’il peut plaire à des évêques ou pseudos évêques. La conséquence directe est l’éclatement de l’Église en d’innombrables factions ennemies, l’unité de l’Église se retrouvant brisée, morcelée, infectée irrémédiablement par l’esprit de secte.

La conséquence directe du sédévacantisme est donc l’éclatement de l’Église, une et sainte, en d’innombrables sectes. (( Mgr Ngô-Dinh-Thuc (1897-1984), excommunié pour la consécration de l’antipape Domínguez, est à l’origine de tous les sacres sédévacantistes et conclavistes, responsable d’une multitude de lignées épiscopales hérétiques ayant des liens étroits avec les Vieux Catholiques et avec toutes sortes de sectes et de sectaires, dont des sociétés maçonniques ! )) 

Le seul critère objectif requis par la théologie catholique pour la reconnaissance d’un vrai Pape, est la reconnaissance de l’élu par les cardinaux réunis en conclave, puis par les évêques et par toute l’Église. Mais dans le cerveau des sédévacantistes, ce critère, objectif, a disparu, remplacé par un jugement personnel et subjectif, même s’il est justifié à grand renfort de multiples citations, cherchant à le faire apparaître comme objectif.

V. L’absence de Pape est impossible

Un autre problème important du sédévacantisme est son incapacité à expliquer comment l’Église pourrait continuer à exister d’une manière visible, mais sans tête … Le sédévacantisme est à ce titre prisonnier d’une erreur formelle indépassable, liée à une interprétation étroite de la bulle de Paul IV (voir cet article) : « Nul pape ne peut être hérétique, hors le pape soutenant Vatican II professe des hérésies, donc il n’est pas pape ! » Or, outre que :

1) Paul IV parle de l’élévation d’un hérétique au Souverain Pontificat et non d’une pape devenu hérétique ;

2) La vérité est une chose, et autre chose la vérité des arguments utilisés pour l’établir ;

3) L’Histoire nous apprend que des papes et  des conciles ont soutenu des thèses jugées ensuite fausses. Ainsi, le concile de Florence (1439) a enseigné que la matière du sacrement de l’ordre était la porrection [la remise à l’ordinant] de la patène et du calice, ce que Pie XII a invalidé en affirmant de façon définitive que la matière du sacrement de l’ordre était l’imposition des mains.  Le sédévacantisme est le pur produit d’un syllogisme, d’un hiatus intellectuel, d’une méthode argumentaire schizophrénique.

De plus, il ne faut jamais l’oublier, le jugement des fidèles constatant que les Papes soutiennent l’erreur, pour être éventuellement juste, ne peut cependant avoir force d’autorité canonique pour destituer ou déposer des Papes qui professent l’hérésie. Tout le problème est là. Les sédévacantistes excèdent par leur attitude leur capacité légale en tant que membres de l’Église et finalement, en s’écartant de la Rome conciliaire par leur jugement subjectif personnel, se font protestants en croyant demeurer catholiques. Il faut donc, d’obligation certaine, pour éviter cette situation schismatique, rejeter l’hérésie, mais reconnaître le Pape quel qu’il soit, tant qu’il n’est pas déposé, non dans ce qu’il enseigne d’évidemment hérétique, mais dans ce qu’il représente comme successeur légitime, même très indigne, de Pierre.

Ainsi donc, bien que le constat des sédévacantistes soit juste lorsqu’ils pointent du doigt les dégâts occasionnés par Vatican II, leur logique est cependant faussée et leur solution inexacte, car sortir de l’Église et s’en écarter en établissant des hiérarchies parallèles, en ne reconnaissant plus le Pape comme légitime successeur de Pierre, est une erreur absolue doublée d’une faute gravissime, car c’est abandonner l’épouse mystique du Christ aux brigands.

VI. Sans la monarchie romaine, il n’y a plus d’Église

La monarchie romaine fonde, fait et établit l’Église, et nul ne peut de sa propre volonté, du haut d’un imaginaire tribunal surgi de son jugement subjectif de simple laïc, voire de prêtre, d’évêque ou même de cardinal, décider de son propre chef de ne plus reconnaître le Souverain Pontife. Rien ne dépasse en valeur la nécessité, par économie de suppléance vitale, de préserver absolument l’institution pontificale, et d’autant plus en temps de crise extrême telle que nous la connaissons aujourd’hui, car une cessation de la visibilité de la charge pétrinienne conduirait à un mal plus grand encore, facteur d’une destruction certaine de l’Église.

Or, une interrogation suit immédiatement ce que nous venons d’affirmer : cette monarchie, à la faveur du dernier concile, a-t-elle disparue, a-t-elle été abrogée, détruite, modifiée ? La réponse est NON ! Vatican II n’a pas touché à la Papauté. Dès lors, si la fonction est intacte, si rien n’a été modifié, perverti des éléments de la charge pontificale, œuvrons et prions pour que surgisse, à la faveur de la divine Providence, un bon Pape, qui luttera contre les hérésies et restaurera dans toute sa splendeur la Foi de l’Eglise !

Conclusion

Nous le voyons, l’affirmation hâtive de la thèse sédévacantiste ne permet pas de résoudre une interrogation majeure et centrale, celle de savoir comment l’Église pourrait continuer d’exister sans un pape à sa tête … Si l’on suit la conviction des partisans de la vacance du Saint-Siège, l’Église n’existerait plus. Mais dès lors qu’il y a l’Église, et Église il y a, il y bien un Pape qui la gouverne.

Il n’y a donc au fond qu’une seule question à poser aux sédévacantistes, qui est celle-ci :

Pensez-vous que le Christ soit un menteur, un fabulateur, ou un ignorant lorsqu’Il déclara que les Portes de l’Hadès ne prévaudront jamais contre l’Eglise (Mt 16.18) ?

On le constate ainsi avec effroi, l’implicite du sédévacantisme, c’est que Notre Seigneur Jésus-Christ nous aurait menti en déclarant que les Portes de l’Hadès ne prévaudront jamais contre l’Eglise … Ainsi, au fallacieux prétexte de défendre la Tradition, le sédévacantisme rejette la parole de Notre Seigneur, collabore à la destruction de la Chaire de l’Apôtre Pierre, et par elle à celle de l’Eglise, niant l’assistance permanente de Jésus-Christ auprès de son Épouse mystique «Voici que Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.»

Le sédévacantisme est donc un péché mortel !

Sur cette question, voir l’excellente réponse donnée par Mgr Athanasius Schneider : Sur la question d’un pape hérétique, et cette conférence de l’abbé Jean-Marie Gleize : “Une Eglise pécheresse, est-ce concevable ?”  

 

  1. Voir ici, à la 14’14 []
  2. voir ici à partir de 1 h 31′ []
  3. Lettre aux évêques et au clergé de France du 8 septembre 1899 (Acta Leonis XIII, tome 7, page 295, § 724 & 726 de l’édition de Solesmes. []
  4. Adrien Aubazit cite là-contre un extrait de Sacramentum ordinis en lequel le pape Pie XII affirme que l’imposition des mains a toujours fait partie du rite d’ordination des Grecs, sans apparemment se rendre compte que le Pape cite là un argument justifiant sa décision de rejeter l’enseignement précédent de l’Eglise, car “même si à un moment la porrection a été nécessaire pour la validité de par la volonté et le précepte de l’Eglise (…) Nous décidons et décrétons : la matière, et la seule, des ordres sacrés du diaconat, du presbytérat et de l’épiscopat est l’imposition des mains“, enseignement qui relève si peu de l’ordre pratique, comme veut le croire A. Aubazit, qu’il a suffi au Pape Léon XIII pour déclarer nulle la succession apostolique de la Communion anglicane !  []