Par un arrêt du 31 juillet 2001, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a déclaré la charia incompatible avec le respect des droits de l’homme.

QUI EN PREND ACTE EN EUROPE ?

Par un arrêt du 31 juillet 2001, la Cour, statuant sur la validité de l’interdiction par la Cour constitutionnelle turque d’un parti islamique, le Refah Partisi (Parti de la Prospérité), exaltant des valeurs conformes à la charia, a entériné la dissolution.

La Cour a jugé que ces valeurs étaient en contradiction avec celles  prônées par la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 : « La Cour estime que dans la présente affaire, les sanctions infligées aux requérants peuvent raisonnablement être considérées comme répondant à un « besoin social impérieux » pour la protection de la société démocratique, dans la mesure où les responsables du Refah Partisi, sous le prétexte qu’ils donnaient au principe de laïcité un contenu différend, avaient déclaré avoir l’intention d’établir un système multi-juridique fondé sur la discrimination selon les croyances, d’instaurer la loi islamique (la Charia) qui se démarque nettement  des valeurs de la Convention et avaient laissé planer un doute sur leur position quant au recours à la force afin d’accéder au pouvoir et, notamment, d’y rester » (www. echr.coe.int) 

Arrêt confirmé par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme : 13 février 2003

Extraits :

• La Cour rappelle que la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents.

• Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer.

• Par ailleurs, dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir la liberté en question de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun

Selon la Cour, dans une société démocratique, l’Etat peut limiter la liberté de manifester une religion, par exemple le port du foulard islamique, si l’usage de cette liberté nuit à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui, de l’ordre et de la sécurité publique

• Nul ne doit être autorisé à se prévaloir des dispositions de la Convention pour affaiblir ou détruire les idéaux et valeurs d’une société démocratique.

• la Cour partage l’analyse effectuée par la chambre quant à l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie.

• A l’instar de la Cour constitutionnelle, la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictés par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques.

• Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses.

Rapport annuel de 2003 de la CEDH

Arrêt Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie (requêtes nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98) – Cour européenne des droits de l’homme, Strasbourg, 13 février 2003. Extraits : (…)

123.  Or la Cour partage l’analyse effectuée par la chambre quant à l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention :

« 72.  A l’instar de la Cour constitutionnelle, la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictés par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. La Cour relève que, lues conjointement, les déclarations en question qui contiennent des références explicites à l’instauration de la charia sont difficilement compatibles avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention, comprise comme un tout. Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses. (…) Selon la Cour, un parti politique dont l’action semble viser l’instauration de la charia dans un Etat partie à la Convention peut difficilement passer pour une association conforme à l’idéal démocratique sous-jacent à l’ensemble de la Convention. »

124.  La Cour ne saurait perdre de vue que des mouvements politiques basés sur un fondamentalisme religieux ont pu par le passé s’emparer du pouvoir politique dans certains Etats, et ont eu la possibilité d’établir le modèle de société qu’ils envisageaient. Elle considère que chaque Etat contractant peut, en conformité avec les dispositions de la Convention, prendre position contre de tels mouvements politiques en fonction de son expérience historique.

125.  La Cour observe aussi que le régime théocratique islamique a déjà été imposé dans l’histoire du droit ottoman. La Turquie, lors de la liquidation de l’ancien régime théocratique et lors de la fondation du régime républicain, a opté pour une vision de la laïcité confinant l’Islam et les autres religions à la sphère de la pratique religieuse privée. Rappelant l’importance du respect du principe de la laïcité en Turquie pour la survie du régime démocratique, la Cour considère que la Cour constitutionnelle avait raison lorsqu’elle estimait que le programme du Refah visant à établir la charia était incompatible avec la démocratie (paragraphe 40 ci-dessus). (…)

128.  Poursuivant ce raisonnement, la Cour écarte la thèse des requérants selon laquelle empêcher un système multijuridique de droit privé au nom de la place spéciale réservée à la laïcité en Turquie équivaudrait à établir une distinction défavorable aux musulmans qui voudraient vivre, dans leur vie privée, selon les rites de leur religion.

Elle rappelle que la liberté de religion, y inclus la liberté de la manifester par le culte et l’accomplissement des rites, relève d’abord du for intérieur. La Cour souligne sur ce point que le domaine du for intérieur est tout à fait différent de celui du droit privé, ce dernier concernant l’organisation et le fonctionnement de la société tout entière.

Personne ne conteste devant la Cour qu’en Turquie chacun peut suivre dans sa sphère privée les exigences de sa religion. En revanche, la Turquie, comme toute autre Partie contractante, peut légitimement empêcher que les règles de droit privé d’inspiration religieuse portant atteinte à l’ordre public et aux valeurs de la démocratie au sens de la Convention (par exemple les règles permettant la discrimination fondée sur le sexe des intéressés, telles que la polygamie, les privilèges pour le sexe masculin dans le divorce et la succession) trouvent application sous sa juridiction. La liberté de conclure des contrats ne saurait empiéter sur le rôle de l’Etat consistant à organiser d’une façon neutre et impartiale l’exercice des religions, cultes et croyances (paragraphes 91-92 ci-dessus). (…)

130.  La Cour considère que, quelle que soit l’acception que l’on donne à la notion de djihad (dont le premier sens est la guerre sainte et la lutte à mener jusqu’à la domination totale de la religion musulmane dans la société), invoquée dans la plupart des discours mentionnés ci-dessus, une ambiguïté régnait dans la terminologie utilisée quant à la méthode à employer pour accéder au pouvoir politique. Dans tous ces discours, l’éventualité et la possibilité d’avoir « légitimement » recours à la force afin de surmonter divers obstacles sur le chemin politique envisagé par le Refah pour accéder au pouvoir et y rester ont été mentionnées.

131.  Par ailleurs, la Cour fait sien le constat suivant de la chambre :

« 74.  (…)

S’il est vrai que les dirigeants du [Refah] n’ont pas appelé dans des documents gouvernementaux à l’usage de la force et de la violence comme moyen politique, ils ne se sont pas concrètement désolidarisés en temps utile des membres du [Refah] qui soutenaient publiquement le recours potentiel à la force contre des politiques qui leur étaient défavorables. Dès lors, les dirigeants du [Refah] n’ont pas supprimé l’ambiguïté caractérisant ces déclarations quant à la possibilité de recourir aux méthodes violentes pour accéder au pouvoir et y rester (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Zana c. Turquie du 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2549, § 58). » (…)

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 11 de la Convention…

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