Par Jürgen Todenhöfer

C’était la septième fois que mon fils Frederick et moi allions en Syrie, ce pays déchiré par la guerre civile [Comment Jürgen Todenhöfer peut-il qualifier de « guerre civile » cette agression contre l’Etat syrien, fomentée de l’étranger et composée à 95% de mercenaires selon les services de renseignement allemands ? Ndlr]. Nous y sommes restés 13 jours. Les mots ne suffisent pas à décrire l’ampleur des dommages et de la souffrance subis des deux côtés.

Il y a dix jours, nous avons mené une interview avec un commandant du Front al-Nosra, affilié à al-Qaïda. Abou al-Ezz a parlé ouvertement de ses bailleurs de fonds que sont l’Arabie saoudite, le Qatar et le Koweït. Nous sommes parvenus à établir l’identité de l’homme et savons pratiquement tout à son sujet.

Une interview menée dans une carrière de pierre à Alep

L’interview a été organisée par un rebelle d’Alep. J’ai des contacts avec des rebelles syriens depuis des années. L’interview s’est déroulée à l’extérieur d’Alep, dans une carrière à portée de vue – et de tir – du Front al-Nosra. Seul un membre d’al-Nosra pouvait s’y rendre sans danger.

Ses combattants n’étaient que partiellement masqués, donc facilement identifiables. Une partie de ses affirmations a été pratiquement confirmée verbalement peu après par un mufti à Alep. D’autres assertions au sujet du désintérêt des rebelles à l’égard d’un cessez-le-feu et du convoi humanitaire international ont été corroborées également, tout comme ses prévisions au sujet des activités militaires planifiées dans plusieurs villes de la Syrie.

Le commandant Abou al-Ezz affirme ceci à propos du Front al-Nosra (al-Qaïda) :

«Nous formons l’une des composantes d’al-Qaïda. Nos principes sont le combat contre le vice, la pureté et la sécurité. La conduite de nos affaires et notre façon d’agir ont changé. Par exemple, nous avons maintenant le soutien d’Israël, parce qu’Israël est en guerre contre la Syrie et le Hezbollah.

Les USA aussi ont changé d’opinion à notre égard. Au départ, Daesh et nous ne formions qu’un groupe. Mais Daesh a été utilisé dans l’intérêt de grands États comme les USA, pour des raisons politiques, et a été détourné de nos principes. Il est devenu évident pour nous que la plupart de ses dirigeants travaillent avec les services secrets de sécurité. Nous, au Front al-Nosra, faisons les choses à notre façon. Avant, Daesh était avec nous et nous soutenait.

Notre but est la chute du régime dictatorial, du régime tyrannique, du régime de l’apostat. Notre but est de faire des conquêtes, à la manière de Khald ibn al-Walid [le grand général arabe], d’abord dans le monde arabe, puis en Europe.»

Partie 2 – L’interview de Jürgen Todenhöfer avec le commandant rebelle Abou al-Ezz

Jürgen Todenhöfer : – Quel est l’état de vos relations avec les États-Unis? Les USA soutiennent-ils les rebelles?

Abou al-Ezz : – Oui, les USA soutiennent l’opposition, mais pas directement. Ils soutiennent les pays qui nous soutiennent. Mais nous ne sommes pas encore satisfaits de ce soutien. Ils devraient nous soutenir en nous fournissant des armes ultra perfectionnées. Nous avons remporté des batailles grâce à des missiles TOW. Nous sommes parvenus à un équilibre des forces avec le régime grâce à ces missiles. Nous avons reçu des chars de la Libye par l’entremise de la Turquie, ainsi que des BM (lance roquettes multiples). Le régime ne nous domine que par ses avions de chasse, ses missiles et ses lance-missiles. Nous avons capturé une partie de ces lance-missiles et en avons reçu pas mal d’ailleurs. Mais ce sont les TOW américains qui nous ont permis d’avoir la situation bien en main dans certaines régions.

– À qui ces missiles des USA étaient-ils destinés avant qu’on ne vous les apporte? Ces missiles ont-ils été livrés par les USA à l’Armée syrienne libre, puis à vous ensuite?

– Non. Les missiles nous ont été livrés directement. Ils ont été livrés à un certain groupe. Lorsque la «route» était fermée et que nous étions assiégés, il y avait ici présents des agents de la Turquie, du Qatar, de l’Arabie saoudite, d’Israël et des États-Unis.

– Que faisaient ces agents?

Du travail d’expert! Des experts dans l’utilisation des satellites, des missiles, des caméras de vidéo surveillance thermiques, du travail de reconnaissance…

– Est-ce qu’il y avait aussi des experts américains?

– Oui, des experts de plusieurs pays.

– Y compris des Américains?

Oui. Les Américains sont à nos côtés, mais pas autant qu’ils le devraient. Par exemple, on nous disait : nous devons capturer et conquérir le «bataillon 47». L’Arabie saoudite nous a remis 500 millions de livres syriennes. Pour prendre l’école d’infanterie al-Muslimiya, il y a plusieurs années de cela, nous avons reçu du Koweït 1,5 million de dinars koweïtis et 5 millions de dollars US de l’Arabie saoudite.

– Des gouvernements ou de particuliers?

– Des gouvernements.

– La lutte est difficile, le régime est fort et il a le soutien de la Russie…?

– Nous allons combattre jusqu’à la chute du régime. Nous allons combattre la Russie et l’Occident, parce que l’Occident ne se tient pas vraiment à nos côtés. L’Occident ne fait que nous envoyer des moudjahidines, il facilite l’entrée de ces combattants. Pourquoi l’Occident ne nous soutient-il pas convenablement? Nous avons beaucoup de combattants de l’Allemagne, de la France, de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de tous les pays occidentaux.

– Le Front al-Nosra compte-t-il dans ses rangs beaucoup de combattants européens à Alep?

– Beaucoup, beaucoup, beaucoup!

– Combien?

– Beaucoup.

Que pensez-vous du cessez-le-feu?

– Nous ne reconnaissons pas le cessez-le-feu. Nous allons repositionner nos groupes. Nous allons lancer dans les prochains jours une attaque massive contre le régime. Nous avons redéployé nos forces armées dans toutes les provinces, à Homs, Alep, Idlib et Hama.

– Vous ne voulez pas que les 40 camions remplis de matériel humanitaire parviennent dans la partie est d’Alep?

– Nous avons des conditions. Tant que le régime est positionné le long du chemin Castillo, à al-Malah et dans le secteur nord, nous ne laisserons pas ces camions passer. Le régime doit se retirer de tous ces secteurs avant que ces camions ne puissent passer. Si un camion passe malgré tout, le conducteur sera arrêté.

– Pourquoi une partie de vos groupes s’est-elle repliée à un kilomètre ou à 500 mètres du chemin Castillo?

– Le régime a utilisé des armes très perfectionnées contre nous, ce qui a causé un vif émoi. C’est pourquoi nous nous sommes repliés silencieusement, le temps de récupérer et de reprendre l’attaque contre le régime. Mais cette attaque doit entraîner la chute du régime.

– C’était donc une astuce? Une tactique militaire?

– Oui, c’était une tactique militaire.

– Est-ce que le but de cette tactique était de recevoir des aliments ou le redéploiement des combattants?

– Nous n’étions pas d’accord avec le cessez-le-feu.

– Cela s’applique-t-il seulement au Front al-Nosra ou à tous les autres groupes, le reste de vos alliés?

– Cela s’applique à tous les groupes intégrés à nous, qui sont nos alliés.

– Le Front islamique? L’Armée de l’islam?

– Ils sont tous avec nous. Nous formons tous le Front al-Nosra. Un groupe se crée et prend le nom d’«Armée de l’islam» ou de «Fateh al-Sham». Chaque groupe a son propre nom, mais la croyance est homogène. Le nom global est Front al-Nosra. Une personne a, disons, 2 000 combattants. Elle forme alors un nouveau groupe et l’appelle«Ahrar al-Sham». La croyance, les pensées et les buts de ces frères sont identiques à ceux du Front al-Nosra.

– Est-ce votre opinion personnelle ou l’opinion du haut commandement aussi?

– C’est l’opinion générale. Si quelqu’un vient vous voir, fait de vous un «rebelle modéré» et vous offre à boire et à manger, allez-vous accepter son offre ou non?

– Cette guerre a tué 450 000 personnes. Je suis allé à Alep et à Homs. Bien des parties sont détruites. Si la guerre se poursuit, tout le pays sera détruit. Des millions vont mourir… En Allemagne, nous avons déjà eu la «guerre de Trente Ans»…

– Nous n’en sommes qu’à notre cinquième année de guerre, c’est court en comparaison!

– Accepteriez-vous la présence d’un représentant du régime d’Assad dans un gouvernement de transition?

– Nous n’acceptons personne du régime d’Assad ou de l’Armée syrienne libre, qu’on appelle les modérés. Notre but est la chute du régime et la création d’un État islamique fondé sur les règles de la charia islamique.

– Les gens d’Allouche, qui se sont déplacés à Genève pour les négociations, ont accepté l’idée d’un gouvernement de transition.

– Ce sont des mercenaires syriens. Allouche combattait avec le Front al-Nosra. Les groupes qu’abrite la Turquie à l’origine de la création de l’Armée syrienne libre ont déjà été aux côtés du Front al-Nosra. Ce sont des gens faibles, qui ont reçu beaucoup d’argent, qui se sont vendus. Ils doivent suivre les ordres de leurs commanditaires.

– Le Front islamique et l’Armée de l’islam négocient à Genève.

– Parce que leurs dirigeants ont été formés en Occident. Ils sont conseillés et payés par les services secrets occidentaux et les services secrets des pays du Golfe pour atteindre les objectifs de ces pays.

Nous sommes ici au point d’observation le plus avancé du secteur de Sheik Saïd. Ce secteur est sous notre contrôle. Derrière ces maisons et al-Majbal, se trouvent les soldats du régime. Nos forces armées sont à 200 mètres d’ici.

– Fin –

Cette interview menée par Jürgen Todenhöfer a d’abord été publiée en allemand le 26 septembre 2016 dans le Kölner Stadtanzeiger, le principal quotidien de la région de Cologne.

Source: Moon of Alabama

Traduit par Daniel pour le Saker francophone