4ème Conférence sur la Sainte Trinité (suite)
Niepokalanow, 5 mai, 11 h.

QUELQUES PRÉCISIONS CONCERNANT LE SAINT-ESPRIT :

1)        Vous savez que les orthodoxes se font gloire de nier la spiration du Saint-Esprit à partir du Père ET du Fils (Filioque) pour affirmer que le Saint-Esprit ne procède que du Père. C’est là le principal obstacle théologique des orthodoxes à la foi catholique. Or, une personne se définit par son origine – n’en déplaise aux mondialistes ! Ainsi, dans la Sainte Trinité, le Père, seul, est sans origine. Il est LE Père, principe sans principe de la divinité. Le Fils, seul, est la Parole par laquelle Dieu Se connaît. Et l’Esprit-Saint, seul, est l’Amour, la relation qui à la fois les distingue et les unit. En dehors des relations qui les constituent différentes, les trois personnes sont ensemble et chacune l’unique et même nature, essence, puissance, intelligence divine. Ce qui ne serait pas le cas si le Père était seul source du Saint-Esprit, car alors le Père ferait quelque chose que le Fils ne ferait pas, et ils ne seraient donc plus Un. Si l’Esprit-Saint procédait du Père seul, comme le Fils, le Père aurait alors deux fils ! Que l’Esprit procède du Père ET du Fils, et voilà l’unité de nature du Père et du Fils sauvegardée, et la personnalité propre de l’Esprit-Saint affirmée! Il est l’amour qui unit le Père et le Fils. Il est vrai que certains textes des premiers âges de l’Eglise disent que l’Esprit-Saint procède du Père, mais l’ajout du Filioque (et du Fils) ne nie pas que l’Esprit-Saint procède du Père, mais précise qu’Il procède aussi du Fils, tant il est vrai que le Père a tout donné au Fils (Jn 16.15 ; 17.10), y compris donc d’être source avec Lui de l’Esprit-Saint. De même que l’Eglise a toujours mieux précisé l’exposé de sa foi, par exemple en définissant en 1854 le dogme de l’Immaculée Conception, ou en 1950 celui de l’Assomption de la Vierge, de même a-t-elle précisé que si le Fils procède du Père seul, le Saint-Esprit procède du Père et du Fils (Cf. Jn 15.26 ; 16.14+). Ainsi a-t-elle affirmé non seulement qu’Il est leur Amour mutuel, mais encore leur égalité de nature, laquelle serait niée s’il y avait entre le Père et le Fils une autre différence que celle de leurs relations réciproques de paternité et de filiation. Le Père et le Fils sont UN, ils ont tout en commun, hormis leurs relations réciproques de paternité et de filiation, qui les constituent en tant que personnes. D’où il suit qu’ils sont nécessairement un seul et même Principe du Saint-Esprit.

2)      Pourquoi la troisième personne de la Sainte Trinité porte-Elle le nom d’Esprit-Saint puisque Dieu est esprit et saint ? Nous disons que Dieu est Esprit (Jn 4.24) pour dire son immatérialité, et cela convient aux trois personnes divines, qui sont consubstantielles. Si le terme « Esprit » convient en propre à la troisième personne ce n’est donc en ce premier sens, mais au sens où il désigne, aussi, étymologiquement, l’air en mouvement, dont Jésus disait « Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va (Jn 3.8) », l’air qui transporte la voix, les odeurs, les graines, la pluie, qui active le feu … et désigne aussi les impulsions, les tendances, les inspirations qui nous meuvent, ce qui nous “transporte”. Or l’Esprit-Saint est Celui qui porte le Père vers le Fils et en retour le Fils vers le Père. C’est en ce second sens que le mot « Esprit » désigne personnellement la troisième personne de la Sainte Trinité. Et Il est dit « saint » parce que la sainteté est un attribut propre à Dieu, qui joint à celui d’esprit magnifie la richesse de la personnalité de l’Esprit-Saint. 

3)   Comment exprimer l’origine spécifique de l’Esprit-Saint, qui procède du Père et du Fils en étant Dieu comme Eux, c’est à dire ni créé ni fait ni produit ? Le Fils est « engendré » parce qu’Il procède de l’Intelligence comme Parole, Image, Reproduction, Expression du Père. Mais le Saint-Esprit ne procède pas comme Parole, mais comme Élan d’amour. Et parce que le mot « procession » convient à la fois pour dire l’origine du Fils et celle du Saint-Esprit, il faut trouver un mot propre pour exprimer l’origine du Saint-Esprit. Dans le vocabulaire courant, en conservant l’image de l’élan qui porte le Père et le Fils l’un vers l’autre, le mot spiritus, souffle, qui apporte le pollen, la pluie, le son, a donné naissance aux mots « esprit », « aspiration », « respiration », et au verbe « spirer » pour désigner la procession propre de l’Esprit-Saint. Le Père et le Fils spirent le Saint-Esprit, et celui-ci est « spiré » par Eux.        

HÉRÉSIES ET PROBLÈMES DE COMPRÉHENSION

Il faut toujours garder en mémoire la distinction essentielle entre les notions de personne et de nature (par exemple, nous tous ici avons la même nature, mais ne sommes pas la même personne). Ignorer cette distinction ne peut qu’empêcher d’accepter qu’il y ait en Dieu trois personnes et une nature, et en Jésus deux natures et une personne …  Au cours de l’histoire, nombre d’hérésies ont défiguré la Foi chrétienne en refusant cette distinction. Ainsi :

•        Le trithéisme : est l’hérésie pour laquelle il y a en la Trinité trois natures et donc trois dieux d’égale dignité, distincts et pleinement autonomes.

•        Le modalisme : de Sabellius (prêtre lybien installé à Rome, lll°-lV° s.), pour qui la nature et la personne s’identifient en sorte que les trois Personnes divines sont un seul et même Dieu qui se manifeste sous trois aspects, ou modes, différents.

•        L’arianisme (Arius, lV°s., Egypte) : Il n’y a qu’un seul Dieu : le Père. Le Fils et l’Esprit sont subordonnés au Père. Jésus est seulement un homme, pas vraiment Fils de Dieu. Il n’existe pas de toute éternité.

Pour exprimer la Foi et contrer les hérésies qui la défigurent, la théologie chrétienne a dû forger de nouvelles notions, indispensables à l’intelligence du Mystère de la Foi, telle la notion de « personne ». Dans l’Antiquité grecque, le mot prosopon (en lat. persona) désigne le masque que revêt l’acteur pendant le déroulement d’une tragédie. Les stoïciens reprennent ensuite ce terme pour signifier l’idée de rôle joué par chaque individu dans son existence terrestre, indiquant ainsi l’idée d’une présence indirecte que manifestent et voilent à la fois le masque ou le rôle. Ce thème de la transcendance de l’être sur sa manifestation est encore plus explicite dans la définition du second mot grec que traduit le mot personne : Hypostase. Littéralement, ce terme signifie : « ce qui se tient sous l’apparence ». Il qualifie l’individu dont l’être essentiel ne se réduit ni au rôle qu’il joue, ni à l’image qu’il donne. Une personne est « une substance (sub-stans = se tient sous) individuelle de nature raisonnable (Boèce) ». Elle est une substance unique et originale, qui a cependant la raison en commun avec les substances du même nom. Le Christ, tout en ayant deux natures, n’a qu’une hypostase, c’est à dire ne forme qu’une seule personne. 

Il y a en Dieu, une seule Nature et trois Personnes, et ni la Nature divine n’existe en dehors des Personnes, ni les Personnes divines sans la Nature divine. Les Personnes divines sont des relations subsistantes. Les relations chez les créatures sont des accidents, mais en Dieu, qui est infiniment simple, il n’y a pas d’accident. Dieu est parfaitement simple, Il est un, et ne connaît aucune distinction entre substance et accident. Tout en Lui est la substance divine Elle-même. Par exemple, en Dieu la paternité est la substance divine elle-même et la filiation est la substance divine elle-même, c’est Dieu Lui-même qui est Sa paternité et Sa filiation. Est-il possible qu’une relation ne soit pas un accident comme c’est le cas chez les créatures mais soit la substance divine elle-même ? Nous ne pouvons pas comprendre, bien que cela ne recèle aucune contradiction, qu’une relation ne soit pas un accident mais soit la substance divine elle-même. Comme tout ce qui touche à l’être lui-même la notion de relation n’est ni univoque ni équivoque, mais analogue.

La distinction entre substance et accident peut être utilisée d’une autre manière encore concernant la théologie de la Trinité. Chez l’homme, pensée et amour sont des accidents dont la substance de l’homme est le sujet. Il n’en est évidemment pas ainsi en Dieu. Il ne faut donc pas s’étonner que la pensée de Dieu soit Dieu né de Dieu en Qui Dieu S’exprime, c’est-à-dire Fils, et que l’élan d’amour en Dieu soit Dieu spiré par Dieu en Qui Dieu Se donne, c’est-à-dire Saint-Esprit.

On pourrait se demander s’il n’y a pas plus de trois personnes en Dieu.

a)   La seule réponse absolument certaine à cette question est évidemment que le Nouveau Testament n’en nomme que trois.
b)   Mais on peut comprendre que la vie spirituelle étant intelligence et amour, il n’y ait en Dieu que deux processions, selon l’intelligence et selon l’amour. De plus, le Saint-Esprit en faisant le lien et l’unité du Père et du Fils termine par là le cycle intérieur de la vie divine.

TRINITÉ  ET CRÉATION

Maintenant, soumettons la révélation du mystère du Dieu Trinitaire à un test : s’Il est le vrai Dieu, Il est alors nécessairement le Créateur du monde. Or, aussi vrai que le potier laisse ses empreintes sur le pot de terre qu’il façonne, et que chacun de nous imprime sa marque dans son agir, il doit être possible de retrouver les traces du Dieu Trine dans la Création … Certes, les matérialistes veulent toujours croire que tout n’est que matière, mais la physique quantique a montré que les particules de matière, aussi minuscules qu’invisibles, n’ont ni lieu ni déterminisme, en sorte qu’au sein de la matière, tout n’est qu’interférences, à l’image de Dieu qui est Relation« Dieu a créé l’homme pour l’immortalité et l’a fait à l’image de Sa propre nature (Sg 2.23) », or Il l’a créé homme ET femme … Si donc l’image de Dieu est plurielle, Dieu ne dit-il pas qu’Il est pluriel ? Et même Trinité, car l’homme ET la femme sont appelés, par l’amour, à ne faire qu’un, de sorte qu’ils fassent trois … Par leur amour, qui prend le visage de leur enfant, l’homme et la femme sont unis tout en restant distincts. Ni le père, ni la mère, ni l’enfant n’existent sans les deux autres. L’homme n’existe qu’en famille, à l’instar de Dieu qui est Famille, Trinité. Il n’y a pas de pensée sans apprentissage de la parole, ni donc d’homme sans communauté : image du Dieu un qui n’existe qu’en relation (Gn 1.27). L’homme évolue au sein de relations filiale, fraternelle et paternelle. N’est-ce pas alors le même qui est à la fois fils, frère/époux , père ? Et pourtant, fils, frère/époux et père ne sont pas synonymes. Notre visage est formé de deux profils semblables et d’une face qui les unit : un seul visage en trois dimensions, comme le Père et le Fils se font face, unis par le même Esprit. De même que la face n’est pas la simple addition des deux profils mais possède sa propre réalité, de même l’Esprit-Saint est une Personne divine à part entière, procédant des deux autres avec lesquelles Il forme un seul et même Dieu. L’être humain est formé d’un corps, d’une âme et d’un esprit (1 Th 5.23). Le corps est composé de la tête, du tronc et des membres ; les membres inférieurs sont composés de la cuisse, de la jambe et du pied ; les membres supérieurs de l’avant-bras, du bras et de la main. La main, organe par excellence de l’agir, exprime encore plus précisément la nature trinitaire : le pouce, différent des autres doigts, leur fait face comme le Père seul est source de la divinité ; la nature divine du Fils est représentée par le doigt le plus long, le médius, et sa nature humaine par le doigt le plus petit, l’auriculaire, tandis que les deux spirations de l’Esprit Saint sont figurées par l’index et l’annulaire de même hauteur, reliant le Père et le Fils et les deux natures du Fils. Chaque doigt a trois phalanges. Le cerveau est organisé en trois parties : cortex, limbique et reptilien. L’âme humaine se divise en puissances végétative, sensitive et intellectuelle, tandis que l’esprit a trois facultés : l’intelligence, la mémoire et la volonté, lui permettant de connaître le vrai, le beau et le bien, chacun de ces transcendantaux étant réglé par la mesure, l’espèce et l’ordre. Dieu a créé trois sortes d’intelligence : intuitive, analytique et synthétique, pour trois sortes d’êtres : animal, humain et angélique. L’intelligence se déploie dans la syndérèse (perception immédiate des principes premiers), la science et la sagesse. Elle distingue le fait, l’idée, et le mot, le mot se rapportant à l’idée de façon univoque, équivoque ou analogue. Elle pense en trois temps : l’appréhension, le raisonnement et le jugement ; tout assertion voyant sa crédibilité reconnue au terme une analyse critique tri-dimensionnelle : logique, historique et empirique. Le raisonnement comprend la thèse, l’antithèse et la synthèse ; et utilise le syllogisme composé de la prémisse majeure, de la prémisse mineure et de la conclusion. La grammaire distingue le mot, la phrase et le paragraphe. La phrase est formée du sujet, du verbe et du complément. La structure de la connaissance est : sujet, média, objet. La loi naturelle s’exprime en trois tendances fondamentales : se perpétuer, connaître la vérité et vivre en société. Penser, aimer et faire structurent l’activité de l’homme, dont la moralité se juge d’après son intention, son objet et sa conjoncture. Trois caractères déterminent la morale : l’autonomie, l’intériorité et la spontanéité, et trois autres le droit : l’hétéronomie, l’extériorité et la coercition. Nous inspirons (nous sommes aimés) et nous expirons (nous aimons), c’est ainsi que nous respirons, à l’image du mouvement de l’Esprit-Saint unissant le Père et le Fils (c’est d’ailleurs le même mot en hébreu qui signifie vent et esprit, esprit/respirer). Le flux et le reflux de la marée, l’été et l’hiver, la diastole et la systole de notre cœur, l’inspiration et l’expiration de notre souffle … glorifient la Relation qui unit le Père et le Fils, un seul Dieu en toutes choses par Son essence, Sa présence et Sa puissance. Les trois ordres de la Création sont la matière, la vie et l’esprit. Les états de la matière sont au nombre de trois : gazeux, liquide et solide. L’univers est « réglé avec nombre, poids et mesure (Sg 11.20) », constitué de ces trois éléments intrinsèquement liés : l’espace, le temps et la matière. La structure du temps est trine : passé, présent et futur. Les interactions fondamentales de la matière sont gravitationnelles, électromagnétiques et nucléaires. L’espace à trois dimensions (devant/derrière, haut/bas, droite/gauche) dont la perception est liée aux trois plans perpendiculaires formés entre eux par les trois canaux semi-circulaires de l’oreille interne, tandis que la vision est actualisée dans l’œil par trois images du même objet, dites images de Purkinje. Chacun de nos deux yeux voit parfaitement, et cependant ils ne voient ensemble qu’une seule et même image… deux yeux et une vision stéréoscopique qui procède des deux. Tout acte ou changement implique pour un même sujet sa permanence entre un terme initial et un terme final. Tout mouvement implique dynamisme, direction et pesanteur. Les espèces du changement accidentel de toute substance sont le lieu, la quantité et la qualité. Trois éléments sont nécessaires à la vie : l’eau, l’air et la terre. La chaleur n’est pas la lumière, ni la combustion, et cependant on ne peut les séparer, elles sont un même feu. Le monde matériel est organisé en règnes minéral, végétal et animal. La cellule, élément de base de tout organisme, est composée de son noyau, du cytoplasme, et de la membrane qui l’entoure. Trois métaux existent sous forme naturelle, élémentaire et non-combinée : le cuivre, l’argent et l’or. Le carbone, qui est à la base de toute la chimie organique, se présente sous trois formes cristallisées : le graphite, le diamant, et la lonsdaléite. Les composants de l’atome sont : l’électron, le neutron, et le proton. La lumière de notre lampe nécessite la phase (+), qui apporte l’électricité, et le neutre (-), qui la reprend. À partir des trois couleurs primaires (bleu, jaune et rouge) on obtient toutes les couleurs. Pas d’épure sans trois figurations : plan, profil et élévation. Le point en lequel fusionnent le centre, le rayon et la circonférence, dit le mystère de la Sainte Trinité, comme le cercle, symbole d’unité, de totalité et de perfection, s’obtient à partir de la connaissance de trois éléments : son centre, son diamètre, et le mystérieux chiffre pi (?). La beauté requiert trois conditions : l’intégrité du sujet, l’harmonie de ses proportions, et son éclat. En musique, l’accord parfait est un accord de trois notes : une fondamentale, une tierce et une quinte juste (une tierce mineure superposée à une tierce majeure réfléchit la double spiration de l’Esprit-Saint). La vie sociale est organisée en trois pouvoirs distincts : religieux, guerrier et économique. Le droit naturel est conçu à partir de la loi de la nature, la loi de la raison, et la loi de la divinité. Toute religion est composée de croyances, de préceptes, et de rituels. Le peuple hébreu a pour racine trois patriarches : Abraham, Isaac et Jacob (Gn 50.24 ; Ex 2.24 ; 3.6,15 ; 4.5). Son Arche d’Alliance, qui figurait la présence de Dieu, contenait trois objets : les tables de la Loi, un vase contenant de la manne, et le bâton fleuri d’Aaron (He 9.4), tandis que dans le Temple, la ménorah, l’autel des parfums, et la table des pains de proposition occupaient l’espace du Saint.1 L’Église est formée de trois catégories de fidèles : les prêtres, les religieux et les laïcs, dont chacun, par le baptême, est prêtre, prophète et roi. Elle existe en trois conditions : sur terre, au Purgatoire et au Ciel, auquel on parvient par l’exercice des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité, suivant les phases purgative, illuminative et unitive de la vie spirituelle (Nb 19.6 ; 1 Co 13.13), dans la méditation de la Parole de Dieu dont le sens littéral s’interprète de façon symbolique, mystique et anagogique, tandis que la contemplation est nécessairement rectiligne, circulaire ou spirale. Sa doctrine repose sur l’accord de la Tradition, de l’Écriture et du Magistère. Le triangle équilatéral est un symbole bien connu de la Trinité, comme les deux plateaux et l’aiguille de la balance figurent la Justice.2 Aristote avait déjà trouvé que : « Le nombre 3 est le nombre de toute réalité, puisqu’il a un commencement, un milieu et une fin (De Coelo, I 2, 268a 11) ». On pourrait découvrir ainsi à l’infini la structure trinitaire de toute la Création. Pour terminer ce bref constat, remarquons encore comment, à l’instar des codons que sont les « mots » de trois lettres/nucléotides composant le code génétique, la racine des mots hébreux (sauf exception) est, elle-aussi, formée de trois lettres, en sorte que le Nom divin révélé à Moïse, יהוה (Ex 3.14), est lui-même composé de trois lettres différentes, dont la forme et la répartition représentent étonnamment, et les Personnes divines, et le jeu de leurs relations : le ה (hé, /h/), répété entre les deux autres lettres, figure l’inspiration et l’expiration de l’Esprit unissant le י (yod, /i/), simple point situé en haut, figurant l’Origine, comme le Père est aux Cieux, et le ו (waw, /v/), point s’étirant vers le bas, comme le Fils vient du Père et est descendu du Ciel.3 Telle est la leçon de l’Ecclésiastique : « Considère toutes les œuvres du Très-Haut : elles vont deux à deux, l’une en vis-à-vis de l’autre. (Si 33.15 ; 42.24-25) »4 Et, de fait, de toute créature la substance se répartit en deux parties identiques, de façon symétrique, autour d’un axe invisible, comme le Père et le Fils Se font face en leur Esprit. Comme le ciel et l’océan qui le réfléchit sont distingués et unis par la ligne d’horizon, « Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent (Ps 84.11) », et la Vie en jaillit ! Des indices ne sont certes pas des preuves, mais lorsqu’ils sont convergents, et aussi nombreux que toutes les créatures, la cause paraît entendue. Dieu n’ayant pu trouver qu’en Lui-même le modèle de ce qu’Il a créé (Sg 2.23), quelle autre signature que la structure trinitaire de la Création, de l’uni-divers, faudrait-il pour identifier son Créateur et la Sainte Trinité ?5 

Bref, tout cela pour asseoir, si besoin était, notre conviction que nous avons bien à faire au vrai Dieu en adorant son indivisible unité en ses trois personnes, avec lesquelles nous sommes appelés à avoir des relations personnelles (d’admiration, d’amour, de communion), avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Nous sommes invités à goûter leur présence en nos âmes. Grâce à l’Esprit-Saint, nous pouvons entendre le Père dire actuellement Son verbe en nos âmes, et ainsi co-naître intimement le Fils unique et Premier-né du Père, pour glorifier avec Lui Son Père comme étant aussi vraiment notre Père … Mais pour que nous le fassions dans l’adoration et non pas comme en pensant à une réalité lointaine, soulignons que la génération du Verbe est éternelle, donc présente … Jésus a promis l’habitation des personnes divines dans l’âme qui L’aime (Jn 14.23). Avec elles nous est donnée la grâce qui permet de goûter, par le don de sagesse, que “ce qui était au commencement” est actuellement en nous : le Père dit sans cesse en nous Sa Parole, et Il nous dit donc en Lui du fait que nous Lui sommes unis … Alors nous pouvons communier à la Joie divine (1 Jn 1.1-4) en étant comblés de tout ce que nous pouvons désirer … Comme dit saint Jean de la Croix : « Plus l’âme a d’espérance, plus elle a d’union avec Dieu. Plus l’âme espère de Dieu, plus elle obtient – et elle espère davantage dans la mesure où elle s’appauvrit davantage. (Montée du Carmel, 3.7.2.) »

Encore une fois, je dis cela, parce qu’être parfait comme Dieu est parfait suppose de connaître Dieu (co-naître), pour vivre comme Dieu et en Dieu. C’est au point, dit saint Jean de la Croix, qu’unie au Verbe incarné l’âme faisant tout avec Lui, elle spire même avec Lui l’Esprit-Saint … Saviez-vous cela, que vous êtes appelés à spirer l’Esprit-Saint en Dieu, à engendrer l’Amour divin, l’Amour du Père et du Fils, en étant fils dans le Fils, qui a pris votre nature humaine pour que vous soyez rendus participants de la nature divine (2 P 1.4)) ? Voici un extrait du Cantique Spirituel du maître par excellence de la vie spirituelle qu’est saint Jean de la Croix (Accrochez-vous !) :

« Le but de l’âme est d’arriver à l’égalité d’amour qu’elle a toujours désirée naturellement et surnaturellement : l’amant ne peut être satisfait s’il ne sent pas qu’il aime autant qu’il est aimé. D’où son désir d’être transformée actuellement en lui, car elle ne peut arriver à cette égalité que par une transformation totale de sa volonté en celle de Dieu ; ces volontés alors s’unissent de telle sorte que les deux sont unifiées et ainsi il y a égalité d’amour. En effet la volonté de l’âme, transformée en celle de Dieu, est toute désormais volonté de Dieu ; la volonté de l’âme n’est pas détruite pour cela, mais elle est devenue volonté de Dieu. Ainsi donc l’âme aime Dieu avec la volonté de Dieu, qui est aussi sa volonté à elle ; de la sorte elle l’aime autant qu’elle en est aimée, puisqu’elle l’aime avec la volonté de Dieu même, c’est-à-dire par le Saint-Esprit, et lui portera un amour égal à celui qu’il a pour elle. Le Saint-Esprit en effet est donné à l’âme, comme le dit l’Apôtre : « La grâce de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. (Rm 5.5) » (…) Or dans cette transformation Il Se communique à elle tout entier avec une tendresse ineffable, et lui donne son amour afin qu’elle s’en serve pour l’aimer. Dieu lui met pour ainsi dire l’instrument entre les mains ; il lui indique comment elle doit s’en servir. Je ne veux pas dire qu’elle aime Dieu autant qu’il s’aime, cela est impossible, mais autant qu’elle en est aimée, de même qu’elle doit connaître Dieu autant qu’elle en est connue ; car cet amour est commun à eux deux. Elle est devenue maîtresse en amour, puisqu’elle est unie au Maître même de l’amour ; en sorte qu’elle est pleinement satisfaite ; ce qu’elle ne pouvait être jusque-là. Elle aime donc Dieu d’une manière parfaite et du même amour dont il s’aime. Ceci est un état que l’on ne peut acquérir complètement sur la terre ; du moins quand l’âme arrive à cet état de perfection, qu’est le Mariage spirituel, cela est possible d’une certaine manière. De ce degré d’amour parfait il s’ensuit immédiatement comme un état de gloire où l’âme éprouve une jubilation intime, substantielle, toute divine. Il semble, en effet, et c’est exact, que toute la substance de l’âme est inondée de gloire ; elle exalte Dieu et éprouve, comme si elle le possédait, une suavité intime qui la porte à le louer, à lui témoigner son respect, son estime, à l’exalter dans la jubilation la plus vive et la plus embrasée d’amour.

L’Esprit par son aspiration divine élève l’âme très haut ; il l’informe pour qu’elle produise en Dieu la même aspiration d’amour que le Père produit dans le Fils, et le Fils dans le Père, qui est ce même Esprit-Saint qu’ils aspirent en elle dans cette transformation ; la transformation ne serait pas véritable en effet s’il n’y avait pas union et transformation de l’âme dans le Saint-Esprit comme dans les deux autres personnes de la Très Sainte Trinité (…). Et ceci est pour l’âme une gloire si haute, une source de délices si profondes, sublimes, qu’aucune langue mortelle ne saurait l’exprimer et qu’aucun entendement humain ne peut par lui-même en avoir une idée. En effet, une fois que l’âme est unie à Dieu, transformée en lui, elle aspire Dieu en Dieu, et cette aspiration est celle même de Dieu, car l’âme étant transformée en lui, il l’aspire elle-même en Soi. C’est là je pense ce que saint Paul a voulu dire par ces mots : « Puisque vous êtes les enfants de Dieu, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba ! Père ! (Ga 4.6) » Voilà ce qui a lieu chez les parfaits. Ne nous étonnons pas toutefois de savoir l’âme capable de parvenir à une telle élévation. Dès lors en effet que Dieu lui donne la grâce de devenir déiforme et unie à la Très Sainte Trinité, elle devient Dieu par participation ; comment serait-il incroyable qu’elle exerce ses œuvres d’entendement, de connaissance et d’amour dans la Sainte Trinité avec elle, comme elle, quoique d’une manière participée, Dieu les opérant en elle ? Puisqu’il en est ainsi, il est impossible d’atteindre une plus haute sagesse, une plus haute puissance ; on peut seulement donner à entendre comment le Fils de Dieu nous a obtenu d’arriver à un état si sublime et nous a mérité cette faveur si précieuse, comme dit saint Jean, de pouvoir devenir les enfants de Dieu (Jn 1.12). Aussi, a-t-Il adressé à son Père cette supplique : « Père, je veux que ceux que vous m’avez donnés soient avec moi là où je suis, afin qu’ils voient la gloire que vous m’avez donnée (Jn 17.24). » Cela veut dire : Qu’ils accomplissent par leur participation en nous la même œuvre que j’accomplis par nature, c’est-à-dire qu’ils aspirent le Saint-Esprit. Il a dit encore : « Père, je vous demande cela non seulement pour ceux qui sont ici présents, mais pour tous ceux qui, grâce à leur prédication, doivent croire en moi, afin que tous soient un, comme vous, mon Père, vous êtes en moi, et moi en vous, et qu’ainsi ils soient un en nous; la gloire que vous m’avez donnée, je la leur ai donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un; moi en eux et vous en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité, pour que le monde sache que vous m’avez envoyé, et que vous les avez aimés comme vous m’avez aimé. » Il leur communique donc le même amour qu’à son Fils, bien que ce ne soit pas naturellement comme à son Fils, mais, comme nous l’avons dit, par unité et transformation d’amour ; de même il ne faut pas croire ici que le Fils veuille dire au Père que les saints soient un par essence et par nature comme le sont le Père et le Fils, mais qu’ils le sont par union d’amour, comme le Père et le Fils le sont par unité d’amour. Les âmes possèdent donc par participation les mêmes biens que lui les a par nature : d’où elles sont véritablement dieux par participation, égales à Dieu. C’est ce que dit saint Pierre par ces paroles : « Que la grâce et la paix croissent en vous de plus en plus par la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; toutes les richesses de sa vertu divine nous ont été données pour notre vie et la piété de notre âme, par la connaissance de celui qui nous a appelés par sa propre gloire et sa propre puissance; il a réalisé en nous les promesses les plus hautes et les plus riches afin de vous rendre participants de la nature divine. (2 P I.2-4) » Ces paroles montrent que l’âme participe à la nature de Dieu, en accomplissant en lui et avec lui l’œuvre de la Très Sainte Trinité, à cause de l’union substantielle qu’il y a entre l’âme et Dieu. Ces merveilles, sans doute, ne s’accomplissent d’une manière parfaite que dans l’autre vie. Néanmoins quand l’âme arrive ici-bas à cet état de perfection, elle en voit les grands traits, elle en goûte les prémices, bien que, nous le répétons, il soit impossible de les exprimer.

Ô âmes créées pour de telles grandeurs !
Ô vous qui êtes appelés à les posséder ! Que faites-vous ?
A quoi vous occupez-vous ?
Vos prétentions ne sont que bassesse, et vos biens ne sont que misère.
Ô triste aveuglement ! Les yeux de votre âme ne voient plus !
En présence d’une lumière si éclatante vous restez aveuglés !
Quand des voix si puissantes se font entendre, vous restez sourds !
Comment ne voyez-vous pas que si vous recherchez
les grandeurs et la gloire de ce monde,
vous resterez vils et misérables,
ignorants de tous ces trésors du Ciel et indignes de les posséder ?

En entendant la voix de l’Époux qui résonne au plus intime de son âme, l’Épouse comprend que tous ses maux ont fini et qu’elle commence à jouir de tous les biens ; elle y trouve le rafraîchissement, le soutien et le sentiment de toutes les délices (…). En cette union ineffable elle jubile, et loue Dieu par Dieu lui-même, tout comme elle l’aimait avec lui, aussi sa louange est parfaite : étant en effet dans un état de perfection, elle accomplit des œuvres parfaites, sa voix est pleine de suavité pour Dieu et pour elle. (…) Là, sans bruit de paroles, sans le concours ni l’aide d’un sens corporel ou spirituel, comme dans le silence et la quiétude de la nuit, à l’insu de tout ce qui est sensitif et naturel, Dieu enseigne l’âme d’une manière très cachée et très secrète, sans qu’elle sache comment. (…) Pour être parfait, l’amour doit avoir ces deux propriétés : Il faut qu’il consume et transforme l’âme en Dieu, et que cette opération s’accomplisse sans souffrance. De la sorte, ce feu est un amour suave qui la consume comme le feu transforme le bois en feu ; et quand l’âme est transformée, il y a conformité parfaite et satisfaction des deux partis ; elle n’éprouve donc pas de souffrance à ce changement plus ou moins profond, comme cela lui arrivait avant de posséder cet amour parfait. Elle est déjà parvenue au but, elle est déjà transformée en Dieu et toute semblable à lui ; de même le charbon embrasé est semblable au feu, il ne donne plus de fumée, comme précédemment, il n’a plus cette noirceur ni tous ces accidents qui lui étaient propres avant de devenir du feu. Or ces propriétés qu’on appelle l’obscurité, la fumée, l’odeur, causent ordinairement quelque peine et fatigue à l’âme qui aime Dieu, tant qu’elle n’est pas arrivée à ce degré de perfection d’amour où elle sera possédée par le feu de l’amour d’une façon pleine, totale et suave; alors elle n’éprouvera plus de peine de la fumée des passions ou des événements de la nature; elle sera toute transformée par cette flamme d’amour suave qui l’a consumée par rapport à toutes les choses d’ici-bas et l’a rendue semblable à Dieu. Aussi toutes ses œuvres et toutes ses actions sont devenues divines. Par cette flamme, l’Épouse veut que l’Époux lui donne toutes les faveurs qu’elle a en vue ; elle ne veut ni les posséder, ni en jouir sans être embrasée en même temps de l’amour de Dieu le plus parfait et le plus suave. (Cantique Spirituel, Extraits des strophes 36-38) »

  1. He 9.2 ; Benoit Gandillot, La Bible, la lettre et le nombre, Le Cerf, 2021, p.326), et que le prêtre, ou l’homme justifié, étaient sanctifiés par trois onctions (Ex 12.7 ; Lv 14.14,17 []
  2. Que l’on ne me reproche pas le choix arbitraire d’une forme, car je ne parle pas ici d’autre chose que de la structure de l’être, non de la diversité des formes qu’il rend possible. []
  3. Remarquons encore comment ce ה (hé, /h/), de par sa fonction de maillon entre les deux autres lettres, et sa répétition à la fin du mot, semble offrir la possibilité de continuer l’écriture du Nom divin en lui rattachant d’autres lettres, représentant d’autres personnes, vous et moi, unies par le même Esprit que le Père et le Fils, pour former avec Dieu et entre nous, un même nom, un même être … Tout est dans le Nom divin ! Cf. Jean-Marie Mathieu, Le Nom de gloire, Éd. Désiris, 1992 ; P. René Laurentin, La Trinité, Fayard, 1999. []
  4. D’aucuns objecteront qu’il existe une foule d’exemples où la réalité laisse voir une structure non pas trinitaire, mais binaire, ainsi du jour et de la nuit, du haut et du bas, etc. A ceux-là il faut faire remarquer qu’entre les deux termes de chacun de ces exemples se situe toujours un troisième terme qui les relie (le temps pour le premier, l’espace pour le second. []
  5. Comme disait Jean Scot Érigène (IXe siècle) : Deus forma omnium summa est, Dieu est la forme suprême de toutes choses. J’ajoute qu’il n’y a nul besoin d’imaginer une évolution des espèces pour expliquer leur ressemblance structurelle. Les évolutionnistes sont partis des ressemblances pour forger la théorie de l’évolutionnisme : les nageoires seraient devenues des pattes palmées, et les pattes palmées des pattes, et ainsi pour tout le reste. Or, non seulement l’évolutionnisme est une hypothèse qui n’a jamais été démontrée, et n’est donc pas scientifique – la différence des espèces s’y opposant… spécifiquement -, mais les ressemblances entre les différentes créatures s’expliquent par la même structure trinitaire de notre commun Créateur se réfléchissant en chacune …   []