Par le très excellent Mgr Schooyans : 

« On pourrait penser que la casuistique est morte et enterrée, que les controverses du 17ème siècle devraient être terminées une fois pour toutes.

Il est rare que l’un de nos contemporains lisent encore les Lettres Provinciales et les auteurs que Pascal attaque (1623-1662) qui y sont mentionnés. Ces auteurs sont des casuistes, c’est-à-dire des moralistes qui cherchent à résoudre des questions de conscience sans succomber au rigorisme. En relisant les fameuses Lettres provinciales, nous avons été frappés par la similitude qui émerge entre un document controversé écrit au 17ème siècle et les positions défendues aujourd’hui par les pasteurs et les théologiens qui aspirent à des changements radicaux dans l’enseignement pastoral et la Doctrine de l’Église.

Le récent Synode sur la Famille (octobre 2014—octobre 2015) a révélé une pugnacité réformatrice dont les Provinciales nous donnent une meilleure compréhension. Pascal en vient à être connu dans une lumière inattendue.

Le trésor de l’Église

Le Synode sur la Famille a révélé un malaise profond dans l’Église—une crise de croissance sans doute, mais aussi des débats récurrents sur la question des “divorcés/remariés”, sur les modèles pour la famille, le rôle des femmes, le contrôle des naissances, la gestation par autrui, l’homosexualité et l’euthanasie. Il est futile de nous fermer les yeux : l’Église est mise au défi dans ses fondements mêmes. Ceux-ci se trouvent dans les Saintes Écritures, l’enseignement de Jésus, l’effusion du Saint-Esprit, l’annonce de l’Évangile par les Apôtres, une compréhension toujours plus fine de la Révélation, l’assentiment à la Foi par la communauté des croyants. Jésus a confié à l’Église la mission de recevoir ces vérités, de mettre en lumière leur cohérence et de les répandre.

L’Église n’a pas reçu du Seigneur la mission de modifier ces vérités ou de réécrire le Credo. L’Église est la gardienne de ce trésor. L’Église doit étudier ces vérités, les clarifier, approfondir leur compréhension et inviter tous les hommes à y adhérer par la Foi. Il y a même des discussions — sur le mariage, par exemple — qui ont été conclues par le Seigneur lui-même. C’est précisément pour dissimuler ces vérités historiques que les descendants des Pharisiens ont nié jusqu’à l’historicité des Évangiles [« Si un homme renvoie sa femme et en épouse une autre, il commet un adultère.  (Mc 10.11) »].

L’enseignement du Seigneur a une dimension morale exigeante. Cet enseignement nous pousse à recevoir fermement la Règle d’Or sur laquelle les grands sages de l’humanité ont médité pendant des siècles. Jésus a conduit cette règle à sa perfection, et la Tradition de l’Église a hérité de ses préceptes de conduite parmi lesquels celui de l’amour de Dieu et du prochain est primordial. « Faites pour les autres tout ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous : c’est là ce qu’enseignent les livres de la loi de Moïse et des Prophètes (Mt 7.12) ». Ce double commandement est la référence fondamentale pour les actions du Chrétien. Le Chrétien est appelé à s’ouvrir à l’inspiration de l’Esprit, qui est l’Amour, et à répondre à cette inspiration par la Foi, qui agit par l’amour (Ga 5.6). Entre l’un, l’amour, et l’autre, la Foi, le lien est indissoluble.

Si, dans l’enseignement de l’Église, ce lien est brisé, la morale chrétienne s’enfonce dans diverses formes de relativisme ou de scepticisme au point de se contenter d’opinions subjectives et fluctuantes. Il n’y a plus alors aucune référence à la vérité, ni à l’autorité qui la garantit. La transgression finalement disparaît parce que les points de référence moraux donnés par Dieu sont rejetés. L’homme, sera-t-il même suggéré, n’a plus besoin d’aimer Dieu ou de croire en son amour afin d’obtenir le salut. La moralité est fatalement divisée et la porte s’ouvre au légalisme, à l’agnosticisme et à la sécularisation.

Dans son enseignement, saint Paul nous exhorte à éviter les pièges d’une morale dépourvue de racines dans la Révélation. C’est ainsi qu’il exhorte les Chrétiens :

« Ne vous conformez pas aux habitudes de ce monde, mais laissez Dieu vous transformer et vous donner une intelligence nouvelle. Vous pourrez alors discerner ce que Dieu veut : ce qui est bien, ce qui lui est agréable et ce qui est parfait. (Rm 12.2) »

« Voici ce que je demande à Dieu dans ma prière : que votre amour grandisse de plus en plus, qu’il soit enrichi de vraie connaissance et de compréhension parfaite, pour que vous soyez capables de discerner ce qui est bien. (Ph 1.9 s ; 1 Th 5.19-22). »

Le retour de la casuistique

On perçoit ici le retour de la casuistique, censé permettre aux moralistes d’examiner et de résoudre les questions de conscience. Certains moralistes ont l’intention d’offrir des solutions qui plaisent à ceux qui ont recours à leurs connaissances supérieures. Pour nombre de casuistes d’hier et d’aujourd’hui, les principes fondamentaux de la morale sont éclipsés par les opinions (souvent divergentes) prononcées par ces conseillers spirituels sérieux. Le désintérêt avec lequel la morale fondamentale est maintenant perçue ouvre la voie à l’introduction d’une loi positive qui élimine les normes de conduite de toute référence restante aux règles fondamentales de la moralité.

Le casuiste, ou néo-casuiste, est devenu législateur et juge. Il cultive l’art de dérouter les fidèles. Le souci de la vérité, révélée et accessible à la raison, est maintenant sans intérêt. En fin de compte, le seul intérêt sera dans les positions « probables ». Grâce au ”probabilisme”, une proposition est ouverte à des interprétations contradictoires.

Le probabilisme permettra de souffler d’abord chaud, puis froid, pour et contre. L’enseignement de Jésus est oublié : « Si c’est oui, dites « oui », si c’est non, dites « non », tout simplement ; ce que l’on dit en plus vient du Mauvais (Mt 5.37 ; Jc 5.12 ; 2 Co 1.20) ». Cependant, chaque néo-casuiste suivra sa propre interprétation. La tendance est à la confusion des propositions, à la duplicité, à la double ou à la triple vérité, à une avalanche d’interprétations. Le casuiste a un cœur divisé car il a l’intention d’être un ami du monde (Jc 4.4-8).

Progressivement, les règles de comportement issues de la Volonté du Seigneur et transmises par le Magistère de l’Église perdent de leur pertinence. L’évaluation morale des actes peut donc être modifiée. Non content d’atténuer cette appréciation, les casuistes souhaitent transformer la loi morale elle-même. Ce sera la tâche des casuistes-confesseurs, des conseillers spirituels et, à l’occasion, des évêques. Tous doivent avoir un souci de plaire. Ils doivent en conséquence recourir au compromis, accommoder leurs arguments pour la satisfaction des passions humaines : personne ne doit être repoussé. L’évaluation morale d’un acte ne dépend plus de sa conformité à la Volonté de Dieu, telle qu’elle nous a été révélée par la Révélation. Elle dépend de l’intention de l’agent moral, et cette intention peut être modulée et modelée par le conseiller spirituel qui « soutient » ses disciples. Pour plaire, le conseiller spirituel devra adoucir la rigueur de la Doctrine transmise par la Tradition. Le pasteur devra adapter ses paroles à la nature de l’homme dont les passions sont naturellement entraînées vers le péché. D’où l’abandon progressif des références au péché et à la grâce originels.

L’influence de Pélage (un moine d’origine britannique) est évidente : l’homme doit se sauver lui-même et prendre sa destinée en mains. Dire la vérité ne fait pas partie du rôle du casuiste, qui doit captiver, présenter une argumentation engageante, attirer la faveur, rendre le salut facile et plaire à ceux qui aspirent à « écouter une foule de maîtres leur disant ce qu’ils aiment entendre (2 Tm 4.3)».

Bref, l’éclipse de l’apport décisif de la Révélation à la morale ouvre la voie à l’investiture du casuiste et crée un espace favorable à la mise en place d’un gouvernement des consciences. L’espace rétrécit pour la liberté religieuse telle qu’elle est offerte dans les Écritures aux enfants de Dieu, inséparable de la Foi dans le Seigneur.

Passons à l’analyse d’exemples dans lesquels les actions des néo-casuistes émergent clairement.

Le gouvernement des consciences

Parallèlement à l’arrivée des gouverneurs de conscience dans l’Église, apparaît la notion casuistique de gouvernement de la Cité, que l’on trouve, par exemple, chez Machiavel, La Boétie et Hobbes. Sans l’affirmer, les néo-casuistes sont certainement les héritiers de ces maîtres de l’art de gouverner les esclaves. Un Dieu mortel, le Léviathan définit ce qui est juste et ce qui est bon ; il décide ce que les hommes doivent penser et souhaiter. C’est lui, le Léviathan, qui gouverne les consciences, les pensées et les actions de tous ses sujets. Il n’a de compte à rendre à personne.

Les néo-casuistes se sont alignés sur les théoriciens de la tyrannie et du totalitarisme des trois auteurs cités plus haut. L’ABC du pouvoir totalitaire ne consiste-t-il pas tout d’abord dans la subjugation, et l’aliénation de la conscience ? Par ce moyen, les casuistes offrent une aide appréciable à tous ceux qui souhaitent mettre en place une seule religion civile, facilement contrôlable, et des lois discriminatoires à l’égard des citoyens.

L’adaptation des Sacrements ?

Pour plaire à tous, il faut « adapter » les sacrements. Prenons le cas du sacrement de pénitence. Le désintérêt actuel de ce sacrement est attribué au « rigorisme » des anciens confesseurs. Du moins, c’est ce dont nous assurent les casuistes. Aujourd’hui, le confesseur devrait faire que ce sacrement plaise aux pénitents. Cependant, en atténuant la sévérité attachée à ce sacrement, le néo-casuiste sépare le pénitent de la Source de la Miséricorde divine, à laquelle le pécheur doit pourtant revenir.

Les conséquences de cette déviation délibérée sont paradoxales et dramatiques. La nouvelle morale conduit le chrétien à rendre futile le sacrement de pénitence et, par conséquent, la Croix du Christ et Sa Résurrection (1 Co 1.17). Si ce sacrement n’est plus reçu comme une des manifestations majeures de l’Amour Miséricordieux de Dieu pour nous, s’il n’est plus perçu comme nécessaire au salut, il deviendra bientôt inutiles aux Évêques et aux prêtres d’offrir l’absolution aux pécheurs. La rareté et en fin de compte la disparition de l’offre sacramentelle du pardon par le prêtre conduiront et, en réalité, a déjà conduit, à d’autres aliénations, y compris celle du sacerdoce et de l’Eucharistie. Et ainsi de suite pour les sacrements de l’initiation chrétienne (baptême et confirmation) et le sacrement des malades, et de la liturgie en général.

En tout cas, pour les néo-casuistes, il n’y a plus de Révélation à recevoir ni de Tradition à transmettre. Comme il a déjà été remarqué : « La vérité, c’est ce qui est nouveau ! ». La nouveauté est le nouveau sceau de la vérité. Cette nouvelle casuistique amène les chrétiens à faire une rupture nette avec le passé. Enfin, l’obsession du compromis pousse les nouveaux casuistes à un retour à la nature, comme avant le péché originel…

La question du « re-mariage »

L’enseignement des néo-casuistes rappelle l’esprit de compromis démontré dans une large mesure par les évêques anglais vis-à-vis d’Henri VIII. Cette question est aujourd’hui pertinente bien que le mode de compromission soit différent. Qui sont les clercs de tous ordres cherchant à plaire aux puissants de ce monde ? Quel est le nombre de pasteurs de tous les rangs faisant allégeance aux puissants de ce monde avec qui il est si facile de jurer publiquement fidélité aux nouvelles « valeurs » du monde aujourd’hui ? En poussant pour faciliter le « remariage », les néo-casuistes donnent leur soutien à tous les acteurs politiques qui minent le respect de la vie et de la famille. Avec leur aide, les déclarations de nullité seront faciles à obtenir ainsi que les « mariages à la carte ».

Les néo-casuistes montrent un grand intérêt dans les cas de personnes divorcées et « remariées ». Comme dans d’autres cas, leur approche fournit une illustration de la tactique du salami (expression inventée par Matyas Rákosi), selon laquelle ce que l’on ne concéderait jamais dans son ensemble, on l’accorde tranche par tranche.

Ainsi s’accomplit ce processus :
Première tranche : au point de départ, nous trouvons des références à l’enseignement de l’Écriture sur le mariage et la Doctrine de l’Église.  Deuxième tranche : l’accent est mis sur les difficultés à « recevoir » cet enseignement.
La troisième tranche prend la forme d’une question : est-ce que les “divorcés/remariés [adultères publics]” sont en état de péché grave ?
La quatrième tranche voit l’entrée en scène du conseiller spirituel, qui aidera les personnes “divorcées/remariées” à « discerner » — c’est-à-dire choisir ce qui leur convient. Le conseiller spirituel devra alors se montrer compréhensif et indulgent, faire preuve de compassion. Mais de quelle compassion ? 
Pour le casuiste, en effet, lorsque l’on entreprend une évaluation morale d’un acte, le souci de compassion doit primer sur l’évaluation des actions objectivement mauvaises. Le conseiller doit être indulgent et s’adapter aux circonstances.
Avec la cinquième tranche, chaque individu est capable de discerner personnellement et en toute liberté ce qui lui convient le mieux. En effet, le mot “discernement” est devenu tout au long du processus, équivoque et ambigu. Il ne doit pas être interprété dans le sens paulinien des références scripturaires citées plus haut. Il ne s’agit pas de rechercher la Volonté de Dieu, mais de discerner le bon choix, celui qui correspond à ce que les pénitents souhaitent, “en conscience”.

Homicide

L’homicide est une autre question qui mérite notre attention, car elle est typique de la déviation d’intention. Selon la casuistique du 17ème siècle, l’homicide venant d’un désir de vengeance, était un crime. Pour éviter cette condamnation, il fallait écarter l’intention de se venger, et assigner à l’homicide une intention différente, moralement permise. Plutôt que d’invoquer la vengeance comme motif, le casuiste invoquait, par exemple, le désir de défendre son honneur, considéré comme moralement admissible.

Cette même déviation de l’intention est aujourd’hui appliquée. L’argument est le suivant : Mme X souhaite avorter. Pourtant, l’avortement est un crime inadmissible. L’intention est alors déviée, effacée. Au lieu de l’intention initiale, on fera valoir que, dans certaines circonstances, l’avortement est moralement admissible parce que, par exemple, son objectif est de sauver la vie de personnes malades, en fournissant aux médecins des parties anatomiques en bon état et à un bon prix. L’intention définit la qualité morale du don. Ainsi, il est possible de plaire à un large éventail de bénéficiaires dont la « générosité » et la « liberté d’esprit » des casuistes ne peut que plaire.

Les enseignements de l’Église sur l’avortement sont bien connus. Dès que l’être humain est conçu, l’Église enseigne que sa vie et sa dignité doivent être respectées. La Doctrine de l’Église sur cette question est constante et attestée dans toute la Tradition.

Cet enseignement n’est évidemment pas du goût de nos néo-casuistes. Ils ont donc inventé une nouvelle expression : l’humanisation de l’embryon. L’embryon n’a — disent-ils — d’humanité que si une communauté souhaite l’accueillir. C’est la société qui humanise l’embryon. Si la société refuse d’humaniser l’embryon, il ne peut pas en conséquence y avoir d’homicide, étant donné que l’humanité de cet embryon n’est pas reconnue.

Dans cet exemple, la tactique du salami vient en aide aux néo-casuistes : au départ, l’avortement est clandestin, puis présenté comme exceptionnel, puis rare, puis facilité, puis légalisé, puis habituel. Ceux qui s’opposent à l’avortement sont dénigrés, menacés, ostracisés, condamnés. C’est ainsi que les institutions politiques et la loi sont évacuées.

Notons que grâce aux néo-casuistes, l’avortement est d’abord facilité dans l’Église, et de là dans l’État. La même chose s’applique maintenant au « remariage ». La loi positive relaie de la nouvelle morale. Cela a été observable en France lors des débats sur la légalisation de l’avortement. C’est un scénario qui pourrait se propager à travers le monde. Sous l’impulsion des néo-casuistes, l’avortement pourrait être déclaré un nouveau « droit humain » à l’échelle universelle.

L’euthanasie

La question de l’euthanasie mérite également notre intérêt. Cette pratique devient de plus en plus banale dans les pays occidentaux traditionnellement chrétiens. Les démographes attirent régulièrement l’attention sur le vieillissement de la population dans ces régions du monde. L’espérance de vie augmente presque partout. En principe, le vieillissement est en soi une bonne nouvelle. Pendant des siècles, dans le monde entier, les hommes ont lutté contre la mort prématurée. Au début du XIXe siècle, l’espérance de vie était de trente ans. Aujourd’hui, l’espérance de vie est d’environ quatre-vingts ans.

Cependant cette situation en vient à générer des problèmes de toutes sortes. Qui paiera les retraites ? L’euthanasie des personnes âgées permettrait certainement de réaliser de belles économies ! Il sera alors avancé comme nécessaire d’aider les personnes âgées à « mourir dans la dignité ». Parce qu’il est politiquement difficile de reporter l’âge de la retraite, l’espérance de vie sera réduite. Le processus a déjà commencé dans certaines régions d’Europe — d’où une réduction des soins de santé, des produits pharmaceutiques et, surtout, des retraites. Parce que ces crimes heurtent la conscience de personnes non politiquement correctes, l’intention devra être modifiée pour que soit adoptée la loi légalisant l’euthanasie.

La façon de procéder ? Développer un argumentaire basé sur la compassion, invitant à mourir « dans la dignité ». La mort dans la dignité serait le point culminant de la qualité de vie ! Plutôt que de recommander un traitement palliatif et entourer la personne malade d’affection, elle sera induite en erreur quant au traitement à recevoir.

Des néo-casuistes vigilants seront sur place pour vérifier que l’acte « autorisant » le don de la mort est bien conforme à la loi positive. La coopération d’aumôniers soigneusement préparés sera particulièrement appréciée pour authentifier la compassion manifestée dans la mort donnée en cadeau.

La fête des casuistes

Les discussions au cours du synode sur la Famille ont révélé la détermination d’un groupe de pasteurs et de théologiens n’hésitant pas à saper la cohésion doctrinale de l’Église. Ce groupe fonctionne à la manière d’un parti puissant, international, bien nanti, organisé et discipliné. Les membres actifs de ce parti ont un accès facile aux médias ; ils apparaissent souvent sans masques. Ils fonctionnent avec le soutien de certaines des plus hautes autorités de l’Église. La cible principale de ces militants est la morale chrétienne, critiquée pour être d’une sévérité incompatible avec les « valeurs » de notre temps. Nous devrions trouver des moyens qui conduisent l’Église à plaire, en réconciliant son enseignement moral avec les passions humaines.

La solution proposée par les néo-casuistes commence par remettre en cause la morale fondamentale, puis à obscurcir la lumière naturelle de la raison. La signification originelle des références à la morale chrétienne révélées dans l’Écriture et l’enseignement de Jésus est déformée. Les préceptes de la raison sont considérés comme indéfiniment discutables — le probabilisme prévalant. Une primauté devrait être accordée à ceux qui sont assez puissants pour imposer leur volonté. Des partenariats disproportionnés avec les incroyants seront formés sans hésitation (2 Col 6.14).

Cette morale volontariste aura les mains libres pour se mettre au service du pouvoir politique, de l’État, mais aussi du marché, de la haute finance, de la loi… Concrètement, il s’agit de convaincre les chefs politiques, les champions de la fraude fiscale, les usuriers, les avorteurs, les fabricants de pilules, les avocats prêts à défendre les causes les moins défendables, les agronomes enrichis par des produits transgéniques, etc. La nouvelle morale pénétrera donc insidieusement dans les médias, les familles, les écoles, les universités, les hôpitaux et les tribunaux.

Cela a conduit à former un corps social qui refuse d’accorder la première place à la recherche de la vérité, qui est très actif là où il y a des consciences à gouverner, des assassins à rassurer, des malfaiteurs à blanchir. Grâce à ce réseau, les néo-casuistes peuvent exercer leur influence sur les rouages de l’Église, influencer le choix des candidats à ses hautes fonctions et forger des alliances mettant en péril l’existence même de l’Église.

Vers une religion de compromis ?

Le texte ici produit n’est pas un essai sur le synode consacré à la Famille. Il vise à attirer l’attention sur le clivage entre le Dogme et la Morale, sur la confusion entre la Vérité et la Nouveauté, entre la Morale et le Droit positif, entre la Vérité et l’Action, et à discerner des énoncés équivoques.

Ce qui est le plus troublant à l’égard des néo-casuistes, c’est leur désintérêt pour la vérité. Avec eux nous trouvons le relativisme, un scepticisme pour lequel il convient d’agir selon la norme la plus probable. On devrait choisir la norme qui, dans une circonstance donnée, est considérée comme la plus agréable à une personne donnée, à un public donné. Cela s’applique à la cité comme aux hommes. Tout le monde devrait désormais choisir non en fonction de la vérité, mais des circonstances, y compris pour les lois de la cité. Les meilleures lois sont celles qui plaisent au plus grand nombre. Nous assistons à l’expansion d’une religion du compromis, de l’utilitarisme individualiste puisque le souci de plaire aux autres n’ôte pas le souci de se faire plaisir.

Pour plaire, les néo-casuistes doivent être attentifs aux nouveautés, et considérer les Pères de l’Église et les grands théologiens du passé, même récent, comme inadaptés à la situation actuelle de l’Église, démodés. Pour eux, la Tradition de l’Église doit être filtrée et fondamentalement remise en question. Le désir de plaire s’adresse particulièrement aux gagnants, que la nouvelle morale sociale et politique doit traiter avec soin, car ils ont un mode de vie à protéger et même à améliorer ; ils doivent maintenir leur rang. Tant pis pour les pauvres, qui n’ont pas les mêmes contraintes matérielles ! Certes, il faut aussi plaire aux pauvres, mais tout le monde ne peut pas être un gagnant !

La moralité des néo-casuistes ressemble finalement à une gnose distillée dans certains cercles, une connaissance que l’on pourrait appeler ésotérique, ciblée sur une minorité de personnes qui n’ont pas besoin d’être sauvées par la Croix de Jésus. Le Pélagianisme a rarement autant fleuri.

La morale de l’Église a toujours reconnu qu’il y a des actes qui sont objectivement mauvais. Cette même théologie morale reconnaît aussi l’importance des circonstances. Cela signifie que, dans l’évaluation d’un acte, il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles l’acte a été posé et des niveaux de responsabilité ; c’est ce que les moralistes appellent en anglais accountability [en français : rendement de compte, responsabilité pour les résultats — un peu différent de la responsabilité comme telle]. Les néo-casuistes procèdent de la même manière que leurs devanciers : ils minimisent l’importance de la morale traditionnelle et insistent sur le rôle des circonstances. La conscience est alors conduite à se fausser par le désir de plaire.

Trop souvent,  les néo-casuistes oublient qu’avec Jésus un nouveau monde a déjà commencé. Nous rappelons ce point central de l’histoire humaine : « Maintenant, Je fais toutes choses nouvelles ! (Ap 21.5) », aussi  « Renouvelez-vous par une transformation spirituelle de votre jugement et revêtez l’Homme Nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité ! (Ép 4.2-3) ».

Les actions des néo-casuistes affectent non seulement l’enseignement moral de l’Église, mais l’ensemble de la théologie dogmatique, en particulier la question du Magistère. Ce point est souvent insuffisamment souligné. L’unité de l’Église est en péril là où il y a des suggestions biaisées, démagogiques, des propositions de décentralisation, largement inspirées par la réforme luthérienne… Mieux vaudrait servir les princes de ce monde que d’affirmer l’unité autour du Bon Pasteur !

Le caractère sacré de l’Église est en péril quand les néo-casuistes exploitent les faiblesses de l’homme et prêchent une dévotion facile qui oublie la Croix. La Catholicité est en péril là où l’Église s’aventure sur le chemin de Babel et sous-estime l’effusion de l’Esprit Saint. N’est-ce pas Lui, l’Esprit, qui à la Pentecôte rassemble la diversité de ceux qui partagent la même Foi en Jésus, le Fils de Dieu ? L’apostolicité de l’Église est en péril là où, au nom de l’exemption, mal comprise, une communauté, un « parti » s’exempte de la juridiction de l’Évêque, ou lorsque celui-ci ne se considère pas comme directement responsable devant le Pape. Beaucoup de néo-casuistes sont exemptés. Comment peut-on douter que cette exemption affaiblisse le corps épiscopal dans son ensemble ?

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