(Liturgie de la Parole : Gn 12 1-4 ; Ps 32 ; 2 Tm 1 8-10 ; Mt 17 1-9)

Le Carême est ce temps que nous consacrons à la préparation de la fête de Pâques, cœur de l’année liturgique, cœur de notre foi où s’opère notre salut. Ce qui est en jeu est suffisamment important pour que nous le préparions pendant quarante jours, de jeûnes, d’aumônes et de prières, ferventes.

Sans cette préparation qui doit réveiller, nourrir et affiner notre désir profond de connaître Dieu et Sa volonté, nous ne saurions prétendre fêter dignement, saintement, la Mort et la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ, non plus qu’entrer profondément dans la joie de notre salut…

De même qu’avant d’entreprendre la montée à Jérusalem où Il allait être crucifié, et ses disciples tentés de L’abandonner, le Christ voulut donner à la foi de Pierre, de Jacques et de Jean, en gage de Sa résurrection future, la révélation de Sa nature divine, de même, en ce deuxième Dimanche de Carême, l’Église nous invite-t-elle à méditer l’Évangile de la Transfiguration afin de renouveler et fortifier notre foi. Nous ne lutterons pas fidèlement contre le Diable, ses œuvres et ses pompes, si d’abord nous n’avons pas bien contemplé, sur la montagne, la gloire qui sera la nôtre, pour la désirer. C’est seulement alors que nous prendrons avec joie « notre part de souffrances en bon soldat du Christ Jésus (2 Tm 2.3)» pour vaincre avec Lui le péché, le Diable et la mort. La foi en Jésus, Fils de Dieu, mort et ressuscité, chasse le Démon et ses œuvres, comme le soleil chasse la nuit et ses fantômes … Ainsi donc, méditons la Transfiguration du Seigneur pour bénéficier de la grâce qui fut donnée à Pierre, Jacques et Jean.

Vous aurez remarqué que Jésus prend avec Lui seulement Pierre, Jacques et Jean, et non tous les Apôtres, bien qu’ils fussent tous appelés à affronter le scandale de la Croix de leur Maître, en sorte que le souvenir de Sa transfiguration leur serait à tous d’un précieux secours. Mais non ! Si Jésus révèle Sa gloire seulement à ses trois préférés parmi les préférés, à ceux-là qui seuls furent témoins de la résurrection de la fille de Jaïre, et qui seront encore, seuls, invités à partager Sa prière à Gethsémani, c’est certainement parce que l’amour est affaire de liberté, et que la liberté se manifeste dans le choix, l’élection. C’est aussi parce que la véritable grandeur, qui est humilité, répugne, dans sa pudeur, à toute vaine gloire, publicité, et curiosité … C’est aussi certainement parce que Jésus voulait que ses autres disciples aient le mérite de croire au témoignage des trois élus parmi les élus de Son cœur. Autrement dit, Jésus veut que les pierres dont Il fait Son Église soient liées entre elles par le ciment de la confiance (Ga 5.22)… Car, comme dit saint Paul : « La justice de Dieu se révèle de la foi à la foi  (Rm 1.17) ». Ce que Jésus veut pour nous, c’est l’exercice et l’accroissement d’une foi simple et confiante, intègre et méritoire. Or la foi a d’autant plus de mérite que rien d’extraordinaire, tel les visions, ne lui sert de motif pour poser son acte. C’est alors qu’elle nous rapproche le plus de Dieu qui est par nature invisible. Et c’est alors aussi que devient visible à nos yeux la grâce à nous donnée avant tous les siècles dans le Christ Jésus Son Corps qui est l’Église 

Ensuite, Jésus emmène les trois à l’écart sur une haute montagne. À l’écart, parce qu’on ne peut trouver le Créateur qu’en se séparant des créatures, ce que Dieu demanda à Abram en lui disant: «Pars de ton pays, laisse ta famille et la maison de ton père (Gn 12.1)», à l’écart, parce que suivre le Christ c’est accepter d’être mis de côté, incompris, humilié, persécuté (2 Tm 3.12) ; sur une haute montagne, parce qu’il nous faut passer de la chair à l’esprit, atteindre le point où la terre et le ciel se rejoignent, là où Dieu Se laisse voir, toucher, manger… La mise à l’écart et l’ascension tracent les dimensions horizontale et verticale de la vie chrétienne, qui n’est autre, en son essence, que la contemplation de Dieu incarné (Ap 22.4), contemplation qui est vie éternelle (Jn 17.3). Bienheureux ceux qui ont compris que «La réalité, c’est le Corps du Christ (Col 2.17) »

Si Jésus est Dieu et si Dieu est Trinité, alors la révélation de la divinité de Jésus ne peut être que trinitaire. Aussi, non seulement voyons-nous Jésus en Gloire, mais entendons-nous le Père, et cela au sein de la nuée lumineuse qui est une manifestation de l’Esprit-Saint. L’Esprit-Saint S’était déjà manifesté sous la forme d’une nuée lumineuse, couvrant de son ombre, lorsqu’à l’annonciation de l’archange Gabriel, la Vierge Marie donna son fiat (Lc 1.35) … Au Baptême du Christ, l’Esprit-Saint était apparu sous une autre forme, celle d’une colombe descendant du Ciel, tandis que le Père faisait entendre Sa Voix pour dire la même chose: «Celui-ci est Mon Fils bien-aimé en Qui J’ai mis tout Mon amour (Mt 3.16-17)». Sans l’action de l’Esprit-Saint nous ne pouvons ni entendre le Père ni voir le Fils.

De même que lors de l’Exode, le Dieu d’Israël conduisait son peuple, le jour, par une colonne de nuée, et la nuit par une colonne de feu, «afin qu’ils puissent marcher de jour et de nuit » (Ex 13.21), ainsi, la Gloire de la Divinité qui irradiait de la Personne de Jésus devint une nuée couvrant de son ombre ses disciples. Cette ambivalence de lumière et d’ombre s’explique selon que la Gloire de Jésus est considérée en elle-même, et alors elle apparaît pour ce qu’elle est, Lumière, soit selon qu’elle est considérée relativement à nous-mêmes, et alors elle est ténèbres, car l’homme est naturellement incapable de voir Dieu, à moins d’une transformation opérée par l’Esprit-Saint… et la mort à la vie présente (Ex 33.20 ; Jg 13.22). Ainsi, la Transfiguration du Seigneur ne manifeste pas seulement Sa Gloire, mais rend témoignage aux disciples de Son sacrifice, dont S’entretiennent précisément Jésus, Moïse et Elie (Lc 9.31). Il y a ceux qui ne voient rien parce qu’ils ne veulent rien voir, et il y a ceux qui ne voient rien parce qu’ils sont aveuglés par l’excès de lumière! Tel est Dieu: Il rend la vue aux aveugles et rend aveugles ceux qui voient (Jn 9.39), Il prend à celui qui n’a pas et donne à celui qui a (Mt 13.12) ! Bienheureux sont les chrétiens, les seuls à pouvoir contempler la vraie lumière (Jn 14.6), grâce au filtre de l’humanité de Jésus leur tamisant la lumière divine !

Dans Sa prière, Jésus fut transfiguré, Son corps devint brillant comme le soleil et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Son corps, aujourd’hui, c’est nous (1 Co 12.27)… et ses vêtements, ce sont nos bonnes actions (Ap 19.8) … C’est nous qui sommes en ce monde Sa gloire, et la rayonnons par nos bonnes œuvres (Mt 5.16), «enfants de Dieu sans tache au sein d’une génération dévoyée et pervertie, d’un monde où vous brillez comme des foyers de lumière (Ph 2.15)».Jésus a prié pour que nous soyons un avec Lui comme Lui-même était un avec le Père (Jn 17.21). Lui, la Lumière du monde (Jn 8.12), fait de nous la lumière du monde (Mt 5.14), et Il le fait par notre contemplation : comme le soleil se réfléchit dans les miroirs pour les transformer eux-mêmes en lumière ! La lumière ne vient pas pour être cachée, mais pour être mise sur le lampadaire! Sommes-nous bien conscients de notre dignité et de notre mission? Spécialement en ce temps de Carême, bienheureux seront les choisis, qui acceptent de suivre Jésus, à l’écart, pour chercher Dieu, et voir leur âme, lavée par le sacrement de la confession, dans le Sang de l’Agneau pascal, redevenue blanche comme neige, étincelante comme la lumière! Je me souviens d’un ami me disant qu’un jour, après avoir communié, alors qu’il était en train d’adorer de tout son cœur Dieu venu Se donner à lui, il s’était vu tout entier semblable à une torche de feu, au point qu’il s’étonnait que personne autour de lui ne prisse feu à son contact ! Il s’agit là bien sûr de réalités incommunicables, puisqu’elles dépassent les limites de notre nature, et c’est pourquoi Jésus demande aux trois de ne rien dire de ce qu’ils ont vu: personne ne les croirait! Bienheureux donc ceux qui croient sans avoir vu! Bienheureux ceux que l’amour conduit à la communion avec Jésus! «Bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu (Mt 5.8) !»

Comme Jésus, Moïse et Élie ont supporté un jeûne de quarante jours et de quarante nuits au désert, au terme duquel ils ont rencontré Dieu. Moïse au Sinaï reçut le Décalogue et Élie au mont Horeb reçut la mission de restaurer le culte divin. Ils apparaissent ici pour confirmer aux yeux des Apôtres l’authenticité de la mission de Jésus en l’inscrivant dans l’histoire religieuse d’Israël. Jésus, en effet, à la différence par exemple de Mahomet, n’entre pas par effraction dans l’Histoire du Salut: Il reçoit le témoignage de la Loi et des Prophètes. Il vient accomplir le salut qu’ils ont annoncé. Mahomet ne vient rien accomplir, mais détruire l’œuvre du Christ (Mt 24.4,11,24; Ga 1.9; 1 Jn 4.2-3). Mais revenons à Moïse et Elie qui, par leur présence visible, annoncent la bonne nouvelle de la résurrection corporelle de tous ceux qui, comme eux, auront été fidèles à aimer et servir le vrai Dieu, dans le jeûne et l’espérance, la foi et la prière, la charité et la miséricorde.

Par Sa Transfiguration, Jésus a voulu donner la vision de la Gloire dans laquelle Son Humanité allait bientôt entrer après Sa terrible Passion. Il fortifia ainsi la foi de ses Apôtres bientôt livrés au Démon du doute. Puisse-t-Il aujourd’hui encore affermir en nous la conviction que la vocation humaine est la contemplation de Dieu (1 Jn 3.2), la participation à Sa Gloire, Souveraine Beauté et Joie infinie, de sorte que la pensée de notre mort nous devienne la source d’un bonheur ineffable grandissant sans cesse à mesure que se rapproche l’heure des Noces éternelles !