Le cardinal Sarah et l’épée de saint Pierre

Je suis allé écouter le cardinal Sarah à l’église Saint Eugène à Paris, et ai été surpris qu’il ait condamné, comme il l’a fait ailleurs, le choix fait par certains jeunes et valeureux Occidentaux d’aller s’enrôler dans les milices chrétiennes d’autodéfense au Moyen-Orient, au motif que lors de Son arrestation, Jésus a dit à Pierre : « Remet ton épée dans le fourreau. Celui qui fait périr par l’épée périra aussi par l’épée. » (Mt 26.52).Son-Eminence-le-cardinal-Sarah-à-Saint-Eugène-05

Or, nonobstant le religieux respect que je dois ‒ et que j’ai ‒ pour le cardinal, force est pour moi de dénoncer le contresens qu’il fait de cette citation. En effet, Jésus ne donne pas là un enseignement public, qui serait valable pour tous en tout temps, mais Il S’adresse à Pierre, en personne, pour le dissuader d’intervenir, parce que s’il le faisait, il déclencherait en retour une réaction de violence qui lui infligerait la mort, à l’instar du sort encouru par tout soldat en exercice, et que Pierre avait une mission qui lui demandait de vivre encore quelques temps, d’une part, et que d’autre part, la mission, unique, de Jésus, voulait qu’Il S’offrît à cet instant pour souffrir et mourir en expiation des péchés du monde. Si le but de cette citation avait été ce que dit le cardinal, Jésus n’aurait pas demandé peu de temps auparavant à ses disciples de savoir s’acheter une épée en cas de besoin (Lc 22.36), ni ajouté qu’Il pouvait faire intervenir sur le champ plus de douze légions d’anges, non plus qu’il Lui fallait accomplir ainsi la Volonté de Dieu telle que les Écritures l’avaient annoncée… Si Jésus est notre modèle, c’est dans la sainteté et la perfection avec lesquelles Il accomplit Sa propre vocation, non en ce que la Sienne annulerait la diversité des nôtres. Jésus n’était ni plombier ni photographe, ce n’est pas pour autant que les chrétiens n’ont pas à être plombier ou photographe… ou soldat. Autre chose serait de contester la légitimité de l’entreprise de ces jeunes gens au regard des règles de la juste guerre indiquées par l’Eglise (Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°2309).

Gace (Normandy, France) - Stained glass window

Vitrail de l’église saint Pierre à Gace (Orne)

L’adage cité par Jésus ne condamne donc pas le service militaire, mais rappelle le destin encouru par les soldats, que Pierre aurait ici risqué inutilement. S’il en était autrement, le cardinal condamnerait les saints militaires, saint Louis et sainte Jeanne d’Arc, saint Bernard et saint Jean de Capistran, et l’Église qui a lancé les Croisades en défense – déjà ! – des chrétiens orientaux, et continue à enseigner que : « Ceux qui se vouent au service de la patrie dans la vie militaire, sont des serviteurs de la sécurité et de la liberté des peuples. S’ils s’acquittent correctement de leur tâche, ils concourent vraiment au bien commun de la nation et au maintien de la paix. » (Catéchisme de l’Église Catholique, n°2310)… A la décharge du cardinal, outre que l’erreur est humaine, on peut facilement penser que venant d’un pays à majorité musulmane, il soit conduit, sur ce sujet, comme sur celui… de l’islam, à adopter un langage… “minimaliste”.

Le jugement erroné du cardinal me semble toutefois relever d’une profonde et courante aversion des chrétiens pour tout ce qui pourrait donner d’eux l’image de méchantes gens… Pour correspondre à l’image de gentilles personnes, tolérantes et pacifiques, ils en sont venus à tout tolérer. A l’image de ce Jésus dévirilisé, inoffensif qu’ils se sont imaginé, ils sont devenus eux-mêmes inoffensifs… si bien insipides que l’on ne sait plus aujourd’hui, comme Jésus l’avait annoncé, que les ridiculiser, jeter à la rue et fouler aux pieds (Mt 5.13). Je tiens cette pathologie spirituelle pour responsable, et depuis des lustres, des manquements du service de l’autorité dans l’Église : pour ne pas risquer de passer pour autoritaires et déplaire au monde (Ga 1.10), les pasteurs ont renoncé à dénoncer hérésies et péchés. Et c’est ainsi que la vigne, faute d’être taillée, a poussé des sarments qui s’allongent toujours plus à la recherche du monde environnant (Jc 4.4 ; 1 Jn 2.15), chargés de feuilles inutiles (2 Tm 4.4), tandis que manquent ses fruits (Jn 15.2)…

Pour en revenir au cardinal, dont je me réjouirais qu’il soit un jour élu pape, parce que je l’entends déjà vouloir notamment et fermement résister à ceux qui veulent que l’Église donne la communion eucharistique aux adultères publics et reconnaisse l’union des paires homosexuelles, et parce que je crois qu’il veut vraiment aimer Dieu plus que tout. Je me demande cependant s’il saura enlever le mauvais du milieu de l’Église (1 Co 5.13), ainsi que sa responsabilité de Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements lui en fait le devoir, en condamnant canoniquement  (can. 1369 & 1371les cardinaux et évêques qui ont, à l’occasion du présent et malheureux synodepubliquement blasphémé la sainteté et l’inviolabilité des sacrements d’eucharistie et de mariage, et tenté de damner les chrétiens en leur faisant accepter le péché… 

Pour finir, je rappelle les propos du 19 août 2014 déjà de Mgr Nona, archevêque de Mossoul : « Notre souffrance est un prélude à ce que vous-mêmes, chrétiens européens et occidentaux, souffrirez dans un futur proche. Si vous ne comprenez pas cela rapidement, vous tomberez victimes d’un ennemi que vous aurez accueilli dans votre maison. » et ceux du 21 aout 2014 le patriarche Youssef II Younane, patriarche des syriaques-catholiques : « Nous lançons un cri d’alarme ! Il n’y a pas matière à débat ! C’est notre survie en Mésopotamie qui est en jeu ! Les nations libres qui adhèrent à la charte des droits de l’homme doivent avoir le courage d’être fidèles à leurs principes. Nous demandons une intervention internationale pour nous défendre et nullement pour conquérir. Nous avons le droit de nous défendre et nous demandons à être défendus. La communauté internationale l’a bien fait au Kosovo, malgré l’opposition alors de la Russie. Nous allons essayer, avec le pape François, de faire reconnaître notre droit à une intervention militaire défensive pour faire face aux groupes jihadistes qui nous menacent. » Faut-il attendre que tous les chrétiens du Moyen-Orient soient morts pour se décider à intervenir ? Peut-on condamner ces jeunes gens qui ne veulent pas, eux, être coupables du crime de non-assistance à personnes en danger ? 

Abbé Guy Pagès

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