Le 22 août 1965, à l’hôpital Saint-Boniface de Winnipeg, ville du sud du Canada, naissent de beaux jumeaux en pleine santé, Bruce et Brian Reimer. Fils de Ron, 20 ans, ouvrier dans un abattoir, et de Janet, 18 ans, serveuse au Red Top Diner, ils étaient promis à une existence sinon banale, en tout cas certainement anonyme. La vie en a décidé autrement, et leur histoire, retracée par le journaliste américain John Colapinto en 2000, enfin publiée en France avec l’ajout des derniers épisodes (1), est à la fois un récit humain poignant et une réflexion passionnante sur les mystères de l’identité sexuelle.

Controverse. Qu’est-ce qui fait que l’on se sent garçon, qu’est-ce qui fait que l’on se sent fille ? Brian, et surtout Bruce, se sont retrouvés au cœur de ce débat, leur «cas des jumeaux» disséqué par les scientifiques. Au printemps 1966, alors qu’ils ont tout juste sept mois, leur mère remarque qu’ils pleurent chaque fois qu’ils mouillent leur couche, semblent souffrir en urinant. Le pédiatre préconise une circoncision. Bruce est le premier emmené au bloc. Le chirurgien recourt à un instrument peu habituel, qui incise par transmission d’un courant électrique. Et brûle entièrement le pénis de Bruce.

Aux parents en détresse apparaît alors le docteur John Money, qui leur semble un sauveur providentiel. Ce psychologue «soigne» des enfants intersexués, dotés à la fois d’attributs sexuels féminins et masculins. Au sein de l’hôpital américain Johns-Hopkins, avec une équipe chirurgicale, il y pratique leur transformation systématique en filles. Pour lui, «l’identité de genre d’un enfant est déterminée par la manière dont on l’élève et non par la biologie». On se sent garçon ou fille selon qu’on vous habille en pantalon ou en jupe, qu’on vous offre des pistolets ou des Barbie. Dès lors, Money affirme qu’il est possible de changer sans heurts le sexe d’un enfant avant 2 ans et demi. La nature rendant plus facile une conversion vers la féminité (vaginoplastie plutôt que phalloplastie), c’est ainsi qu’il procède sur des dizaines d’intersexués. Et sur Bruce. L’ablation des testicules a lieu en juillet 1967. L’enfant s’appelle désormais Brenda.

En haut à droite, les jumeaux Brian et Bruce dans les bras de leur mère. En bas à droite, à 2 ans, Bruce devient Brenda. A gauche, redevenu un garçon, prénommé David, le jour de son mariage.

Un biologiste, Milton Diamond, conteste la théorie de Money, s’appuyant sur des expériences réalisées avec des souris. Il a exposé des fœtus femelles, in utero, à des fortes doses de testostérone, et constaté qu’après la naissance elles se comportaient en mâles, tentant de «monter leurs congénères». Le rôle des hormones, et donc du sexe biologique, est pour lui incontournable dans la détermination du genre. La controverse entre les chercheurs est virulente. Dans cette bataille, Money est fier de présenter le premier exemple de «réassignation sexuelle complète» sur une personne à l’origine dotée d’«attributs masculins parfaits», Bruce/Brenda. On ne pourra plus lui opposer que ses travaux ne concernent que des intersexués. Miracle du destin, ce «cas» est doté «d’un double génétique parfait», son jumeau Brian – élevé, lui, en garçon, et permettant donc les comparaisons.

Désastre. John Money ne va pas s’en priver, enchaînant les publications sur le «succès» de son intervention, détaillant sans fin les «comportements féminins» (cuisine, poupées) de Brenda et les opposant à ceux, «masculins» (bagarres, petites voitures), de son frère.

Or, la réalité est inverse en ce qui concerne Brenda : la petite fille urine debout, déchire ses robes, n’adopte que des jeux et attitudes de garçon. Maintenue dans l’ignorance de son sexe de naissance à la demande de Money, elle n’a de cesse de s’opposer au psychologue, fuyant ses consultations, refusant le traitement hormonal, manifestant de mille façons sa masculinité… Jusqu’à ce que ses parents, à 14 ans, lui révèlent la vérité. Dans la foulée, elle change de sexe. Et choisit de se prénommer David.

Bruce, Brenda et David est la narration sensible de toutes ces étapes, fondée sur des centaines d’heures d’entretiens avec le principal intéressé et sa famille. Au téléphone, l’auteur, John Colapinto, nous raconte, dépité, comment des «conservateurs» ont détourné son livre pour affirmer «que le genre dépend uniquement de la génétique, que les hormones déterminent tout, et notamment que les femmes doivent rester en cuisine, ne pas travailler…» Un peu comme les féministes s’étaient emparées des travaux de Money pour dénoncer le poids du conditionnement par l’éducation. «Ce que j’ai voulu montrer, poursuit l’auteur, ce n’est pas que l’inné est plus important que l’acquis, ou l’inverse, mais justement qu’il faut se méfier de l’intrusion du politique et du politiquement correct dans la recherche scientifique pour comprendre ce qui fait un homme ou une femme.» Tombé amoureux de sa propre théorie, insensible au réel, John Money a imposé à Bruce un désastre. La vérité sur le «cas des jumeaux» a permis aux associations d’intersexués de lutter contre les opérations et réassignations sexuelles précoces dans l’enfance, et pour l’autodétermination des personnes. Bruce/David, lui, s’est suicidé en 2004, deux ans après la mort par overdose de son jumeau Brian.

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  • Une expérience qui sert de caution à la « théorie du genre »

C’est à partir de ce simple cas que la « théorie du genre » s’est développée en prétendant que ce que nous appelons communément le « sexe biologique » renvoie bien davantage aux rôles et comportements sexuels qu’à un processus biologique de sexuation. Les motivations de Money montrent que ce que nous appelons le « sexe », biologique, stable, évident, comporte toujours un surplus par rapport à la sexuation des corps. Ce que nous appelons alors le « sexe des individus », c’est-à-dire la bicatégorisation sexuelle des individus en « mâles » et « femelles » serait davantage le fait de facteur exogène que d’une détermination endogène. Cela ne remet pas seulement en question la causalité « naturelle » du sexe (mâle et femelle) sur le genre (homme et femme) et la sexualité (hétérosexualité), prônée par la majorité des écrits médicaux du XIXème siècle, mais bien notre définition même du sexe biologique. »1 

Dès 1972, Ann Oakley, une sociologue britannique, s’est appuyée sur les travaux de Money pour imposer la distinction entre sexe et genre et la populariser au sein des milieux féministes grâce à son livre « Sex, gender et Society ».

«Les recherches sur les individus « intersexes » ainsi que sur les phénomènes de transsexualité, démontrent que ni le désir sexuel, ni le comportement sexuel, ni l’identité de genre ne sont dépendants des structures anatomiques, des chromosomes ou des hormones. D’où l’arbitraire des rôles sexuels.» affirme, de façon péremptoire, Ilana Lôwy, dans les Cahiers du genre.2 

Quant à Elsa Dorlin, professeur de philosophie à l’Université Paris 8, elle poursuit :« A partir de cette première élaboration, le concept de genre a été utilisé en sciences sociales pour définir les identités, les rôles (tâches et fonctions), les valeurs, les représentations ou les attributs symboliques, féminins ou masculins, comme les produits d’une sociabilisation des individus et non comme les effets d’une «nature».»3

  • Une expérience qui finit comme un drame

Les avocats de la théorie de genre, qui aujourd’hui encore s’appuient sur l’expérience de Money pour légitimer leurs thèses, oublient toujours de préciser ce qui est arrivé à la petite Brenda. La transformation a-t-elle été aussi réussie qu’ils le prétendent?
La réalité est malheureusement beaucoup plus tragique.

Malgré les traitements hormonaux et la thérapie, Bruce devenue Brenda n’a jamais réussi à se sentir bien dans sa peau. À 13 ans, il ou elle manifesta des tendances suicidaires et refusa de continuer à voir le Pr. Money.

Face à la détresse de leur enfant, les parents de «Brenda» furent amenés à lui révéler la vérité sur sa réassignation de genre et « Brenda » entrepris une nouvelle transformation pour redevenir un garçon et demanda à ce que désormais on l’appelle « David ». En 1997, David se soumit à un traitement pour inverser la réassignation, avec injections de testostérone, une double mastectomie et deux opérations de phalloplastie.

Cette malheureuse expérience marqua profondément David Reimer qui décida de rendre public son histoire. Il publia, en 1997, un livre dans lequel il témoigna des conséquences néfastes de ces thérapies afin d’éviter que d’autres enfants subissent les mêmes traitements. David Reimer ne fut pas le seul à en pâtir, car son frère jumeau, Brian, a également été très affecté par l’ambiance familiale oppressante. Il est mort d’une overdose vers la trentaine, et David le suivit deux ans plus tard (en 2004) dans la tombe en mettant fin à sa vie… Les parents eux-mêmes finirent par se suicider…

Voilà comment finit la vie tragique de Bruce/Brenda/David Reimer.

Malheureusement, ce drame n’a pas empêché ceux qui voyaient en lui un simple cobaye au service de leur «théorie» de continuer à se référer à cette expérience comme si elle avait été une réussite.

La mort tragique de David Reimer aurait dû servir de leçon aux apprentis sorciers de la théorie du genre. Malheureusement, ils ont préféré oublier ce triste épilogue et continuent, aujourd’hui encore, à le cacher pour ne pas discréditer leur théorie.

Un théoricien du genre avoue : « J’ai tout inventé »

Voilà un témoigne qui entame sérieusement la crédibilité des études de genre… L’historien canadien Christopher Dummitt a avoué dans le journal en ligne australien « Quillette » avoir falsifié les conclusions de ses recherches, au service de la théorie du genre.

« Je passais de nombreuses soirées à débattre du genre et de l’identité avec d’autres étudiants – voire avec n’importe qui avait la malchance de se trouver en ma compagnie. Je ne cessais de le répéter : « Le sexe n’existe pas. » Je le savais, un point c’est tout. Parce que j’étais historien du genre », rappelle-t-il en guise de préambule à ses aveux.

« À l’époque, pas mal de gens n’étaient pas de mon avis. Toute personne – c’est-à-dire pratiquement tout le monde – n’ayant pas été exposée à ces théories à l’université avait bien du mal à croire que le sexe n’était globalement qu’une construction sociale, tant cela allait à l’encontre du sens commun. Mais, aujourd’hui, ma grande idée est partout », poursuit-il.

« Aujourd’hui, j’aimerais faire mon mea culpa », annonce-t-il. « Mais je ne me contenterai pas d’être désolé pour le rôle que j’ai pu jouer dans ce mouvement. Je veux détailler les raisons qui me faisaient faire fausse route à l’époque, et celles qui expliquent les errements des socio-constructionnistes radicaux contemporains. J’ai avancé les mêmes arguments qu’eux et je sais qu’ils sont faux. »

Après avoir détaillé ses travaux universitaires et ses méthodes, M. Dummitt reconnaît que son travail était celui d’un militant, et non d’un historien : « J’avais tort. Ou, pour être un peu plus précis : j’avais partiellement raison. Et pour le reste, j’ai globalement tout inventé de A à Z. Je n’étais pas le seul. »

Sa conclusion est une bombe pour ces collègues : « Les erreurs de mon propre raisonnement n’ont jamais été dénoncées – et n’ont en réalité qu’été confirmées par mes pairs. »

Antoine Béllion (Source)

  1. Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualité, PUF, 2008, pp.36-37 []
  2. Cité par Elsa Dorlin, ibid, p.39 []
  3. ibid, p.39 []