« La bénédiction des couples arc-en-ciel est une hérésie. Les évêques belges ne peuvent pas les légitimer en se référant à de prétendues déclarations du Pape. Même s’il l’avait dit, il n’est pas de sa compétence de changer la Révélation. » ; « Le but de la voie synodale allemande est de devenir la locomotive de l’Eglise universelle. » ;  « Il est absurde de s’en prendre à l’ancien rite. » ; « La Curie romaine n’est pas l’État du Vatican, sa sécularisation est une erreur théologique. » Le cardinal Müller s’exprime à l’occasion de la sortie de son livre Il Papa Ministero e missione

Difficile d’imaginer que l’appartement de Borgo Pio où Joseph Ratzinger a vécu jusqu’à son élection en 2005 puisse se retrouver entre de meilleures mains. Aujourd’hui, en effet, son locataire est l’un des rares prélats qui pouvait s’adresser à Benoît XVI en disant « tu », et que le pape allemand lui-même a voulu en 2012 comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Gerhard Ludwig Müller.
La maison apparaît aux hôtes telle qu’elle a dû être pendant les vingt-trois années de résidence de celui que les ennemis appelaient de manière désobligeante le panzerkardinal : submergée par les livres. Il y a quelques jours, le cardinal Müller a pu déposer sur les étagères son dernier ouvrage « Il Papa. Ministero e missione« , qui offre sa réflexion théologique sur la mission du successeur de Pierre.
La NBQ a rencontré le cardinal allemand pour parler de son livre, mais la conversation s’est inévitablement conclue sur la situation actuelle de l’Église.

NBQ : Éminence, pourquoi avez-vous qualifié les paroles de Pie XI condamnant le développement des Églises nationales de « paroles vraiment prophétiques, qui gardent leur sens même dans la confrontation actuelle avec les revendications totalitaires médiatisées » ?

L’Église nationale est une contradiction parfaite avec la volonté de Dieu de sauver toute l’humanité et d’unifier tous les hommes dans l’Esprit Saint. On ne peut pas réduire la foi à une seule nation comme le font les orthodoxes avec l’autocéphalie. Il s’agit d’un principe non catholique. Nous sommes l’Église catholique, c’est-à-dire universelle, pour tous les peuples.

NBQ : On pense inévitablement à ce qui se passe dans « votre » Allemagne. Craignez-vous que les résultats de la voie synodale allemande n’influencent le prochain synode sur la synodalité ?

C’est clair. Les promoteurs et les partisans de la voie synodale allemande ne veulent pas se séparer de l’Église catholique, mais au contraire en devenir la locomotive. Leur programme est connu depuis plus d’un demi-siècle et reste celui du ZDK (Comité central des catholiques allemands, ndlr). Ils ne sont pas la véritable représentation des laïcs allemands, mais des fonctionnaires qui luttent depuis des décennies contre le célibat des prêtres, contre l’indissolubilité du mariage et en faveur de l’ordination des femmes.

NBQ : Ces propositions ont été présentées au cours du processus synodal comme la solution au problème des abus commis par des clercs sur des mineurs. L’admission des fautes et la démission des principaux évêques allemands de la Voie pour mauvaise gestion des cas n’ont-ils pas miné la crédibilité de ce récit ?

La vérité est qu’en Allemagne, il y a eu une grande instrumentalisation de ces tristes événements commis par certains prêtres, dans le but d’introduire un agenda qui existait déjà auparavant et qui n’a rien à voir avec cette tragédie. Mais d’un autre côté, les principaux médias allemands ne font qu’exalter les changements de doctrine promus par la Voie synodale. Pour eux, seule l’assemblée de Francfort est bonne dans l’Église, alors que tout le reste est vilipendé et que les étiquettes de conservateur ou même de fasciste sont utilisées ! La majorité de la presse allemande est en faveur de la Voie synodale non pas pour améliorer l’Église, mais pour la détruire. Ce n’est pas un hasard si l’on parle des cas de pédophilie commis par des prêtres et que l’on passe sous silence ceux commis dans le sport, les universités ou la politique, où le pourcentage de crimes est encore plus élevé. Ceux qui ont toujours été contre le célibat des prêtres et contre la morale sexuelle de l’Église ont maintenant trouvé dans la tragédie des abus sexuels sur mineurs commis par des prêtres un instrument pour détruire ce qu’ils ont toujours voulu détruire.

NBQ : Toujours à propos de la voie synodale allemande, avez-vous entendu l’intervention de l’évêque d’Anvers, Mgr Johan Bonny, qui a soutenu la cause de la bénédiction des couples homosexuels en revendiquant le schéma que la Conférence épiscopale belge a apporté à Rome ? Selon le prélat, de prétendues autorités romaines auraient dit aux évêques que c’était de leur ressort et même le pape leur aurait dit « c’est votre décision, je peux le comprendre »…

Aujourd’hui, ceux qui ont des positions hétérodoxes tentent de se légitimer en faisant référence à de prétendues déclarations ou interviews de François. Mais ils dépassent ainsi leurs compétences. L’histoire a connu de nombreux évêques hérétiques. Ce projet en faveur de la bénédiction des paires homosexuelles est une hérésie évidente. Pour le légitimer, ils ne peuvent pas se référer à un moment où le pape leur aurait dit quelque chose. Même si le pape l’avait effectivement dit, ils ne pourront jamais introduire la bénédiction des couples de même sexe comme s’il s’agissait d’un mariage. C’est absolument impossible. Il n’est pas du ressort d’un pape de modifier la Révélation et les fondements de la morale chrétienne et catholique. Une conférence épiscopale peut encore moins le faire. Ce sont des actes contre l’Église.

NBQ : Pensez-vous que le Dicastère pour la doctrine de la foi doit intervenir pour reprendre l’évêque d’Anvers ?

Oui, il doit intervenir.

NBQ : Si vous étiez encore préfet, seriez-vous intervenu ?

Peut-être qu’ils ne voulaient plus de moi comme préfet justement parce que je serais intervenu. (rires, ndlr).
C’est le devoir du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. On ne peut pas raisonner uniquement avec une logique politique ou diplomatique. Le temps est venu de confesser la vérité.

NBQ : Dans le livre, à propos du Concile Vatican II, vous avez écrit qu’ « il peut y avoir seulement une herméneutique de la réforme et de la continuité ». Il y a quelques jours, pour justifier les restrictions à la libéralisation de la messe dite tridentine, le cardinal Arthur Roche a déclaré que « la théologie de l’Église a changé ». Comment jugez-vous ces paroles ?

En tant que théologien, je ne me réjouis pas de cette déclaration du cardinal Roche. La foi est toujours la même. Nous ne pouvons pas changer la foi. La théologie se développe, mais toujours sur la base de la même foi. Le Concile Vatican II n’a pas changé la foi concernant le sacrement de l’Eucharistie. L’Eucharistie est la représentation sacramentelle du sacrifice de Jésus-Christ, la présence réelle de Jésus-Christ. Seules les formes liturgiques se sont développées à travers cette bonne idée de la participation active de tous les fidèles. La forme extérieure de la liturgie s’est développée, mais il n’y a pas de changements substantiels. Je crois qu’il faudrait pour cela une compréhension profonde de la théologie du développement de la messe et de la liturgie. Les grands conciles sur l’Eucharistie – le Concile de Trente et Vatican I – enseignent qu’il n’y a jamais eu qu’un seul rite dans l’Église catholique.

NBQ : Vous ne considérez donc pas la messe dite tridentine comme une menace pour l’unité de l’Église ?

Non, en tant que telle, non. Certains disent que c’est la seule forme orthodoxe et que la forme développée après le Concile Vatican II est invalide. Ce sont des extrémistes. Mais il ne faut pas réagir en punissant quelques extrémistes de manière extrémiste, en frappant la grande majorité de ces communautés qui aiment l’Église, le Pape et les enseignements du Concile Vatican II. Les extrémistes sont là des deux côtés : d’un côté, il y a ceux qui disent que l’orthodoxie ne dépend que du rite. Les gréco-catholiques n’auraient donc pas de vraie messe ? C’est absurde. Ces déclarations publiques sont faites sans réflexion profonde.

NBQ : Conseilleriez-vous au Saint-Père de retirer les restrictions du rescriptum ex audientia signé par le cardinal Roche ?

Il serait préférable d’appliquer la ligne de Benoît XVI, le plus grand connaisseur de la liturgie et aussi le plus grand théologien. La plus haute autorité de l’Église doit toujours chercher la réconciliation. Il faut une dialectique, trouver le chemin de la paix. L’Église est dans le Christ le symbole de l’unité de l’humanité. Et j’ajoute ceci : Ces communautés associées à ce qu’on appelle la messe en latin souffrent du préjugé qui voudrait qu’elles soient les ennemies du Concile Vatican II. Mais il y a des évêques en Allemagne qui nient ouvertement Vatican II ! Ils le remettent en question ou disent qu’il ne représente qu’une étape du passé. Ils n’acceptent pas la doctrine du Concile. Quelle est la réaction de Rome face à cela ? Pourquoi réagit-elle avec toute son autorité contre une partie, alors que contre l’autre – qui, par exemple, promeut la bénédiction des couples homosexuels – il n’y a pratiquement aucune réaction ?

NBQ : En 2022, la réforme tant attendue de la Curie romaine, qui s’était imposée lors des congrégations pré-conclaves de 2013, a vu le jour. Dans le livre, vous écrivez que « quand pour la réformer, vous attendez un plan d’ experts en politique, en finance et en économie, vous êtes hors-sujet ». Vous n’êtes donc pas d’accord avec la nouveauté de Praedicate Evangelium qui permettra également à des laïcs de devenir chefs de dicastère ?

Si l’on considère le dicastère comme une institution civile du Vatican, le laïc peut être ministre. Mais la Curie romaine est différente de l’État de la Cité du Vatican. Il s’agit d’une institution ecclésiastique. Aujourd’hui, les congrégations sont appelées « dicastères » pour éviter d’utiliser un terme ecclésiologique. Je suis contre la sécularisation de la Curie romaine. Le chef du dicastère de la communication peut être un laïc compétent. Mais il faut bien distinguer les institutions de la Cité du Vatican, qui est un État et ne peut pas gouverner l’Église. Le Vatican n’a rien à voir avec l’Église.

NBQ : En clair : un laïc pourrait être gouverneur de l’État de la Cité du Vatican mais ne pourrait pas diriger l’ex Saint-Office ?

Absolument. La base de la Curie romaine est le Collège des cardinaux. Il y a une Curie romaine qui sert le pape dans son service à l’Église universelle. Je pense que ceux qui ont rédigé ces innovations n’ont pas réfléchi à tout cela. Nous nous sommes attardés sur les scandales financiers, mais nous n’avons pas suffisamment réfléchi à ce qu’est réellement la Curie romaine sur le plan théologique. Vatican II parle de la Curie romaine mais en tant qu’organe ecclésiologique : ce qui touche à l’Église est la tâche de nos congrégations et du pape en tant que pape, et non en tant que chef d’État.