L’Incorrect. Il fallait qu’un écrivain lance un appel émouvant et lucide à notre pays, qu’il considère frappé par un aveuglement coupable envers des dérives et des dangers que ce citoyen algérien, qui n’a jamais quitté son pays, connaît trop bien.

Boualem Sansal est l’un des plus grands écrivains algériens de langue française. Il vit en Algérie. Le 13 décembre dernier, le romancier et essayiste était l’invité d’honneur de la Fondation Varenne, à Paris. Reconnue d’utilité publique, celle-ci se consacre, notamment, à la promotion du journalisme et remettait ses prix annuels du reportage à 26 lauréats. Ce fut l’occasion pour le romancier de publier un magistral discours dont nous reproduisons ici l’essentiel.

Je voudrais vous dire deux trois choses sur l’islamisme. Il y a d’autres sujets mais celui-ci les dépasse, il tient le monde en haleine, et la France en premier, elle est une pièce essentielle dans son programme de domination planétaire. C’est ici qu’il gagnera ou perdra face à l’Occident, il le croit, voilà pourquoi il s’y investit avec tant de rage, derrière laquelle cependant agit un monde étonnant de froide intelligence et de patience.

Personne ne peut mieux qu’un Algérien comprendre ce que vous vivez, ce que vous ressentez ; l’Algérie connaît l’islamisme, elle en a souffert vingt années durant.

Je ne veux pas laisser entendre que l’islamisme est fini dans ce pays, simplement parce que le terrorisme a reflué, c’est tout le contraire, l’islamisme a gagné, à part quelques voix dissonantes qui s’époumonent dans le désert, rien ne s’oppose à lui, il a tout en main pour réaliser son objet.

Tout son programme, dont le terrorisme est un volet important mais pas le plus important, il en est dix autres qui le sont davantage, ne vise que cela : briser les résistances, éteindre les Lumières avec un grand “L” et installer les mécanismes d’une islamisation en profondeur de la société. On peut dire que l’islamisme ne commence véritablement son oeuvre qu’après le passage du rouleau compresseur de la terreur, à ce stade la population est prête à tout accepter avec ferveur, humilité et une vraie reconnaissance. […] Encore quelques réglages et nous aurons une république islamique parfaite, tout à fait éligible au califat mondial.

Dans la petite ville où j’habite, à 50 kilomètres d’Alger, une ville universitaire dont la population, 25 000 habitants environ, se compose essentiellement d’enseignants, de chercheurs et d’étudiants, il y avait avant l’arrivée de l’islamisme, dans les années quatre-vingt, une petite mosquée branlante, coloniale par son âge, que ne fréquentaient que quelques vieux paysans des alentours ; aujourd’hui, après deux décennies de terrorisme et de destruction, et alors que le pays manque de tout, il y en a quinze, avec haut-parleurs surpuissants, climatisation et Internet, et je vous apprends que pour la prière du vendredi elles ne suffi sent pas pour accueillir tous les pénitents. Il faudrait en construire quinze autres ou réquisitionner les amphis et les laboratoires. Attention, je ne dis pas que les pénitents sont des islamistes, aucun ne l’est, je vous l’assure, je dis simplement que les islamistes ont bien travaillé, ils ont assaini le climat et fait de nous de bons et fidèles musulmans, ponctuels et empressés, et jamais, j’insiste, ils ne nous ont demandé de devenir des islamistes comme eux. « Point de contrainte en religion », c’est dans le Coran, sourate 2, verset 256.

En Algérie, on suit avec beaucoup d’inquiétude l’évolution des choses en France. Je parle de ceux qui ont de l’amitié pour vous et ceux qui ont des parents en France et voudraient les voir continuer de vivre leur vie française le mieux possible. Ceux-là sont inquiets, très inquiets et même désespérés. Ils vous en veulent pour cela.

Inquiets parce qu’ils constatent jour après jour que la France ne sait toujours pas se déterminer par rapport à l’islamisme : est-ce du lard, est-ce du mouton, est-ce de la religion, est-ce de l’hérésie ? Nommer ces choses, elle ne sait pas, c’est un souci. Pendant ce temps, le boa constrictor islamiste a eu le temps de bien s’entortiller, il va bientôt l’étouff er pour de bon. Insouciante qu’elle est, la mignonne est allée faire ami-ami avec les gros cheikhs du Golfe que chacun sait être les géniteurs et les dresseurs du boa et surtout d’anciens redoutables détrousseurs de caravanes.

Inquiets de voir la France des libertés verser dans le maccarthysme. Que se passe-t-il, bon sang, il n’est plus possible, pour personne, de parler de certains sujets liés à la chose sans se voir aussitôt traîné au tribunal et condamné. On en sort encore avec des amendes, des sursis et des marques à l’épaule, mais le jour n’est pas loin où on se verra appliquer la vraie charia.

Inquiets et dégoûtés de voir cette grande nation laïque et avant-gardiste exhiber ses imams et ses muftis, ses pachas de l’UOIF, ses commandeurs du CFCM, et, pour la note moderne, deux trois soeurs cagoulées à l’arrière-plan, comme jadis au temps des colonies de papa elle promenait ses caïds chamarrés bardés de médailles, ses marabouts en boubous et autres sorciers en plumes, et repousser fermement ceux qui peuvent parler aux gens sans réciter un seul verset ou lever de doigt menaçant au ciel. On croirait que la France n’a pas été décolonisée en même temps que ses colonies ou que la laïcité y a été abrogée par un édit du grand imam.

Inquiets et en colère de voir que les Algériens de France, pourtant instruits de la vraie nature de l’islamisme et, pis, qui savent qu’il a lancé une OPA sur leurs enfants, ne s’engagent pas plus que ça dans la lutte contre lui, pas au-delà des protestations de principe : “c’est pas ça l’islam”, “l’islam est paix, chaleur et tolérance”, “l’islam est une chance pour la France”. L’urgent n’est pas de sauver l’islam de l’amalgame mais de sauver les enfants de la mort !

Inquiets et effarés de voir l’Europe se déliter et devenir un amplificateur de crises et fabricant d’un islamisme européen monstrueux, qui par ses prétentions totalitaires et ses haines tous azimuts, s’apparente au nazisme-fascisme d’antan, qu’il contribue de la sorte à ressusciter.

Désespérés enfin de voir que la France et l’Europe sont à mille lieues de pouvoir concevoir et mener ensemble le seul combat qui puisse venir à bout de l’islamisme : le “contre-djihad”, conçu sur le principe même du djihad. Et le djihad n’est pas la guerre, c’est mille chamboulements dans mille domaines différents, menés sans restriction ni frein, dans un mouvement brownien irréversible.

Y a-t-il encore de l’espoir ? Oui, il existe, il est puissant, la France est un grand pays avec une immense histoire pleine de ressort et d’énergie, il continue de vivre et de se projeter dans l’avenir, mais chacun sent que l’effort coûte de plus en plus, que le poison islamiste court dans ses veines, que la langueur de la décadence le travaille, que le pays perd de sa cohérence et de son unité, que le gouvernement n’y entend goutte, que l’Europe est un boulet, bref chacun comprend que la fin approche. L’espoir est précisément là, dans cette horrible sensation que l’histoire est finie, c’est là que le désespoir trouve sa meilleure énergie.

Il y a une condition cependant : la France doit retrouver l’usage de la parole libre et en faire une arme. Si le terrorisme se combat dans la discrétion et la patience, par le renseignement et l’infiltration, l’islamisme se combat par la parole, haut et fort. Ce combat a toujours été celui des journalistes et des écrivains, qu’ils reprennent le flambeau, il est à eux.

On n’oubliera pas de mener ce combat en premier contre l’armée des “idiots utiles” et des “bienpensants” qui, avec une poignée de considérations de patronages, ont réussi à paralyser la France et l’ont livrée aux islamistes et demain à la guerre civile : “pas d’amalgame tu feras”, “l’assassin de ton frère est ton frère, des Bisounours tu lui adresseras”, “raciste et islamophobe tu es si tu ne tends pas l’autre joue”, “ta coulpe tu battras, car colonisateur et esclavagiste tu fus”, “de remords et de pénitences tu te nourriras”, “ta place tu céderas, dhimmi tu seras”, “paix, tolérance et soumission tu pratiqueras avec tes agresseurs”.

Vous l’avez noté, à aucun moment je n’ai parlé de l’islam. Vue par là, l’aff aire nous dépasse, on est dans l’intouchable, l’islam, c’est Allah, c’est Mahomet, le Coran, le califat, l’oumma, c’est la fi n des hérésies et de la mécréance. L’islam « est l’horizon indépassable de notre temps », ce cher Jean-Paul Sartre nous le dirait sans faute s’il revenait parmi nous.

À côté, l’islamisme n’est rien, avec sa pauvre charia et ses sabres ébréchés, on pourrait le balayer ce soir, si on nous le permettait. […] Nous vivons les frasques de ces enfants monstrueusement gâtés, jouisseurs fous et insatiables. Ils saccagent des pays comme ils saccageaient hier, quand ils apprirent à prendre l’avion et actionner des ascenseurs, les palaces du monde libre avant de les acheter pour les mettre à leur goût.

C’est cela que les “idiots utiles” et les “bien-pensants” aiment en vérité : l’argent des cheikhs, il sent bon l’encens et le mazout. Avec eux, Billancourt ne désespérera jamais, et d’ailleurs par leur faute Billancourt n’existe plus, il a disparu en même temps qu’une certaine France.

À Colombey-les-Deux-Mosquées, il y en a un qui doit salement râler. Pour terminer, je voudrais vous dire mon sentiment sur les propositions récentes de l’Institut Montaigne pour réformer l’islam et rendre possible l’émergence d’un islam de France.

Parler d’islam de France est déjà un gros blasphème ; l’islam est un, il est partout chez lui. C’est par le Journal du dimanche du 18 septembre dernier que j’en ai pris connaissance. Ces propositions se résument ainsi : on lève une redevance sur le halal, on construit des mosquées, on forme des aumôniers et des imams, on enseigne l’arabe aux écoliers et le français aux imams, on expurge l’histoire, on crée un secrétariat d’État à la Laïcité et aux Cultes, on implique les maires, on actionne la diplomatie pour endiguer l’influence des régimes wahhabite d’Arabie et du Qatar.

Quand j’ai lu ça, je suis tombé à la renverse, j’ai compris que le plan était un programme d’arabisation et d’islamisation des plus sévères, il ne laissait aucune possibilité de faire machine arrière en cas de regret. Il ressemblait au plan d’arabisation et d’islamisation que le pouvoir algérien a mis en oeuvre en Algérie au début des années quatre-vingt sous la pression de l’Arabie saoudite et qui allait en peu de temps faire de nous des perroquets wahhabites salafisés.

Il fallait comprendre l’intention de l’Institut.

Même à long terme et dans un climat apaisé, ces propositions seraient sans portée ni effet quant à l’objectif visé : réformer l’islam et faire émerger un islam de France, accepté de tous. […] Au contraire, la France est déjà très avancée dans la voie de son islamisation et ces propositions généreuses inespérées vont formidablement aider à son expansion et son enracinement.

L’effet multiplicateur et accélérateur n’a pas été pris en compte dans l’étude, il jouera à plein, ce que l’enquête montre pourtant puisqu’elle apprend que 29 % des musulmans de France sont déjà en rupture avec la communauté nationale. Il semblerait que l’Institut n’ait pas travaillé sur la réalité mais sur une image de la réalité. Le fait de formuler de telles propositions après une année 2015 marquée par les attentats islamistes révèle que le but recherché par les planifi cateurs des attentats est atteint : la France est prête à tout céder, les dix propositions de l’Institut se présentent comme un acte d’allégeance au calife.

Je ne veux pas désespérer l’Institut M. mais on doit le lui dire : le calife tient son pouvoir d’Allah, il n’attend rien de personne, il écrase tout sur son chemin, les idiots utiles, les allégeants et les soumis en premier.

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