Sg 2.12,17-20 ; Ps 55(54) 3-4,6-8 ; Jc 3.16-4.3 ; Mc 9.30-37

« Quiconque accueille en Mon nom un enfant comme celui-ci, c’est Moi qu’il accueille. Et celui qui M’accueille, ce n’est pas Moi qu’il accueille, mais Celui qui M’a envoyé. (Mc 9.37) » Le fait que Jésus donne l’enfance comme modèle à imiter pour devenir digne d’accueillir Dieu, dénonce l’esprit de ce monde, qui, à l’instar de son maître Satan, pousse chacun à s’autoglorifier, aux dépens de Dieu, ignoré ou haï, et au mépris de la vie et de l’amour d’autrui, surtout des plus petits. Comment ne pas évoquer ici le génocide des enfants à naître, meurtre banalisé, promu, remboursé, dont la participation, ne serait-ce que par un silence complice, exclut du Royaume des Cieux comme de la communion eucharistique ! « Accueillir au Nom de Jésus », c’est donner au Christ — et à Dieu avec qui Il ne fait qu’un — d’accueillir à travers nous, qui sommes les membres de Son corps, ceux qui en raison de leur quête de Dieu fuient les artifices et les crimes de ce monde. Mais c’est aussi permettre à Dieu Lui-même d’être accueilli en la personne des petits auxquels Il S’identifie en raison de leur pureté, de leur innocence, de leur humilité. Il y a une si absolue incompatibilité entre Dieu et le monde que : « Ce qui est élevé aux yeux du monde, disait Jésus, est objet de dégoût aux yeux de Dieu. (Lc 16.15) »…

Et nous, comment accueillons-nous Jésus, Lui qui continue à S’offrir à chaque Messe sous les humbles apparences de la blanche hostie ? Adoptons-nous la fière attitude des orgueilleux demandant à Dieu leur dû, celle des indifférents qui avec les précédents consomment leur condamnation (1 Co 11.29-30), ou bien celle des amoureux conscients d’être l’objet d’un amour immérité, et qui devant ce mystère s’effacent pour lui laisser toute la place ? Déjà, depuis Moïse, dans la tradition hébraïque, par le rite de la « bouchée », le père de famille, lors du Repas pascal, qui anticipe la Cène du Messie, réserve pour la fin du repas le « Pain du Messie » en le donnant à chacun directement dans la bouche. Ce qui explique pourquoi Jésus lors de la dernière cène a donné « la bouchée » à ses disciples, et pourquoi le Pape Paul VI, en 1969, dans son instruction « Memoriale Domini » décrétait que : « cette façon de distribuer la Sainte Communion doit être conservée, non seulement parce qu’elle a derrière elle une tradition multiséculaire, mais surtout parce qu’elle exprime le respect des fidèles envers l’Eucharistie ». Je suis personnellement convaincu — comme l’a enseigné ici-même il y a peu de temps Mgr Schneider —, qu’il n’y aura pas de renouveau de la vie de l’Église, et qu’elle continuera à dépérir, tant que les catholiques ne reviendront pas se mettre à genoux devant Dieu, Dieu incarné, Jésus-Eucharistie, pour Le recevoir tels de petits enfants recevant de leur père la bouchée. Oh, que cela est dur pour tout esprit mondain que de s’humilier ainsi ! Mais c’est à prendre ou à laisser : « Si vous ne redevenez pas comme de petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. (Mt 18.3) » Quelques années plus tard, en 1999, alors que « l’auto-démolition de l’Église », dénoncée par ce même pape, avait déjà largement fait son œuvre, la Congrégation pour le Culte divin adjurait : « Que tout le monde se rappelle que la tradition séculaire est de recevoir l’Hostie dans la bouche ! (Notiae, mars 1999) » En 2003, après avoir demandé le rétablissement de l’usage du plateau de communion — qui n’aurait évidemment aucune utilité si la communion devait être donnée dans la main —, la Congrégation supplie : « S’il y a un risque de profanation, la sainte Communion ne doit pas être donnée dans la main des fidèles. (Redemptionis Sacramentum, n°92) » Or, de nos jours, il y a presque toujours un risque de profanation, ne serait-ce que par la perte involontaire de petits fragments de l´hostie tombés à terre. Et la Congrégation pour le Culte divin de poursuivre : « Si un communiant désire recevoir le Sacrement dans la main, dans les régions où la Conférence des Évêques le permet, avec la confirmation du Siège Apostolique, on peut lui donner la sainte hostie. » On peut, non : On doit ! Donc, même là « où la Conférence des Évêques le permet », y compris « avec la confirmation du Siège Apostolique », le prêtre reste responsable du Corps du Seigneur qui n’advient là que par lui. Le prêtre n’est pas un fonctionnaire, ni un distributeur automatique, mais il est chargé de veiller sur le Trésor de l’Église, qu’il doit faire fructifier, en le partageant à ceux qui L’adorent et désirent devenir enfants de Dieu. De fait, on ne se met pas même à genoux devant le Président de la République, mais bien devant Dieu ; on ne reçoit pas sa nourriture comme un nourrisson, mais on se nourrit soi-même, sauf si l’on veut être nourri par la nourriture que Dieu seul donne, Lui qui a dit : « Ma vie, nul ne la prend, c’est Moi qui la donne. (Jn 10.18) » Prendre soi-même le Corps du Christ et se communier soi-même contredit donc formellement la réalité signifiée par le rite de la Communion. Or, nous ne communions pas qu’avec notre bonne intention, mais avec tout notre être, y compris donc notre corps, et c’est pourquoi nos gestes ont de l’importance. Ils doivent aider notre âme à vivre en vérité, et exprimer sans équivoque la si belle réalité qui n’a pas d’autre moyen pour se manifester que la cohérence de la vie de foi des chrétiens. Combien de personnes ont été touchées devant la piété de la liturgie jusqu’à accepter d’y reconnaître la Présence du Seigneur et se convertir ? Quelle joie que de s’abaisser ainsi devant le Seigneur pour L’exalter dans les âmes de bonne volonté ! « Celui qui s’abaissera sera élevé. (Mt 23.12) »

Par ailleurs, nous savons tous combien la pédocriminalité a blessé la sainteté et la crédibilité de l’Église, mais a-t-on suffisamment pris en compte, parmi les causes de cette abomination énumérées par Benoît XVI en 2019, le lien qu’il a fait entre la façon de traiter le Corps du Christ à la Messe et la façon de traiter le corps des enfants de Dieu ? A-t-on oublié la liaison que fera Jésus lors du Jugement dernier entre Sa personne et ce qui aura été fait aux plus petits des siens (Cf. Mt 25.31-46) ? Voici un extrait de cette réflexion de Benoît XVI : « Considérons cela par rapport à une question centrale : la célébration de la Sainte Eucharistie. La manière dont nous traitons l’Eucharistie ne peut que provoquer de la préoccupation. Le concile Vatican II était à juste titre centré sur la volonté de remettre ce sacrement de la présence du Corps et du Sang du Christ, de la présence de sa Personne, de sa Passion, de sa Mort et de sa Résurrection, au centre de la vie chrétienne et de l’existence même de l’Église. […] Or, ce qui prédomine n’est pas une nouvelle révérence envers la présence de la mort et de la résurrection du Christ, mais une manière de Le traiter qui détruit la grandeur du mystère. Le déclin de la participation à la célébration dominicale de l’Eucharistie montre combien nous autres chrétiens d’aujourd’hui sommes devenus peu capables d’apprécier la grandeur du don que constitue sa Présence Réelle. » Comment donc prendre au sérieux les programmes pastoraux, et spécialement ceux de lutte contre la pédocriminalité, lorsqu’ils omettent de placer la façon de traiter le Corps du Christ au centre de leurs préoccupations et propositions ? Le Saint Sacrement n’est-il pas « la source et le sommet de la vie chrétienne » ?

Si les demandes du dernier concile en matière liturgique avaient été respectées, tant de nos frères et sœurs ne seraient pas allés chercher refuge dans la célébration du rite antérieur. Aussi, plutôt que d’interdire maintenant celui-ci au risque de provoquer un schisme, j’aurais préféré que François appelât évêques et prêtres à respecter enfin eux-mêmes la constitution Sacrosanctum Concilium, qui n’a jamais demandé, par exemple, l’abandon du latin, du chant grégorien, de la façon traditionnelle de communier, de sorte que par le jeu d’une loyale concurrence, la réforme liturgique fasse éclater au grand jour ses droits d’être préférée à l’antique célébration… Il est craindre qu’à l’instar des protestants faisant de la Bible la source de leur foi, certains de nos frères et sœurs ne fassent de même avec la liturgie, les uns et les autres oubliant que l’Église est source de la Bible comme de la liturgie.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Église souffre de rivalités, de désordres, d’actions malfaisantes de toutes sortes, en raison de la jalousie de certains, qui ne prient pas, ou plus, sinon pour demander la satisfaction de leur vices, ce en quoi ils se montrent plus païens que chrétiens (Jc 3.16-4.3). Dans le paganisme, la divinité, Dieu, l’Energie, les démons même, ou que sais-je encore, sont priés d’exaucer souhaits et prières, quelques détestables qu’ils soient. Mais dans le christianisme, Dieu est prié non pour qu’Il fasse, Lui, notre volonté, mais pour que nous, nous fassions la Sienne, à l’exemple de Jésus à Gethsémani, disant au Père : « Père, si c’est possible : Que cette coupe s’éloigne de Moi ! Cependant, non pas comme Je veux, mais comme Tu veux. (Mt 26.36-46) » Pas d’autre chemin en effet pour passer de ce monde au Père, que de devenir avec Lui une même volonté, un même esprit, un même être, dans la Communion de la Sainte Trinité, ce qu’exprime et accomplit notre communion au Corps du Christ…

Les lectures de la Messe de ce jour décrivent bien la différence d’attitude devant la Révélation de la Vérité : Soit celle des orgueilleux ne supportant pas d’être corrigés et planifiant en retour jusqu’au meurtre pour s’en venger, et de l’autre, celle des pécheurs repentis s’humiliant devant la grandeur de l’Amour de Dieu manifesté par la vie, la Mort et la Résurrection de Jésus-Christ. Bienheureux ceux qui, comme au temps de Jésus, savent tomber à genoux devant Lui pour L’adorer, et recevoir de Sa miséricorde leur salut !