De la déséducation idéologique : Nouveaux programmes et urgence de transmettre

      Si Achille est éduqué par le centaure Chiron, qui l’instruit au tir à l’arc, au soin des blessures et aux nombreux talents des Muses, c’est pour tenir compte de notre nature à la fois animale et spirituelle. Il est à craindre pourtant que, face à la politique réducative fomentée par les édiles de l’Education Nationale, ne reste que la part animale, ludique et tyrannique de l’adolescent, malheureuse victime d’une déséducation programmée. Les nouveaux programmes annoncés au collège, en vain espérons-le, n’ont pour autre volonté que d’éradiquer non seulement l’excellence, mais également les Lumières occidentales.

L’on sait combien les nouveaux programmes du collège ne font qu’entériner une tendance depuis longtemps à l’œuvre : abonder en jargon pédagogique, mettre l’élève au centre du système éducatif (alors qu’il nous semblait qu’il fallait y faire trôner les savoirs vers lesquels les élèves doivent être élevés), faire disparaître les auteurs classiques des intitulés de Français, rogner les heures des fondamentaux que sont la lecture et le calcul, des sciences et de l’histoire-géographie, au profit, ou plutôt aux pertes, des accompagnements personnalisés et des parcours transdisciplinaires.

      Pourtant, disait le philosophe de l’éducation Alain, « Il faut lire et encore lire. L’ordre humain se montre dans les règles, et c’est une politesse que de suivre les règles, même orthographiques. Il n’est point de meilleure discipline. Le sauvage animal, car il est né sauvage, se trouve civilisé par là, et humanisé, sans qu’il y pense, ou seulement par le plaisir de lire. Où sont les limites ? Car les langues modernes et les anciennes aussi nous servent de mille manières. Faut-il donc lire toute l’humanité, toutes les Humanités comme on dit ? Des limites, je n’en vois point. Je ne conçois point d’homme, si lent et grossier qu’il puisse être par nature, et quand il serait destiné aux plus simples travaux, je ne conçois point d’homme qui n’ait premièrement besoin de cette humanité autour, et déposée dans les grands livres. […] Les Belles-Lettres sont bonnes pour tous, et sans doute plus nécessaires au plus grossier, au plus lourd, au plus indifférent, au plus violent.[1] »

      Hélas, au lieu de l’humble étude des « grands livres », on va flatter l’autonomie de l’élève, on va se gargariser de nouvelles technologies et de copié-collé dans le cadre de travaux interdisciplinaires, dont on sait, par l’expérience des « Travaux Personnels Encadrés » en classe de Première, qu’ils conviennent au mieux aux meilleurs élèves créatifs et déjà assurés d’une réelle culture, mais qu’ils laissent à la dérive, quoique l’enseignant y prenne garde, des élèves moins animés par leurs modestes capacités que par leur ludique j’menfoutisme. De surcroit, il faudra aux enseignants, peu formés à cet égard, bien des réunions oiseuses qui rogneront d’autant les horaires effectifs et la motivation des élèves, comme il en est de règle en lycée avec le pseudo « Accompagnement personnalisé ». Ne doutons pas qu’une fois de plus les enfants des milieux les plus défavorisés seront de moins en moins tirés vers le haut, contribuant à ce que devienne lettre morte l’égalité des chances promise, alors que l’école est de moins en moins l’ascenseur social qu’elle devrait être. Le capital culturel restera familial, voire génétique, mais de moins en moins accessible au vulgum pecus (aï, du latin, pour le vulgaire ignorant !), qui d’ailleurs ne se fait pas faute de stigmatiser les meilleurs qui feraient mine de travailler à leur culture, sous le quolibet de l’« intello »…

    Le pire est à venir pour la rentrée des collèges 2016. Donc pour celle des lycées par la suite. À moins que le ministère recule devant la bronca des enseignants et des intellectuels pas si fous, dont Luc Ferry, Marc Fumaroli, Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut (excusez du peu), que la Ministre, dont la culture semble être au mieux de l’ordre de l’improvisation légère et dont l’idéologie est une arme lourde de destruction massive, traita du haut de sa petite vanité de « pseudo-intellectuels ».

     Le pire gît en effet lorsqu’il s’agit d’évacuer le latin et le grec, évacuer les classes bilangues, et plus particulièrement l’allemand. Quoique l’on prétendre conserver les langues anciennes parmi l’étude de la langue et de l’étymologie, parmi des séquences d’Histoire, des parcours interdisciplinaires. Foutaises ! Certes, l’on rappellera que l’on peut lire Platon et Ovide en d’excellentes traductions (ce qui est le cas du modeste auteur de ces lignes), mais la curiosité intellectuelle, l’agilité de l’esprit, sans oublier nos fondations culturelles, entre Athènes, Rome et Jérusalem, y perdraient infiniment. Rien moins qu’une déculturation à l’œuvre. Qui mieux que d’actifs latinistes et hellénistes peuvent mieux transmettre depuis leurs sources mythologie, démocratie, république et philosophie ? Qu’importe alors que bien des élèves usent leurs fonds de culottes sur les bancs des déclinaisons et des étymologies sans devenir des érudits, s’ils ont néanmoins conscience du substrat culturel qui est le nôtre et celui d’une universalité de l’humanité…

 

 Mais il s’agit là d’une machine de guerre contre l’élitisme, contre la « reproduction » dénoncée par le sociologue Bourdieu (qui pourtant sut s’abstraire d’un milieu populaire grâce à l’éducation et finir ponte du Collège de France). Car pour ce dernier, la reproduction des élites se fait aux dépens des classes défavorisées : « transmission, faute contre la justice », résume François-Xavier Bellamy, dans son excellent essai à charge, Les Déshérités ou l’urgence de transmettre. Il s’y livre à une généalogie de la critique de la transmission, passant par Descartes, dégoûté de l’école, des livres et du passé, discourant de la méthode permettant à l’enfant de développer sa propre raison, puis par Rousseau, pour qui, préférant l’aimable ignorance de la nature aux sciences et aux arts, et refermant tous les livres, la transmission est une pollution de la nature, pour qui « l’enseignant ne doit surtout pas transmettre un savoir, il doit se faire l’organisateur des situations dans lesquelles l’élève construira son propre savoir ». Il n’oublie évidemment pas Bourdieu, maître à penser stigmatisant la reproduction des héritiers de la distinction culturelle, dont l’école, cette structure de la domination de classe, serait un injuste instrument. À rebours de ces trois Attila, et au-delà de cette crise de la culture, de l’éducation et de l’autorité, François-Xavier Bellamy réhabilite la nécessité profonde de la transmission des savoirs. Avec sagesse, plutôt que l’enfant sauvage, « l’homme dégradé, insociable, grossier » de la barbarie, plutôt que l’abandon de la civilisation, il préconise « de fréquenter la poésie, le roman, l’infini travail de la littérature, pour entendre dans les mots, chaque fois redécouverte, la nuance nouvelle dont un écrivain les enrichit.[2] »
      Pourquoi tant de haine de nos désastreuses élites contre l’élitisme ? Nos ministres, hauts fonctionnaires et idéologues marxisants veulent-ils ne jamais fréquenter l’élite des boulangers, des mécanos, des industries pharmaceutiques, pour se contenter de la plus égalitaire catégorie des médiocres ? S’y cache le monstre de l’envie sordide, de la jalousie qui préfère couper toutes les têtes qui dépassent, pour ne pas devoir trouver autrui supérieur à soi, l’hubris enfin de la domination sur tous. L’égalitarisme est bien un socialisme : on fait du social en égalisant les conditions, en traquant les inégalités[3], en prenant au riche pour donner au pauvre, en arasant par une fiscalité confiscatoire une élite en voie de disparition, qui s’exile ou ne crée plus d’emploi en France ; on fait du social en flattant les médiocres qui répugnent tant à voir quelqu’un les dépasser. Ainsi le triomphe de l’égalité sociale à l’école est-il bientôt assuré lorsque les notes, méchamment discriminatoires bien sûr, seront remplacées par des compétences, au demeurant fort vagues, car il n’y a pas mieux qu’ « acquis », pas pire qu’ « en voie d’acquisition », que l’on préférera au « non acquis », novlangue de l’euphémisme pour cacher combien le roi est nu. Voici une façon discrète de prendre les bonnes notes aux culturellement riches pour les redistribuer aux culturellement pauvres, qui, d’ailleurs ainsi ne peuvent que le rester ! Le diktat de la réussite pour tous a trouvé un moyen radieux d’afficher le plan à la soviétique des 80% d’une classe d’âge au bac : se laver de l’effort et de la réussite. Là où pourtant résistent des élèves d’autant plus méritants dans un tel contexte débilitant…
      Il y a donc un affreux élitisme (là où pourtant on œuvre pour le et les meilleurs) à diriger ses enfants vers l’étude du grec, du latin, de l’allemand (langue si nécessaire aux activités économiques), de façon à leur éviter de côtoyer la plèbe semi-délinquante que le collège unique a voulu absorber au lieu de la diriger vers un apprentissage aussi utile qu’honnête, parmi lequel, soyons en sûr, peut émerger l’élite des soudeurs, des livreurs et serveurs, car  ceux-là sont aussi des ressorts dynamiques et honorable de la société. Alors que 22% de nos collégiens sont en échec, qu’un jeune Français sur cinq est dans un état d’illettrisme plus ou moins alarmant ! A-t-on veillé à leur lire des histoires en maternelle, à mettre le paquet sur la lecture en méthode syllabique en primaire, à soigner et enrichir leur vocabulaire, leur logique, ces vecteurs premiers de la réussite, de la culture et de la civilité… À moins que l’on ait refusé de transmettre la maîtrise de la langue et l’accès à la culture. Le cours magistral est honni quand l’enfant doit construire son propre savoir, illusion pédagogiste, réservée à de fort rares autodidactes en puissance. L’ennui est à pourchasser au moyen de ludismes divers, de nouvelles technologies invasives, quoiqu’elles n’en rendent pas plus aisés les labyrinthes des savoirs et ne contribuent trop souvent à attirer l’adolescent que vers son semblable.
      Un exemple est à cet égard éclairant. Parler de musique, faire écouter Bach ou Schubert en classe, est un crime de lèse culture des élèves. Invariablement ou presque, ces derniers revendiquent leur « chacun ses goûts », leur imprégnation par rap and roll and variétés. Des trouvères du Moyen-âge aux oiseaux d’Olivier Messiaen, en passant par l’opéra et le râga indien, des siècles et des continents de culture musicale, sont balayés par un médiocre présent (même si l’on peut y légitiment trouver quelques perles). Les richesses expressives, esthétiques et éthiques des grands compositeurs, des grandes traditions et des nouvelles inventivités savantes, ont cédé la place au relativisme, à l’ignorance et à la vulgarité de l’enfant-roi.
       Le pire du pire est au creux des nouveaux programmes d’Histoire du collège. Quand l’étude de l’Islam se fait obligatoire, alors que le Christianisme n’est plus qu’optionnel, et encore sous les espèces de la hiérarchie chrétienne au Moyen-âge, façon de le montrer sous sa nuit tyrannique et non sous jour moral, transcendantal, civilisationnel et artistique. De même l’Humanisme et les Lumières deviendraient optionnels. Faut-il, par-delà l’étendard affiché d’une menteuse laïcité, le dire abruptement ? L’Islam est obligatoire, le Christianisme jeté par la fenêtre et les Lumières éteintes ! Oyez, braves gens de France et d’Occident, le grand remplacement, le changement de peuple[4], de religion et de civilisation, est en marche, édicté par nos ministres, dont celle de l’Education Nationale est franco-marocaine. Le Grec et le latin n’étant même plus optionnels, le Christianisme et les Lumières impossibles à étudier dans des classes parfois à majorité musulmane, on préfère l’obscurantisme en se pliant aux injonctions du plus menaçant. « La raison du plus fort est toujours la meilleure », disait un La Fontaine que l’on n’étudiera plus. Car croyez-vous que l’on étudiera l’Islam avec l’objectivité historique, théologique, politique et philosophique requise ? Ce dont témoignent déjà les manuels : l’Islam est une religion spirituelle de paix et d’amour. Quid (tiens du latin) de la théocratie, du jihad guerrier, des dizaines de versets de Médine dans le Coran, enjoignant au croyant  le meurtre des infidèles: car « ceux qui guerroient contre Allah et ses envoyés, semant sur la terre la violence, auront pour salaire d’être tués ou crucifiés ». Ou encore : « Allah exècre les transgresseurs. Tuez-les là où vous les rencontrez »[5]. Ainsi les adolescents tyrans font la loi devant les maîtres qui auraient eu l’outrecuidance de leur enseigner les vertus du Christ, la tolérance de Voltaire[6] et le libéralisme politique de Montesquieu…
      Déjà Platon, dans la République, voyait dans la soumission démagogique à l’adolescent la source d’une tyrannie à  venir : « quand le père prend l’habitude de se comporter comme s’il était semblable à son enfant et se met à craindre ses fils, et réciproquement quand le fils se fait l’égal de son père et ne manifeste plus aucun respect ni soumission à l’endroit de ses parents. […] Dans ce régime, le maître craint ceux qui sont placés sous sa gouverne et il est complaisant à leur endroit. Les élèves, eux, ont peu de respect pour les maîtres, et pas davantage pour leurs pédagogues. On peut dire que généralement les jeunes conforment leurs gestes aux modèles des plus vieux et qu’ils rivalisent avec eux en paroles et en actions. De leur côté, les vieux sont racoleurs, ils se répandent en gentillesses et en amabilité auprès des jeunes, allant jusqu’à les imiter par crainte de paraître antipathiques et autoritaires.[7] »
      Certes Platon utilise cet argument pour combattre « une liberté excessive », ce en quoi nous ne le suivront pas forcément, mais en arguant qu’il « est dès lors vraisemblable que la tyrannie ne puisse prendre forme à partir d’aucune autre constitution politique que la démocratie ». Il ne parle pas évidemment de démocratie libérale, mais d’une démocratie qui devient celle d’une majorité inculte et désordonnée, sinon délinquante, en d’autres termes, de l’ochlocratie, ou gouvernement par le bas peuple.
      De même, le jeune peuple musulman, et dhimi céfran par la même occasion, saura tout de la culpabilité occidentale, en étudiant le vilain esclavagisme et la vilaine colonisation. Quant à l’esclavage enraciné en quatorze siècles d’Islam, ce serait hérésie que d’en faire mention, que de noter que les colonisations française et anglaise, malgré leurs déboires et exactions, ont eu le mérite d’à peu près éradiquer l’esclavage en leurs nouveaux territoires. Là encore il s’agit d’aller dans le sens des préjugés et des idéologies, de réécrire l’Histoire au goût du jeune public et des édiles de la rééducation historique. Comme toutes les tyrannies, le socialisme, et bientôt l’islamo-socialisme, efface des livres et des cerveaux des pans entiers de l’Histoire, de la Grèce antique aux sciences occidentales, en passant par les Lumières. Son idéologie tiers-mondiste et anticapitaliste voue aux gémonies la transmission d’une culture millénaire, prospective et capable de hiérarchies civilisationnelles[8], pour y substituer son tyrannique credo (houps, encore du latin !).
       La déséducation est bien alors la propagation organisée de l’ignorance, mais aussi de l’inconscience des enjeux humains et de société. Refuser de transmettre la civilisation européenne et mondiale ne fera de nos enfants que des « déshérités » au mieux, que des loups aveugles au pire. « Là où l’éducation est en échec, n’est-il pas nécessaire que la barbarie finisse par resurgir ? » François-Xavier Bellamy rappelle alors que « l’homonymie du mot liber, qui veut dire en latin à la fois « libre » et « livre », n’a rien d’insignifiant.[9] » Dans le cadre d’une éducation libérale[10], c’est çà dire généreuse en savoirs, ce sont tous ces livres qui rendent libres que nous voulons et devons transmettre, et non pas un seul livre qui est soumission. Livres d’Histoire, de littératures allemande et grecque, de philosophie politique, d’économie, pour rendre à nos sociétés et à nos jeunes les libertés créatrices en péril.
 Thierry Guinhut
 Source

[1] Alain : Propos sur l’éducation, Rieder, 1932, XXV, p 99, 100.

[2] François Xavier Bellamy : Les Déshérités ou l’urgence de transmettre, Plon, 2014, p 66 et 139.

[4] Pour reprendre les titres de Renaud Camus : Le Grand remplacement, 2012, et Le Changement de peuple, 2013, Chez l’auteur.

[5] Coran, 5-33 et 2-190, 191. Traduit par André Chouraqui, Robert Laffont, 1990 p 227 et 79.

[7] Platon : République, Œuvres complètes, Flammarion, 2008, 563 a et b, p 1730.

[9] François-Xavier Bellamy, ibidem, p 12 et 146.

[10] Voir : Pour une éducation libérale

Pierre Mignard : Clio, Muse de l’Histoire, 1689, Musée de Budapest

Première image : Mirri Ludovico,L’Education d’Achille, 1784, Musée du Louvre