J’ai lu avec grand intérêt le texte de S.E. Athanasius Schneider publié dans LifeSiteNews le 1er juin dernier et intitulé ‘La foi des catholiques n’est pas celle des musulmans“. L’étude de Son Excellence résume, avec la clarté qui distingue les paroles de celui qui parle selon le Christ, les objections sur la prétendue légitimité de l’exercice de la liberté religieuse que le Concile Vatican II a théorisée, contredisant le témoignage de la Sainte Écriture, la voix de la Tradition et le Magistère catholique qui est le fidèle gardien de l’une et de l’autre.

Le mérite de ce texte réside tout d’abord dans le fait d’avoir su saisir le lien de causalité entre les principes énoncés ou sous-entendus par Vatican II et l’effet logique qui en est résulté dans les déviations doctrinales, morales, liturgiques et disciplinaires qui sont apparues et se sont progressivement développées jusqu’à ce jour. Le monstrum généré dans les cercles des modernistes pouvait d’abord être trompeur, mais en se développant et en se renforçant, il se montre aujourd’hui pour ce qu’il est vraiment, dans sa nature subversive et rebelle. La créature, alors conçue, est toujours la même et il serait naïf de penser que sa nature perverse puisse changer. Les tentatives visant à corriger les excès du Concile – en invoquant l’herméneutique de la continuité – se sont révélées infructueuses : Naturam espellas furca, tamen usque recurret (Épître d’Horace. I,10,24) [Chassez le naturel à coups de fourche, il reviendra toujours]. La Déclaration d’Abou Dhabi et, comme le fait remarquer à juste titre Mgr Schneider, ses prodromes du panthéon d’Assise, « a été conçue dans l’esprit du Concile Vatican II » comme le confirme fièrement Bergoglio.

Cet « esprit du Concile » est le certificat de légitimité que les novateurs opposent aux critiques, sans se rendre compte que c’est précisément en confessant cet héritage que se confirme non seulement le caractère erroné des déclarations actuelles, mais aussi la matrice hérétique qui les justifierait. À y regarder de plus près, jamais dans la vie de l’Église il n’y a eu un Concile qui ait représenté un événement historique au point de le rendre différent des autres: il n’y a jamais eu « l’esprit du Concile de Nicée », ni « l’esprit du Concile de Ferrare-Florence », et encore moins « l’esprit du Concile de Trente », tout comme il n’y a jamais eu de « post-Concile » après Latran IV ou Vatican I.

La raison en est évidente : ces conciles étaient tous, sans distinction, l’expression de la voix à l’unisson de la Sainte Mère l’Église, et pour cette raison même de Notre Seigneur Jésus-Christ. Il est significatif que ceux qui soutiennent la nouveauté de Vatican II adhèrent également à la doctrine hérétique qui voit le Dieu de l’Ancien Testament opposé au Dieu du Nouveau, presque comme si une contradiction pouvait être donnée entre les Personnes Divines de la Très Sainte Trinité. Il est évident que cette opposition presque gnostique ou kabbalistique sert à légitimer un nouveau sujet délibérément différent et opposé à l’Église catholique. Les erreurs doctrinales trahissent presque toujours aussi une hérésie trinitaire, et c’est donc en revenant à la proclamation du dogme trinitaire que les doctrines qui s’y opposent peuvent être vaincues: ut in confessione veræ sempiternæque deitatis, et in Personis proprietas, et in essentia unitas, et in majestate adoretur æqualitas. Professant la divinité véritable et éternelle, nous adorons le caractère propre des Personnes divines, l’unité dans leur essence, l’égalité dans leur majesté.

Mgr Schneider cite plusieurs canons des Conciles œcuméniques qui, selon lui, proposent des doctrines difficiles à accepter aujourd’hui, comme l’obligation de reconnaître les juifs par leurs vêtements, ou l’interdiction pour les chrétiens d’être les serviteurs de maîtres mahométans ou juifs. Parmi ces exemples, il y a aussi la nécessité de la traditio instrumentorum [cérémonie du rite du confèrement des ordres] déclarée par le Concile de Florence, corrigée par la suite par la Constitution apostolique Sacramentum Ordinis [30 novembre 1947, « sur les Ordres sacrés du diaconat, de la prêtrise et de l’épiscopat »] de Pie XII.
L’évêque Athanasius commente: « On peut légitimement espérer et croire qu’un futur pape ou concile œcuménique corrigera les déclarations erronées faites » par Vatican II.

Cela me semble être un argument qui, même avec les meilleures intentions, sape les fondations de l’édifice catholique. Si, en effet, nous admettons qu’il puisse y avoir des actes magistériels qui, en raison d’une sensibilité modifiée, sont susceptibles d’être abrogés, modifiés ou interprétés différemment au fil du temps, nous tombons inexorablement sous la condamnation du décret Lamentabili [1907, décret de Pie X condamnant les erreurs du modernisme], et nous finissons par être d’accord avec ceux qui, récemment, précisément sur la base de cette hypothèse erronée, ont déclaré « non conforme à l’Évangile » la peine de mort, allant jusqu’à modifier le Catéchisme de l’Église catholique.

Et d’une certaine manière, nous pourrions, par le même principe, croire que les paroles du bienheureux Pie IX dans Quanta cura [encyclique de 1864, sur les erreurs politico-religieuses] ont été en quelque sorte corrigées précisément par Vatican II, tout comme Son Excellence espère que cela puisse se produire pour Dignitatis humanæ [déclaration de Vatican II sur la liberté religieuse, 1965]. Parmi les exemples qu’il a donnés, aucun n’est en soi gravement erroné ou hérétique: le fait d’avoir déclaré la traditio instrumentorum nécessaire à la validité de l’Ordre n’a en aucune façon compromis le ministère sacerdotal dans l’Église, l’amenant à conférer des Ordres de façon non valable. Il ne me semble pas non plus que cet aspect, aussi important soit-il, ait insinué des doctrines erronées chez les fidèles, ce qui n’est arrivé qu’avec le dernier Concile. Et lorsque, au cours de l’histoire, les hérésies se sont répandues, l’Église est toujours intervenue promptement pour les condamner, comme cela s’est produit au moment du Concile de Pistoia en 1786, qui a été en quelque sorte précurseur de Vatican II, surtout lorsqu’il a aboli la communion en dehors de la messe, introduit la langue vernaculaire et supprimé les prières soumises du Canon; mais plus encore lorsqu’il a théorisé les bases de la collégialité épiscopale, en limitant la primauté du Pontife à la seule fonction ministérielle. En relisant les actes de ce Synode, on s’étonne de la formulation minutieuse des erreurs que l’on retrouvera ensuite, voire davantage, dans le Concile présidé par Jean XXIII et Paul VI. D’autre part, de même que la Vérité puise en Dieu, ainsi l’erreur se nourrit chez l’Ennemi, qui déteste l’Église du Christ et son cœur, la sainte Messe et la très sainte Eucharistie.

Il arrive un moment dans notre vie où, par disposition de la Providence, un choix décisif pour l’avenir de l’Église et pour notre salut éternel se présente à nous. Je parle du choix entre comprendre l’erreur dans laquelle nous sommes tous tombés, et presque toujours sans mauvaises intentions, et continuer à se détourner ou à se justifier.

Nous avons, entre autres erreurs, commis aussi celle de considérer nos interlocuteurs comme des personnes qui, malgré la diversité des idées et de la foi, étaient néanmoins animées de bonnes intentions, et qui, au cas où elles réussiraient à s’ouvrir à notre Foi, seraient prêtes à corriger leurs erreurs. Avec de nombreux Pères du Concile, nous avons pensé l’œcuménisme comme un processus, une invitation appelant les dissidents à l’unique Église du Christ; les idolâtres et les païens au seul vrai Dieu ; le Messie promis au peuple juif. Mais, à partir du moment où il a été théorisé dans les commissions du Concile, il s’est configuré en nette opposition à la doctrine jusqu’alors exprimée dans le Magistère.

Nous avons pensé que certains excès n’étaient qu’une exagération de celui qui s’était laissé prendre par l’enthousiasme de la nouveauté ; nous avons sincèrement pensé que le fait de voir Jean-Paul II entouré de marabouts, de bonzes, d’imams, de rabbins, de pasteurs protestants et d’autres hérétiques donnait la preuve de la capacité de l’Église à rassembler les gens pour invoquer la paix auprès de Dieu, alors que l’exemple d’un geste faisant autorité donnait lieu à une suite déviante de panthéons plus ou moins officiels, jusqu’à voir l’idole impure de la pachamama portée sur leurs épaules par plusieurs évêques, sacrilégement dissimulée sous l’apparence présumée d’une maternité sacrée. Mais si le simulacre d’une divinité infernale a pu entrer à Saint-Pierre, cela fait partie d’un crescendo que la partition avait prévu dès le début. Un grand nombre de catholiques pratiquants, et peut-être même la plupart des clercs eux-mêmes, sont aujourd’hui convaincus que la foi catholique n’est plus nécessaire pour le salut éternel; on croit que le Dieu Un et Trine révélé à nos pères est le même dieu que Mahomet. Nous l’avons entendu répéter depuis les chaires et les évêchés il y a vingt ans déjà, mais récemment nous l’avons entendu affirmer avec insistance même depuis la plus haute Chaire.

Nous savons bien que, renforcés par l’adage évangélique Littera enim occidit, spiritus autem vivificat [« la lettre tue, l’esprit au contraire vivifie », de la 2ème lettre de Saint Paul aux corinthiens] , les progressistes et les modernistes ont su habilement cacher dans les textes du Concile ces expressions d’ambiguïté, qui à l’époque semblaient inoffensives pour la plupart des gens, mais qui aujourd’hui se manifestent dans leur valeur subversive. C’est la méthode du subsistit in [expression polémique utilisée dans la Constitution dogmatique de 1964 Lumen Gentium] : dire une demi-vérité non pas tant pour ne pas offenser l’interlocuteur (en supposant qu’il soit licite de faire taire la vérité de Dieu par respect pour l’une de ses créatures), mais dans le but de pouvoir utiliser la demi erreur que l’entière vérité dissiperait instantanément. Ainsi, « Ecclesia Christi subsistit in Ecclesia Catholica » [l’Eglise du Christ subsiste dans l’Eglise catholique] ne précise pas l’identité des deux, mais la subsistance de l’une dans l’autre et, par cohérence, également dans d’autres églises: c’est l’ouverture aux célébrations inter-ecclésiales, aux prières œcuméniques, à la fin inexorable de la nécessité de l’Église pour le salut, de son unicité, de sa nature missionnaire.

Certains se souviendront peut-être que les premières rencontres œcuméniques ont eu lieu avec les schismatiques d’Orient, et très prudemment avec certaines sectes protestantes. A part l’Allemagne, la Hollande et la Suisse, les pays de tradition catholique n’ont pas accueilli dès le début les célébrations mixtes, avec des pasteurs et des curés ensemble. Je me souviens qu’à l’époque, il était question de supprimer l’avant-dernière doxologie du Veni Creator afin de ne pas heurter les orthodoxes, qui n’acceptaient pas le Filioque. Aujourd’hui, nous entendons les sourates du Coran récitées depuis les chaires de nos églises, nous voyons des religieuses et des frères vénérer une idole en bois, nous entendons des évêques confesser ce qui, jusqu’à hier, nous semblait être les excuses les plus plausibles de nombreux extrémismes.

Ce que le monde veut, à l’instigation de la franc-maçonnerie et de ses tentacules infernales, c’est créer une religion universelle, humanitaire et œcuménique, dans laquelle ce Dieu jaloux que nous adorons est banni. Et si c’est ce que le monde veut, tout pas fait dans la même direction par l’Église est un choix malheureux, qui se retournera contre ceux qui croient pouvoir se moquer de Dieu. Les espérances de la Tour de Babel ne peuvent pas être ramenées à la vie par un plan mondialiste qui vise à effacer l’Église catholique, à la remplacer une confédération d’idolâtres et d’hérétiques unis par l’environnement et la fraternité humaine. Il ne peut y avoir de fraternité qu’en Christ, et seulement dans le Christ : qui non est mecum, contra me est [qui n’est pas avec moi est contre moi].

Il est déconcertant que peu de gens soient conscients de cette course vers l’abîme, et que peu de gens soient conscients de la responsabilité des dirigeants de l’Église à soutenir ces idéologies anti-chrétiennes, comme s’ils voulaient se garantir un espace et un rôle sur le char de la pensée unique. Et il est étonnant que l’on persiste à ne pas vouloir enquêter sur les causes profondes de la crise actuelle, se limitant à déplorer les excès d’aujourd’hui comme s’ils n’étaient pas la conséquence logique et inévitable d’un plan orchestré il y a plusieurs décennies. Si la pachamama a pu être vénérée dans une église, nous le devons à Dignitatis humanae. Si nous avons une liturgie protestante et parfois même paganisée, nous le devons aux actions révolutionnaires de l’évêque Annibale Bugnini [1912-1982, l’organisateur de la réforme liturgique de Vatican II] et aux réformes post-conciliaires. Si nous avons signé le document d’Abou Dhabi, nous le devons à Nostra Aetate [déclaration de Vatican II sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes]. Si nous en sommes arrivés à déléguer des décisions aux conférences épiscopales – même en violation très grave du Concordat, comme cela s’est produit en Italie – nous le devons à la collégialité, et à sa version actualisée du Synode.

Grâce à quoi nous nous sommes retrouvés avec Amoris Laetitia à devoir chercher un moyen d’éviter ce qui était évident pour tout le monde, à savoir que ce document, préparé par une impressionnante machine organisationnelle, devait légitimer la Communion pour les divorcés et les concubins, tout comme Querida Amazonia devait servir de légitimation pour les femmes prêtres (voir le cas très récent d’une « vicaire épiscopal » à Fribourg) et l’abolition du saint célibat. Les prélats qui ont envoyé les Dubia à François ont, à mon avis, fait preuve de la même pieuse naïveté : penser que face à la contestation argumentée de l’erreur, Bergoglio comprendrait, corrigerait les points hétérodoxes et demanderait pardon.

Le Concile a été utilisé pour légitimer, dans le silence de l’Autorité, les déviations doctrinales les plus aberrantes, les innovations liturgiques les plus audacieuses et les abus les plus peu éhontés. Ce Concile a été tellement exalté qu’il a été indiqué comme la seule référence légitime pour les catholiques, les clercs et les évêques, obscurcissant et connotant avec un sentiment de mépris la doctrine que l’Église avait toujours enseignée avec autorité, et interdisant la liturgie pérenne qui, pendant des millénaires, avait nourri la foi d’une génération ininterrompue de fidèles, de martyrs et de saints. Entre autres choses, ce Concile s’est avéré être le seul à poser autant de problèmes d’interprétation et à présenter autant de contradictions par rapport au Magistère précédent, alors qu’il n’y en a pas un – du Concile de Jérusalem à Vatican I – qui ne s’harmonise pas parfaitement avec l’ensemble du Magistère et qui nécessite une certaine interprétation.

Je l’avoue avec sérénité et sans polémique : j’ai été l’un de ceux qui, malgré de nombreuses perplexités et craintes, qui s’avèrent aujourd’hui tout à fait légitimes, ont placé leur confiance dans l’autorité de la Hiérarchie avec une obéissance inconditionnelle. En réalité, je pense que beaucoup, et moi parmi eux, n’ont pas initialement envisagé la possibilité d’un conflit entre l’obéissance à un ordre de la Hiérarchie et la fidélité à l’Église elle-même. Ce qui a rendu tangible la séparation contre-nature, voire perverse, entre la Hiérarchie et l’Église, entre l’obéissance et la fidélité, c’est certainement ce dernier pontificat.

Dans la « chambre des larmes » adjacente à la Sixtine, alors que l’évêque Guido Marini prépare le rochet, la mozette et l’étole pour la première apparition du pape « nouvellement élu », Bergoglio s’exclama : « Le carnaval est terminé! », rejetant avec dédain les insignes que tous les papes avaient jusqu’alors humblement acceptés comme insignes du vicaire du Christ. Mais il y avait quelque chose de vrai dans ces mots, même s’ils étaient prononcés involontairement : Le 13 mars 2013, le masque des conspirateurs est tombé, enfin libérés de la présence gênante de Benoît XVI et fiers d’avoir enfin réussi à promouvoir un cardinal qui incarnait leurs idéaux, leur façon de révolutionner l’Église, de rendre sa doctrine dépassable, sa morale adaptable, sa liturgie adultérable, sa discipline abrogeable. Et tout cela a été considéré, par les protagonistes du complot eux-mêmes, comme la conséquence logique et l’application évidente de Vatican II, selon eux affaibli précisément par les critiques exprimées par Benoît XVI lui-même.

Le plus grand affront de ce pontificat a été la libéralisation de la vénérable liturgie tridentine, à laquelle la légitimité a finalement été reconnue, niant cinquante ans d’ostracisme illégitime. Ce n’est pas un hasard si les partisans de Bergoglio sont les mêmes qui voient dans le Concile le premier événement d’une nouvelle église, avant laquelle il y avait une ancienne religion avec une ancienne liturgie. Ce n’est pas un hasard: ce qu’ils affirment impunément, suscitant le scandale des modérés, c’est ce que les catholiques croient aussi, à savoir que malgré toutes les tentatives d’herméneutique de la continuité misérablement anéanties lors de la première confrontation avec la réalité de la crise actuelle, il est indéniable que depuis Vatican II, une église parallèle s’est formée, superposée et opposée à la véritable Église du Christ. Elle a progressivement occulté l’institution divine fondée par Notre Seigneur pour la remplacer par une entité fallacieuse, correspondant à la religion universelle souhaitée dont la Franc-maçonnerie a été le premier théoricien. Des expressions comme +nouvel humanisme+, +fraternité universelle+, +dignité humaine+ sont les mots d’ordre d’un humanitarisme philanthropique qui nie le vrai Dieu, d’une solidarité horizontale d’inspiration vague et spiritualiste et d’un irénisme œcuménique que l’Eglise condamne sans appel. Le recours très fréquent, presque obsessionnel, au même vocabulaire que l’ennemi trahit l’adhésion à l’idéologie dont il s’inspire ; inversement, le renoncement systématique au langage clair, sans équivoque et cristallin propre à l’Église confirme la volonté de se détacher non seulement de la forme catholique, mais aussi de son fond.

Ce que nous entendons depuis des années, de façon vague et sans connotations claires, de la plus haute chaire, nous le trouvons ensuite élaboré dans un véritable manifeste chez les partisans du présent Pontificat: la démocratisation de l’Église par le biais non plus de la collégialité inventée par Vatican II, mais de la voie synodale inaugurée au Synode pour la famille; la démolition du sacerdoce ministériel par son affaiblissement, avec les exceptions au célibat ecclésiastique et l’introduction de figures féminines aux fonctions quasi-sacerdotales; le passage silencieux de l’œcuménisme visant les frères séparés à une forme de pan-œcuménisme qui abaisse la Vérité du Dieu Un et Trine au niveau des idolâtries et des superstitions les plus infernales; l’acceptation d’un dialogue interreligieux qui présuppose le relativisme religieux et exclut l’annonce missionnaire ; la démythisation de la papauté, poursuivie par Bergoglio lui-même en tant que figure du pontificat; la légitimation progressive du politiquement correct : théorie du gender, sodomie, mariages homosexuels, doctrines malthusiennes, écologisme, immigrationnisme… Ne pas reconnaître les racines de ces déviations dans les principes fixés par le Concile rend toute guérison impossible : si le diagnostic s’obstine contre l’évidence à exclure la pathologie initiale, il ne peut formuler une thérapie adaptée.

Cette opération d’honnêteté intellectuelle exige une grande humilité, tout d’abord pour reconnaître que nous avons été induits en erreur pendant des décennies, en toute bonne foi, par des personnes qui, constituées en autorité, n’ont pas su veiller et garder le troupeau du Christ: certains pour vivre tranquilles, d’autres par excès d’engagements, d’autres par commodité, d’autres enfin par mauvaise foi ou même malice. Ces derniers, qui ont trahi l’Église, doivent être identifiés, repris, invités à s’amender et, s’ils ne se repentent pas, jetés hors de l’enceinte sacrée. Ainsi agit un vrai berger, qui prend soin de la santé des brebis et donne sa vie pour elles ; nous avons eu et nous avons encore trop de mercenaires, pour qui le consensus des ennemis du Christ est plus important que la fidélité à son Épouse.

Tout comme j’ai obéi honnêtement et sereinement à des ordres douteux il y a soixante ans, croyant qu’ils représentaient la voix aimante de l’Église, de même aujourd’hui, avec autant de sérénité et d’honnêteté, je reconnais que je me suis laissé tromper. Être cohérent aujourd’hui en persévérant dans l’erreur serait un choix malheureux et ferait de moi un complice de cette fraude. Prétendre dès le départ à une clairvoyance de jugement ne serait pas honnête: nous savions tous que le Concile serait plus ou moins une révolution, mais nous ne pouvions pas imaginer qu’il s’avérerait si dévastateur, même pour ceux qui étaient censés l’empêcher. Et si jusqu’à Benoît XVI on pouvait encore imaginer que le coup d’État de Vatican II (que le cardinal Suenens a appelé le coup d’État de 1789 de l’Église) avait ralenti, ces dernières années même les plus naïfs d’entre nous ont compris que le silence, par crainte de provoquer un schisme, la tentative d’ajuster les documents papaux au sens catholique pour remédier à l’ambiguïté souhaitée, les appels et les doutes adressés à François, éloquemment laissés sans réponse, sont une confirmation de la situation d’apostasie très grave à laquelle sont exposés les dirigeants de la Hiérarchie, alors que le peuple chrétien et le clergé se sentent irrémédiablement écartés et considérés presque avec agacement par l’épiscopat.

La Déclaration d’Abu Dhabi est le manifeste idéologique d’une idée de paix et de coopération entre les religions qui peut avoir une certaine potentialité de tolérance si elle émane des païens, privés de la lumière de la Foi et du feu de la Charité. Mais ceux qui ont la grâce d’être enfants de Dieu, en vertu du saint baptême, devraient être horrifiés à l’idée même de pouvoir construire une tour de Babel blasphématoire dans une version moderne, en essayant d’assembler l’unique vraie Église du Christ, héritière des promesses du Peuple élu, avec ceux qui nient le Messie et avec ceux qui considèrent blasphématoire la seule idée d’un Dieu trine. L’amour de Dieu ne connaît aucune mesure et ne tolère aucun compromis, sinon ce n’est tout simplement pas la Charité, sans laquelle il n’est pas possible de rester en Lui : qui manet in caritate, in Deo manet, et Deus in eo [celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui]. Peu importe qu’il s’agisse d’une déclaration ou d’un document magistral: nous savons très bien que la mens subversive des novateurs joue sur ces mêmes détails pour répandre l’erreur. Et nous savons très bien que le but de ces initiatives œcuméniques et interreligieuses n’est pas de convertir au Christ ceux qui sont loin de l’Église unique, mais de tromper et de corrompre ceux qui conservent encore la Foi catholique, les amenant à considérer comme souhaitable une grande religion universelle qui rassemblerait « dans une seule maison » les trois grandes religions abrahamiques : c’est le triomphe du plan maçonnique en préparation du règne de l’Antéchrist ! Il importe peu que cela se concrétise sous la forme d’une bulle dogmatique, d’une déclaration ou d’une interview de Scalfari sur Repubblica, car les paroles de Bergoglio sont attendues par ses soutiens comme un signal, auquel il répond par une série d’initiatives déjà préparées et organisées depuis longtemps. Et si Bergoglio ne s’en tient pas aux indications reçues, des légions de théologiens et de clercs sont déjà prêts à se plaindre de la « solitude du pape François », comme prémisse à sa démission (je pense, par exemple, à Massimo Faggioli dans un de ses récents écrits). D’autre part, ce ne serait pas la première fois qu’ils utilisent le pape lorsqu’il suit leurs plans, et qu’ils se débarrassent de lui ou l’attaquent dès qu’il s’en éloigne.

L’Église a célébré la Très Sainte Trinité dimanche dernier et propose dans le bréviaire la récitation du Symbolum Athanasianum, désormais proscrite par la liturgie conciliaire et déjà limitée à deux occasions seulement dans la réforme de 1962. Les premiers mots de ce symbole aujourd’hui disparu restent gravés en lettres d’or : « Quicumque vult salvus esse, ante omnia opus est ut teneat Catholicam fidem ; quam nisi quisque integram inviolatamque servaverit, absque dubio in aeternum peribit » [Quiconque veut être sauvé doit, avant tout, tenir la foi catholique: s’il ne la garde pas entière et pure, il périra sans aucun doute pour l’éternité].

Source

NdE 1 : La rédaction de islam-et-verite.com ne considère pas que le principe de la collégialité présenté par Vatican II s’oppose à celui de la primauté du Successeur de Pierre.

NdE 2 : Il  nous  semble que si Mgr Vigano reproche à Mgr Schneider sa proposition théologique selon laquelle un pape postérieur pourrait condamner les actes d’un de ses prédécesseurs, parce que cela reviendrait à tomber “inexorablement sous la condamnation du décret Lamentabili”, lequel condamne l’idée que “des actes magistériels, en raison d’une sensibilité modifiée, soient susceptibles d’être abrogés, modifiés ou interprétés différemment au fil du temps”, il peut alors difficilement lui-même échapper à cette même critique en remettant en cause Vatican II.


Alors que Mgr Athanasius Schneider propose de rectifier certaines expressions ambiguës ou trompeuses du concile Vatican II, Mgr Viganó a adopté des termes plus radicaux à propos desquels le fondateur et directeur de LifeSiteNews, John-Henry Westen, l’a récemment interrogé. Je publie volontiers ci-dessous ma traduction des lettres qu’ils ont échangées ; traduction authentifiée par Mgr Viganò.

C’est une nouvelle étape dans les discussions à cœur ouvert sur « le Concile » menées désormais par ceux qui ont en quelque sorte longtemps vécu sous son empire. Certains, je le sais, notent que rien de très nouveau ne se dit par rapport aux critiques formulées dès les années 1960 par des ecclésiastiques et des laïcs qui avaient tout de suite perçu les menaces dont les textes conciliaires étaient porteurs vis-à-vis de la doctrine traditionnelle de l’Eglise, et qui se sont battus contre le saccage de la liturgie : je pense à Jean Madiran, à Mgr Marcel Lefebvre, à l’abbé Berto et tant d’autres, en France notamment.

Mais la nouveauté réside dans une libération de la parole et une prise de conscience qui ont, paradoxalement, été favorisées par le pontificat actuel. Des frontières se redessinent ou plus exactement deviennent plus perméables entre ceux qui ont le souci de l’Eglise et du salut des âmes.

Forcément, les approches sont diverses, comme en témoigne justement la différence des solutions proposées par Mgr Schneider et Mgr Viganò. Mais il faut comprendre qu’elles ne sont pas marginales : elles ont du poids, un poids que je qualifierais de providentiel dans les circonstances actuelles. – J.S.

Cher Monseigneur Viganò,

J’espère obtenir une clarification de votre part sur vos derniers textes concernant le concile Vatican II.

Dans votre texte du 9 juin, vous dites qu’« il est indéniable qu’à partir de Vatican II, une église parallèle a été construite, superposée et diamétralement opposée à la véritable Église du Christ ».

Dans l’interview que vous avez ensuite accordée à Phil Lawler, celui-ci a posé la question suivante : « Quelle est la solution ? Mgr Schneider propose qu’un futur Pontife rejette les erreurs ; votre Excellence trouve cela insuffisant. Mais alors comment corriger les erreurs, de manière à maintenir l’autorité d’enseignement du Magistère ? »

Vous avez répondu : « Il appartiendra à l’un de ses Successeurs, le Vicaire du Christ, dans la plénitude de sa puissance apostolique, de reprendre le fil de la Tradition là où il a été coupé. Ce ne sera pas une défaite, mais un acte de vérité, d’humilité et de courage. L’autorité et l’infaillibilité du Successeur du Prince des Apôtres ressortiront intactes et reconfirmées. »

Il n’en résulte pas clairement si vous croyez que Vatican II est un concile invalide, et qui doit donc être complètement rejeté, ou si vous croyez que, tout en étant valide, ce concile contenait de nombreuses erreurs et qu’il serait plus profitable pour les fidèles qu’on le fasse oublier, afin qu’ils puissent plutôt s’inspirer de Vatican I et d’autres conciles pour s’en nourrir.
Je crois que cette clarification serait utile.

Dans le Christ et sa Mère bien-aimée,
JH

*

1er juillet 2020
In festo Pretiosissimi Sanguinis
Domini Nostri Iesu Christi

Cher John-Henry,

Je vous remercie pour votre lettre, qui me donne l’occasion de clarifier ce que j’ai déjà exprimé à propos de Vatican II. Cette question délicate fait intervenir d’éminentes personnalités ecclésiastiques, et un nombre non négligeable de laïcs érudits : j’espère que ma modeste contribution pourra aider à lever la chape d’équivoques qui pèse sur le Concile, et ainsi à aboutir à une solution partagée.
Votre lettre part de ma première observation : « Il est indéniable qu’à partir de Vatican II, une église parallèle a été construite, superposée et diamétralement opposée à la véritable Église du Christ », puis je cite mes paroles sur la solution à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui : « Il appartiendra à l’un de ses Successeurs, le Vicaire du Christ, dans la plénitude de son pouvoir apostolique, de reprendre le fil de la Tradition là où il a été coupé. Ce ne sera pas une défaite, mais un acte de vérité, d’humilité et de courage. L’autorité et l’infaillibilité du Successeur du Prince des Apôtres ressortiront intactes et reconfirmées. »

Vous affirmez ensuite que ma position n’est pas claire – « si vous croyez que Vatican II est un concile invalide, et qui doit donc être complètement rejeté, ou si vous croyez que, tout en étant valide, ce concile contenait de nombreuses erreurs et qu’il serait plus profitable pour les fidèles qu’on le fasse oublier ». Je n’ai jamais pensé et encore moins affirmé que Vatican II ait été un Concile œcuménique invalide : il a en effet été convoqué par l’autorité suprême, par le Souverain Pontife, et tous les évêques du monde y ont pris part. Vatican II est un concile valide, qui bénéficie de la même autorité que Vatican I et le Concile de Trente. Cependant, comme je l’ai déjà écrit, dès son origine, il a fait l’objet d’une grave manipulation par une cinquième colonne qui a pénétré au cœur même de l’Église et qui en a perverti les objectifs, comme le confirment les résultats désastreux que chacun peut voir. Rappelons que lors la Révolution française, le fait que les états généraux aient été légitimement convoqués le 5 mai 1789 par Louis XVI n’a pas empêché leur dégénérescence en la Révolution et en la Terreur (la comparaison n’est pas déplacée, puisque le cardinal Suenens a appelé l’événement du Concile « le 1789 de l’Église »).

Dans sa récente intervention, Son Éminence le cardinal Walter Brandmüller a soutenu que le Concile se situe dans la continuité de la Tradition, et il en veut ceci pour preuve : « Il suffit de jeter un coup d’œil aux notes du texte. On peut ainsi constater que dix conciles antérieurs sont cités par le document. Parmi ceux-ci, Vatican I est cité 12 fois, et Trente 16 fois. De cela il ressort déjà clairement que, par exemple, toute idée de “distanciation par rapport au Concile de Trente” est absolument exclue. Le rattachement à la Tradition apparaît encore plus étroit si l’on pense que, parmi les papes, Pie XII est cité 55 fois, Léon XIII en 17 occasions, et Pie XI à douze reprises. S’y ajoutent Benoît XIV, Benoît XV, Pie IX, Pie X, Innocent I et Gélase. Le fait le plus impressionnant, cependant, est la présence des Pères de l’Eglise dans les textes de Lumen Gentium. Le Concile fait référence à l’enseignement des Pères à 44 reprises. Parmi eux : Augustin, Ignace d’Antioche, Cyprien, Jean Chrysostome et Irénée. En outre, les grands théologiens et docteurs de l’Église sont cités : Thomas d’Aquin est cité dans 12 passages au moins, avec sept autres personnes de poids. »

Comme je l’ai souligné pour le cas analogue du Synode de Pistoie, la présence d’un contenu orthodoxe n’exclut pas la présence d’autres propositions hérétiques et n’en atténue pas la gravité ; d’ailleurs la vérité ne peut servir à couvrir ne serait-ce qu’une seule erreur. Au contraire, les nombreuses citations d’autres conciles, d’actes magistériels ou des Pères de l’Église peuvent précisément servir à dissimuler, avec une intention malicieuse, les points controversés. À cet égard, il est utile de rappeler les paroles du Tractatus de Fide orthodoxa contra Arianos, cité par Léon XIII dans son encyclique Satis Cognitum :

« Rien ne saurait être plus dangereux que ces hérétiques qui, conservant en tout le reste l’intégrité de la doctrine, par un seul mot, comme par une goutte de venin, corrompent la pureté et la simplicité de la foi que nous avons reçue de la tradition dominicale, puis apostolique. »

Léon XIII commente ensuite :

« Telle a été toujours la coutume de l’Eglise, appuyée par le jugement unanime des saints Pères, lesquels ont toujours regardé comme exclu de la communion catholique et hors de l’Eglise quiconque se sépare le moins du monde de la doctrine enseignée par le magistère authentique. »

Dans les pages de L’Osservatore Romano, dans un article du 14 avril 2013, le cardinal Kasper a reconnu qu’« en de nombreux endroits [les Pères du Concile] ont dû trouver des formules de compromis dans lesquelles, bien souvent, les positions de la majorité (les conservateurs) se trouvent à côté de celles de la minorité (les progressistes), pour les circonscrire. Par conséquent, les textes conciliaires portent en eux-mêmes un énorme potentiel de conflit, ouvrant la porte à une réception sélective dans chacun des deux sens ». Voilà d’où proviennent les ambiguïtés qui en résultent, les contradictions manifestes et les graves erreurs doctrinales et pastorales.

On pourrait objecter que la prise en considération de la présomption de dol dans un acte du Magistère doit être rejetée avec dédain, dès lors que le Magistère doit viser à confirmer les fidèles dans la Foi ; mais peut-être est-ce précisément la fraude délibérée qui fait qu’un acte puisse s’avérer comme n’appartenant pas au Magistère, et qu’il puisse être condamné ou déclaré nul. Son Éminence le cardinal Brandmüller a conclu son commentaire par ces mots : « Il conviendrait d’éviter l’“herméneutique du soupçon” qui accuse d’emblée l’interlocuteur d’avoir des conceptions hérétiques. » Je partage certes ce sentiment dans l’abstrait et en général, mais je pense qu’il convient d’établir une distinction pour mieux cerner un cas concret. Pour ce faire, il est nécessaire d’abandonner l’approche, un peu trop légaliste, selon laquelle il faut considérer que toutes les questions doctrinales appartenant à l’Église doivent être traitées et résolues principalement sur le fondement d’une référence normative : n’oublions pas que la loi est au service de la Vérité, et non l’inverse. Et il en va de même pour l’Autorité qui de cette loi, est la ministre, et de cette Vérité, la gardienne. D’autre part, lorsque Notre Seigneur se trouva face à la Passion, la Synagogue avait déserté sa fonction propre de guide du Peuple Elu dans la fidélité à l’Alliance, tout comme une partie de la hiérarchie le fait depuis soixante ans.

Cette attitude légaliste est à la base de la duperie des Novateurs, ceux qui ont conçu une manière très simple de mettre la Révolution en marche, en l’imposant par l’autorité d’un acte que l’Ecclesia docens adoptait afin de définir les vérités de la Foi avec force contraignante pour l’Ecclesia discens, et en reprenant cet enseignement dans d’autres documents tout aussi contraignants, bien qu’à un degré différent. En somme, il a été décidé d’apposer l’étiquette “ Concile ”sur un événement conçu par certains dans le but de démolir l’Église, et pour ce faire, les conspirateurs ont agi avec une intention malveillante et dans un but subversif. Le P. Edward Schillebeeckx op l’a affirmé franchement : « Aujourd’hui nous nous exprimons de façon diplomatique, mais après le Concile, nous tirerons les conclusions implicites » (De Bazuin, n.16, 1965).

Il ne s’agit donc pas d’une « herméneutique du soupçon », mais au contraire de quelque chose de beaucoup plus grave qu’un soupçon, chose que corroborent une évaluation sereine des faits, et aussi l’aveu des protagonistes eux-mêmes. À cet égard, qui fait davantage autorité parmi eux que celui qui était alors le cardinal Ratzinger ?

« On avait de plus en plus l’impression que rien n’était stable dans l’Eglise, que tout était à revoir. Le Concile apparaissait de plus en plus comme un grand parlement d’Eglises capable de tout modifier et de tout remodeler à sa manière. Un ressentiment montait contre Rome et contre la Curie, désignées comme ennemi réel de toute nouveauté et de tout progrès. Le débat du Concile fut de plus en plus présenté selon le schéma partisan propre au système parlementaire moderne. Lorsque l’information était présentée de cette manière, la personne qui la recevait se voyait obligée de prendre parti pour l’un ou l’autre camp. (…) Si les évêques qui étaient à Rome pouvaient changer l’Église, et même la foi elle-même (comme ils semblaient pouvoir le faire), pourquoi cela serait-il réservé aux seuls évêques ? En tout cas, la foi pouvait, là, être changée, et contrairement à tout ce que nous pensions jusqu’alors, cette possibilité ne paraissait plus soustraite aux décisions humaines, mais selon toutes les apparences, elle était désormais apparemment déterminée par celles-ci. Désormais, on savait que les nouveautés proposées par les évêques avaient été apprises auprès des théologiens. Pour les croyants, ce fut un phénomène étrange : leurs évêques semblaient montrer à Rome un visage différent de celui qu’ils montraient chez eux » (d’après J. Ratzinger, Ma vie, éd. Fayard 2005).

À ce stade, il convient d’attirer l’attention sur un paradoxe récurrent dans les questions mondiales : le courant dominant (le mainstream) appelle « théoriciens du complot » ceux qui révèlent et dénoncent le complot que le courant dominant lui-même a conçu, afin de détourner l’attention du complot et de nier toute légitimité à ceux qui le dénoncent. De même, il me semble qu’il y a un risque de qualifier de coupables d’« herméneutique du soupçon » tous ceux qui révèlent et dénoncent la fraude conciliaire, comme s’il s’agissait de personnes qui accusent sans motif et « d’emblée leur interlocuteur de conceptions hérétiques ». Il faut au contraire déterminer si l’action des protagonistes du Concile peut justifier la suspicion à leur égard, voire prouver que cette suspicion est fondée ; et si le résultat qu’ils ont obtenu justifie qu’on évalue négativement l’ensemble du Concile, ou certaines de ses parties, ou encore d’aucune d’entre elles. Si nous persistons à penser que ceux qui ont conçu Vatican II comme un événement subversif rivalisaient de piété avec saint Alphonse et de doctrine avec saint Thomas, nous faisons preuve d’une naïveté qui cadre mal avec le précepte évangélique, et qui frise certainement, sinon la connivence, au moins l’insouciance. Je ne parle évidemment pas de la majorité des Pères du Concile, qui étaient certainement animés d’intentions pieuses et saintes ; je parle des protagonistes de l’événement conciliaire, des soi-disant théologiens qui, jusqu’à Vatican II, ont été frappés de censures canoniques et interdits d’enseigner, et qui, pour cette raison même, ont été choisis, promus et aidés, de sorte que leur réputation d’hétérodoxie est devenue pour eux un motif de gloire, tandis que l’orthodoxie incontestée du cardinal Ottaviani et de ses collaborateurs du Saint-Office a été une raison suffisante pour jeter au feu les schémas préparatoires du Concile, avec le consentement de Jean XXIII.

Je doute qu’à l’égard de Mgr Bugnini – pour ne citer que lui – une attitude de suspicion prudente soit critiquable ou dépourvue de charité ; bien au contraire, la malhonnêteté de l’auteur du Novus Ordo dans la poursuite de ses objectifs personnels, son adhésion à la Maçonnerie et ses propres aveux dans ses journaux intimes donnés à la presse, montrent que les mesures prises par Paul VI à son égard n’ont été que trop indulgentes et inefficaces, puisque tout ce qu’il a fait dans les Commissions conciliaires et à la Congrégation des Rites est resté intact et, malgré tout cela, est devenu partie intégrante des Acta Concilii et des réformes qui leur sont liées. Ainsi, l’herméneutique du soupçon est tout à fait bienvenue si elle sert à démontrer qu’il existe des raisons valables de soupçonner et que ces soupçons se matérialisent souvent dans la certitude d’une fraude intentionnelle.

Revenons maintenant à Vatican II, pour mettre en évidence le piège dans lequel les bons Pasteurs sont tombés, induits en erreur avec leur troupeau par un travail de tromperie des plus astucieux de la part de personnes notoirement infectées par le Modernisme, et dont il n’est pas rare que leur conduite morale ait été elle aussi dévoyée. Comme je l’ai écrit plus haut, la fraude consiste à avoir recours à un Concile comme l’emballage d’une manœuvre subversive, et à utiliser l’autorité de l’Église pour imposer la révolution doctrinale, morale, liturgique et spirituelle qui est ontologiquement contraire au but pour lequel le Concile a été convoque et son autorité magistrale exercée. Je le répète : l’étiquette « Concile » apposée sur l’emballage ne reflète pas son contenu.

Nous avons assisté à une manière nouvelle et différente de comprendre les mots du lexique catholique eux-mêmes : l’expression « concile œcuménique » utilisée pour le Concile de Trente ne coïncide pas avec le sens qui lui a été donné par les partisans de Vatican II, pour qui le terme « concile » fait allusion à la « conciliation » et le terme « œcuménique » au dialogue inter-religieux. L’« esprit du concile » est l’« esprit de conciliation, de compromis », tout comme l’assemblée conciliaire a été une attestation solennelle et publique du dialogue conciliateur avec le monde, pour la première fois dans l’histoire de l’Église.

Bugnini écrivait : « Nous devons dépouiller nos prières catholiques et la liturgie catholique de tout ce qui pourrait être l’ombre d’une pierre d’achoppement pour nos frères séparés, les protestants » (cf. L’Osservatore Romano, 19 mars 1965). A partir de ces paroles, nous comprenons que la réforme qui a été le fruit de la mens conciliare avait pour but d’atténuer la proclamation de la Vérité catholique afin de ne pas offenser les hérétiques : et c’est exactement ce qui a été fait, non seulement dans la Sainte Messe – horriblement défigurée au nom de l’œcuménisme – mais aussi dans l’exposé des dogmes dans les documents au contenu doctrinal ; l’utilisation du subsistit in en est un exemple très clair.

Il sera peut-être possible de débattre des motifs qui ont pu conduire à cet événement unique, si lourd de conséquences pour l’Église ; mais nous ne pouvons plus nier l’évidence et prétendre que Vatican II n’était pas quelque chose de qualitativement différent de Vatican I, malgré les tentatives héroïques, nombreuses et documentées, y compris de la part de la plus haute autorité, pour l’interpréter de force comme un normal concile œcuménique. Toute personne dotée de bon sens peut voir que c’est une absurdité que de vouloir interpréter un concile, puisqu’il est et doit être une norme claire et sans équivoque de la Foi et de la Morale. En second lieu, si un acte magistériel soulève des arguments sérieux et raisonnés selon lesquels il pourrait manquer de cohérence doctrinale avec les actes du Magistère qui l’ont précédé, il est évident que la condamnation d’un seul point hétérodoxe discrédite de toute façon l’ensemble du document. Si l’on ajoute à cela le fait que les erreurs formulées, ou que l’on comprend indirectement entre les lignes, ne se limitent pas à un ou deux cas, et que les erreurs affirmées correspondent à l’inverse à une énorme masse de vérités non réaffirmées, on peut se demander s’il ne serait pas juste d’expurger le catalogue des Conciles canoniques de cette dernière assemblée. Au bout du compte, c’est l’histoire qui jugera, et le sensus fidei du peuple chrétien, avant même qu’une sentence ne soit prononcée par un document officiel. L’arbre est jugé à ses fruits, et il ne suffit pas de parler d’un printemps conciliaire pour cacher le rude hiver qui s’abat sur l’Église ; ni d’inventer des prêtres mariés et des diaconesses pour remédier à l’effondrement des vocations ; ni d’adapter l’Évangile à la mentalité moderne pour obtenir plus de consensus. La vie chrétienne est un combat, pas une sympathique promenade à la campagne, et cela est vrai à plus forte raison pour la vie sacerdotale.

Je conclus par une demande adressée à ceux qui interviennent avec profit dans le débat sur le Concile : je voudrais que nous cherchions avant tout à proclamer à tous les hommes la Vérité salvifique, parce que leur et notre salut éternel en dépend ; et que nous ne nous préoccupions que subsidiairement des implications canoniques et juridiques soulevées par Vatican II : anathema sit ou damnatio memoriae, cela importe peu. Si le Concile n’a vraiment rien changé à notre foi, alors reprenons le Catéchisme de saint Pie X, retournons au Missel de saint Pie V, restons devant le tabernacle, ne désertons pas le confessionnal, et pratiquons la pénitence et la mortification dans un esprit de réparation. C’est de là que jaillit l’éternelle jeunesse de l’Esprit. Et surtout : faisons-le en sorte que nos œuvres témoignent de manière solide et cohérente de ce que nous prêchons.

+ Carlo Maria Viganò, archevêque

Traduction officielle par Jeanne Smits