On ne parle plus guère des livres deutérocanoniques ces temps-ci. Ceux qui le font sont principalement des chrétiens, et souvent ils se rattachent à deux grands groupes : les catholiques – qui généralement ne connaissent pas bien leurs Bibles, et par conséquent ont peu de connaissances sur ces deutérocanoniques – et les protestants – qui probablement connaissent leurs Bibles un peu mieux, bien que leurs Bibles ne contiennent pas les livres deutérocanoniques, de sorte qu’ils ne les connaissent pas non plus.

Les livres deutérocanoniques (c’est-à-dire du « second canon ») sont un groupe de sept livres – Ben Sirach (ou le Siracide ou Ecclésiastique ), Tobit, Sagesse, Judith, premier et deuxième livre des Macchabées, Baruch, ainsi que les « versions longues » de Daniel et Esther- qui sont trouvées dans le canon de l’Ancien Testament utilisé par les catholiques, mais absentes du canon de l’Ancien Testament des protestants, qui parfois les appellent péjorativement du nom d’« apocryphes ». Ces livres sont appelés « deutérocanoniques », non parce qu’ils seraient d’un rang inférieur ou représenteraient un intérêt secondaire, mais parce que leur appartenance au canon des Écritures fut statuée plus tardivement que d’autres livres qui furent partout et toujours regardés comme canoniques, comme la Genèse, Isaïe, les Psaumes.

Pourquoi ces livres sont-ils absents des livres protestants ? Les protestants offrent plusieurs explications de leur rejet des Deutérocanoniques de leurs Écritures. J’appelle ces explications des mythes car elles sont soit incorrectes, soit de mauvaises raisons pour les rejeter. Examinons les cinq mythes les plus fréquents et comment y répondre.

1er mythe : Les deutérocanoniques ne sont pas retrouvés dans les Bibles hébraïques. Ils ont été ajoutés au Concile de Trente après leur rejet par Luther.

L’arrière-fond de cette théorie est le suivant : Jésus et ses Apôtres, étant juifs, utilisaient la même Bible que les juifs d’aujourd’hui. Cependant, après leur mort, des hiérarques égarés commencèrent à ajouter des livres à la Bible, soit par ignorance, soit parce que de tels livres les aidaient à consolider des traditions catholiques farfelues, ajoutées à l’Évangile. Au XVI e siècle, avec l’avènement de la Réforme, les premiers protestants, enfin capables de lire la Bible sans la propagande ecclésiastique de Rome, remarquèrent cette différence entre les Bibles hébraïques et catholiques, démasquèrent ces additions médiévales pour ce qu’elles étaient, et les arrachèrent de la Parole de Dieu. Rome réagit en ajoutant officiellement les livres deutérocanoniques lors du Concile de Trente (1564-1565) et commença à dire aux catholiques « qu’ils avaient toujours été là »,

Belle théorie ! Mais ses bases historiques sont plutôt fines. Comme nous le verrons, accepter ces mythes mène à certains dilemmes.

En premier lieu, le problème avec cette théorie, c’est qu’il dépend d’une notion incorrecte : l’actuelle Bible utilisée par les juifs serait la même que celle utilisée par Jésus et ses Apôtres. Ceci est faux ! En réalité, les limites de l’Ancien Testament étaient encore floues à l’époque de Jésus et le canon des Écritures n’était pas encore établi à la période Apostolique. Certaines personnes vous diront qu’il devait bien être établi, puisque, disent-ils, Jésus tenait les gens pour responsables de leur obéissance aux Écritures. Mais ceci aussi est faux. Car Jésus demandait aux gens de suivre leur conscience, et donc les Écritures, dans la mesure où ils étaient capables de comprendre ce qui constituait « les Écritures ».

Regardez les Sadducéens. Ils ne considéraient que les cinq premiers livres de l’Ancien Testament comme inspirés et canoniques. Ils regardaient les autres livres de l’Ancien Testament, un peu comme les protestants aujourd’hui regardent les Deutérocanoniques : intéressants, mais pas la Parole inspirée de Dieu. Et c’est précisément pourquoi les Sadducéens débattent avec Jésus de la réalité de la résurrection en Mathieu 22 : 23-33 : ils ne la trouvaient pas dans les cinq livres de Moïse, et ne considéraient pas les autres livres de l’Écriture qui en parlent explicitement (comme Isaïe et 2 Macchabées) comme inspirés et canoniques. Jésus leur dit-il : « Vous vous trompez gravement, ne connaissant ni Isaïe, ni Macchabées » ? Les oblige t-il à reconnaître ces livres comme canoniques ? Non. Il n’essaie pas de forcer les Sadducéens à reconnaître un Ancien Testament « augmenté ». Il attend seulement des Sadducéens qu’ils prennent au sérieux les Écritures qu’ils reconnaissent : c’est-à-dire qu’il débat sur la résurrection à partir des cinq livres de la loi. Mais bien sûr, cela ne signifie pas non plus que Jésus acceptait ce canon « rétréci » des Sadducéens.

Jésus fait la même chose quand il s’adresse aux Pharisiens, un autre groupe juif de l’époque. Ces juifs semblent avoir eu un canon de l’Ancien Testament proche de celui des juifs d’aujourd’hui. Un canon bien plus grand que celui des Sadducéens, mais pas aussi grand que d’autres collections juives de l’Écriture. Là encore, Jésus et ses Apôtres n’hésitent pas à discuter à partir des textes que les pharisiens reconnaissent comme scripturaires. Mais comme pour les Sadducéens, cela ne signifie pas que le Christ ou les Apôtres aient limité les Écritures à ce qui était reconnu par les pharisiens.

Quand Jésus et ses Apôtres s’adressent à la Diaspora juive de langue grecque, ils utilisent une collection d’écrits encore plus grande : la Septante, une traduction des Écritures juives en grec, que beaucoup de juifs (la majorité en fait), regardaient comme Écritures inspirées. En fait, nous constatons que le Nouveau Testament est plein de références à la Septante comme Écriture, et à sa manière particulière de traduire certains passages de l’Ancien testament. Ironiquement, l’un des passages favoris utilisé dans les polémiques contre les catholiques est Marc 7 : 6-8. Dans ce passage, Jésus condamne des doctrines enseignées comme préceptes humains. Ce texte est la base d’un invraisemblable nombre de récriminations contre l’Église catholique, accusée d’ajouter à l’Écriture des traditions humaines, comme ces Deutérocanoniques, qui seraient uniquement un travail d’hommes. Peu réalisent que dans Marc 7 : 6-8, le Seigneur citait la version d’Isaïe trouvée dans la Septante.

Mais voilà le hic : la version de l’Écriture appelée Septante, citée par le Christ, inclut ces livres Deutérocanoniques, livres censés avoir été ajoutés par Rome au XVI e siècle. Et ce n’est absolument pas la seule citation de la Septante dans le Nouveau testament. En fait, deux bons tiers des passages de l’Ancien Testament cités dans le Nouveau viennent de la Septante. Alors pourquoi les deutérocanoniques ne sont-ils pas retrouvés dans les Bibles juives d’aujourd’hui ? Parce que les juifs qui formulèrent le canon juif moderne a) n’étaient pas concernés par l’enseignement des Apôtres et b) avaient d’autres préoccupations que celles de la communauté apostolique.

En réalité, ce n’est pas avant la fin de l’âge apostolique que les juifs, cherchant une nouvelle base pour leur pratique religieuse suite à la destruction du temple, se concentrèrent sur l’Écriture, et établirent leur canon au rassemblement des Rabbins, connu comme « le « Concile de Javneh » (ou encore Jamnia) vers 90 après J.C.. Avant cela, il n’y avait jamais eu d’effort pour définir le canon des Écritures juives. En fait, l’Écriture n’indique nulle part que les juifs aient eu l’idée de définir ce canon.

Le canon obtenu par les rabbins à Javneh était celui des pharisiens palestiniens : pas le plus court, qui était utilisé par les Sadducéens, qui avaient pratiquement disparus après le soulèvement contre Rome. Pas non plus celui plus récent, constitué par la version grecque de la Septante, que les rabbins regardaient plutôt de haut, comme « teintée de paganisme ». Souvenez-vous que ces rabbins palestiniens n’étaient pas trop ouverts au multiculturalisme, suite à ce qu’ils avaient subi de la main des romains. Leur peuple avait été massacré par des envahisseurs étrangers, le Temple profané et détruit, la religion juive palestinienne se retrouvait en lambeaux. Donc, ces rabbins rejetèrent la version de la Septante et adoptèrent le canon intermédiaire des pharisiens. Par la suite, cette version fut adoptée par la majorité des juifs, cependant, pas par tous. Aujourd’hui encore, les juifs d’Éthiopie utilisent encore la version grecque de la Septante, pas le canon palestinien, plus court, établi par les rabbins à Javneh. En d’autres termes, le canon de l’Ancien Testament reconnu par les juifs éthiopiens est le même que celui de l’Ancien Testament des catholiques, avec les sept livres Deutérocanoniques (Enc. Judaïca, vol.6, p. 1147).

Et souvenez-vous qu’avant que ne se déroule le Concile de Javneh, l’Église Catholique existait déjà et utilisait la Septante dans ses enseignements, prédications et célébrations depuis presque 60 ans, exactement comme les Apôtres l’avaient fait eux-mêmes. L’Église ne s’est donc pas sentie obligée de se conformer aux souhaits des rabbins qui ont exclu les livres Deutérocanoniques, pas plus qu’elle ne s’est sentie obligée de les suivre dans leur rejet des écrits du Nouveau Testament. Pour les chrétiens, après la naissance de l’Église le jour de la Pentecôte, les rabbins n’avaient plus l’autorité de Dieu pour décider de ce genre de choses. Cette autorité qui incluait celle de définir le canon des Écritures a été donnée à l’Église par le Christ.

Ainsi, l’Église et la Synagogue ont séparé leurs chemins non au moyen âge ou au XVI e siècle, mais au 1er siècle. La Septante, incluant les Deutérocanoniques, fut d’abord acceptée, non pas par le Concile de Trente, mais par Jésus et ses Apôtres.

2e mythe : Le Christ et les Apôtres ont fréquemment cité les Écritures de l’Ancien Testament comme source d’autorité, mais ils n’ont jamais cité les Deutérocanoniques, et ils n’y ont même jamais fait allusion. Clairement, si ces livres faisaient partie de Écritures, le Seigneur les aurait cités !

Ce mythe repose sur deux erreurs. La première est le mythe « Citation égale Canonicité ». Elle sous-entend que, si un livre est cité ou s’il y est fait référence par le Christ ou les Apôtres, il fait ipso facto partie du canon de l’Ancien Testament. Inversement, un livre qui n’est pas cité, ne doit pas être canonique.

Cet argument est invalidé pour deux raisons. Tout d’abord, de nombreux livres non canoniques sont cités par le Nouveau Testament. Sont concernés : le livre d’Énoch, l’Assomption de Moïse (cités dans Jude), l’Ascension d’Isaïe ( dont il est fait allusion en Hébreux 11 : 37), les écrits des poètes païens Épimenides, Aratus et Menander (cités par Paul en Actes, 1 Corinthiens et Tite). Si « Citation égale Canonicité », alors pourquoi aucun de ces livres n’est dans l’Ancien Testament ?

Ensuite, si « Citation égale Canonicité », il y a de nombreux livres de l’Ancien Testament qui devraient être exclus. Cette exclusion concernerait le Cantique des Cantiques, l’Ecclésiaste, Esther, Abdias, Sophonie, Juges, 1 Chroniques, Esdras, Néhémie, Lamentations et Nahum. Aucun de ces livres de l’Ancien testament n’est jamais ni cité, ni évoqué par le Christ ou les Apôtres dans le Nouveau testament.

Contre l’autre erreur qui se cache derrière le deuxième mythe : loin d’être ignorés dans le Nouveau Testament (comme le sont Ecclésiaste, Esther et 1 Chronique), les livres deutérocanoniques sont en effet cités ou évoqués dans le Nouveau Testament. Par exemple, dans Sagesse 2 : 12-20, on lit en particulier : « …Car si le juste est fils de Dieu, Il l’assistera et le délivrera des mains de ses adversaires. Éprouvons-le par l’outrage et la torture afin de connaître sa douceur et de mettre à l’épreuve sa résignation ».

Ce passage était clairement à l’Esprit de ceux qui ont écrit les Évangiles synoptiques dans leur récit de la Crucifixion : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même ! Il est Roi d’Israël : qu’il descende de la croix et nous croirons en lui ! Il a compté sur Dieu, qu’il le délivre maintenant ! Il a bien dit : ‘Je suis le Fils de Dieu’ » (cf. Mathieu 27 : 42-43).

De même, Saint-Paul fait clairement allusion aux chapitres 12 et 13 de la Sagesse dans Romains 1 : 19-25. Hébreux 11 : 35 faits référence, sans erreur possible, à 2 Macchabées 7. Et plus d’une fois, le Christ s’inspire du texte de Siracide 27 : 6 qui écrit : « Le verger où croit l’arbre est jugé à ses fruits, ainsi la parole d’un homme fait connaître ses sentiments » . Notez aussi que le Seigneur et ses Apôtres observaient la fête juive d’Hanoukka (cf. Jean 10 : 22-36). Mais l’ordonnance divine de cette fête fondamentale est rapportée seulement dans les premier et second livres deutérocanoniques de Macchabées. Aucun des autres livres de l’Ancien Testament ne parle de cette fête. À la lumière de ceci, considérez l’importance des paroles du Christ à l’occasion de cette fête : « N’est-il pas écrit dans votre loi, « J’ai dit vous êtes des dieux » ? Si elle les a appelés « dieux », ceux à qui la parole de Dieu fut adressée – et l’Écriture ne peut être récusée – à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde vous dîtes … » Jésus, debout près du temple de Salomon pendant la fête d’Hanoukka, parle de lui comme « consacré », exactement comme Judas Macchabée « consacra » le Temple en 1 Macchabées 4 : 36-59 et 2 Macchabées 10 : 1-8. En d’autres termes, notre Seigneur établit un rapport que ses auditeurs juifs ne pouvaient pas manquer en considérant la fête d’Hanoukka et le récit qui en est fait dans Macchabées, comme une image ou l’archétype de Sa propre consécration au Père. C’est-à-dire, qu’il considère la fête d’Hanoukka des soi-disant livres « apocryphes » de Macchabées (1er et 2e livre) exactement comme il considère la Manne (Jean 6 : 32-33 ; Exode 16 : 4), le Serpent de Bronze (Jean 3 : 14 ; Nombres 21 : 4-9), et l’Échelle de Jacob (Jean 1 : 51 ; Genèse 28 : 12), c’est-à-dire comme des images scripturaires inspirées et prophétiques de Lui-même. Nous voyons ce motif tout au long du Nouveau Testament. Il n’existe, pour le Christ ou ses Apôtres, aucune distinction entre les livres deutérocanoniques et le reste de l’Ancien Testament.

3e mythe : Les livres deutérocanoniques contiennent des erreurs historiques, géographiques et morales. Ils ne peuvent donc être des Écrits inspirés de Dieu.

Il se peut que ce mythe soit soulevé quand il devient clair que l’affirmation selon laquelle les livres deutérocanoniques auraient été « ajoutés » par l’Église Catholique est fausse. Ce mythe est une autre tentative de faire la distinction entre les livres deutérocanoniques et les « vraies Écritures ». Examinons-le.

Tout d’abord, d’un certain point de vue, il y a des « erreurs » dans les livres deutérocanoniques. Le livre de Judith, par exemple, contient certaines erreurs historiques et géographiques. De même Judith, la glorieuse fille d’Israël, mentit en inclinant sa tête (en fait l’infâme Holopherne en perdit la sienne ). Et l’Ange Raphaël apparaît sous un faux nom à Tobie. Comment les catholiques expliquent-ils que des « livres inspirés » puissent légitimer de tels mensonges ? En traitant ceci, nous traitons en même temps des autres passages de l’Écriture où apparaissent d’autres mensonges et erreurs.

Commençons donc par les soi-disant erreurs historiques. L’Église enseigne que l’authentique compréhension de la signification des Écritures nécessite d’avoir à l’esprit ce que l’auteur voulait réellement dire, la manière dont il l’a dit, et ce qui est accessoire dans cette déclaration.

Par exemple, Jésus commence la parabole de l’enfant prodigue en disant : « Un homme avait deux fils ». Aucun historien de pacotille ne s’est manifesté en disant que rien ne prouve que l’homme avec les deux fils dont Il parle ait jamais existé. Il en est de même pour le prophète Nathan, quand il raconte au roi David l’histoire de l’homme riche qui vola et abattit la brebis de l’homme pauvre. Nathan n’est pas un menteur parce qu’il ne peut fournir ni carcasse, ni identifier les deux hommes de son histoire. Sur le plan des faits, pas de brebis, pas de vol, pas de riche ni de pauvre. Ces éléments sont utilisés dans une parabole pour réprimander le roi David pour son adultère avec Bethsabée. Nous savons ce que Nathan essayait de dire, et la manière dont il l’a dit. De la même manière, quand les femmes de l’Évangile allèrent au tombeau au lever du soleil, ce n’est pas de science qu’il est parlé (mais d’un fait unique : la Résurrection). Ce n’est pas l’assurance de la Théorie de Ptolémée, que la terre tourne autour du soleil. Ceux-ci, et tant d’autres exemples qui pourraient être donnés, ne sont pas des erreurs sous prétexte qu’ils ne sont pas dans des traités d’astronomie, ou des événements historiques.

De la même façon, Judith et Tobie contiennent un certain nombre d’erreurs historiques et géographiques, pas parce qu’ils présentent une mauvaise géographie ou se tromperaient dans les faits historiques, mais parce qu’ils sont d’excellentes histoires pieuses, qui n’ont aucune prétention à un intérêt historique ou géographique, pas plus que les récits de la Résurrection des Évangiles ne traitent d’astronomie ! En effet, l’auteur de Tobie poursuit son récit en montrant bien que ce récit est une fiction . Il fait de Tobit l’oncle d’Ahikar, une figure du folklore sémitique, comme « Aladin » ou « Riquet à la Houppe ». De même que personne ne brandirait un livre de contes médiévaux pour se plaindre qu’une légende commence par « Il était une fois, le roi Arthur », de même les catholiques ne lisent pas Judith et Tobie comme une leçon d’histoire.

Maintenant, qu’en est-il des « erreurs » morales et théologiques. Judith ment. Raphaël donne un faux nom. C’est vrai. Dans le cas de Judith mentant à Holopherne pour sauver son peuple, rappelons nous qu’elle agissait à la lumière de la compréhension des choses juives telle qu’elle était développée à l’époque. Cela signifie qu’elle voyait cette tromperie comme acceptable, voire louable, car elle éliminait ainsi un ennemi mortel pour son peuple. En trompant Holopherne sur ses intentions et en demandant au Seigneur de bénir cette ruse, elle ne faisait rien d’étranger à la morale des Écritures juives de l’Ancien Testament. Un autre exemple biblique de ce type de mensonge : quand les accoucheuses mentirent au pharaon au sujet de la naissance de Moïse. Elles mentirent et justifièrent cela parce que pharaon n’avait pas le droit de connaître la vérité : si elles avaient dit la vérité, il aurait tué Moïse. Si donc sur cette base, on veut retirer le livre de Judith du canon, il faudra aussi retirer le livre de l’Exode.

Concernant Raphaël, il est encore plus douteux que l’auteur ait voulu dire que (ou que ses lecteurs comprennent le message comme) : « Les Anges mentent, alors vous aussi, vous pouvez mentir. » Au contraire, Tobie est un exemple classique de « rencontre avec un Ange sans le savoir » (cf. Hébreux 13 : 2). On sait qui est ce Raphaël. Quand Tobit appelle Dieu à l’aide, Dieu lui répond directement en lui envoyant Raphaël. Mais comme c’est souvent le cas, la délivrance de Dieu n’est pas visible immédiatement. Raphaël s’est présenté comme étant « Azarias », ce qui signifie « Yahvé aide », et puis parle de relations communes , toutes avec des noms signifiant « Yahvé est miséricordieux », « Yahvé donne » et « Yahvé entend ». Par ce stratagème, l’auteur nous dit (en nous faisant un clin d’œil) : « Pst, cher public, vous saisissez ? » Et nous, bien sûr, nous comprenons ; et nous comprenons d’autant plus facilement que nous lisons l’histoire dans sa langue originale : l’hébreux. En effet, en utilisant le nom de Yahvé aide, Raphaël n’est pas tant en train de mentir sur son vrai nom, que de révéler la plus profonde vérité sur qui est Dieu et pourquoi Dieu le lui a envoyé. C’est de cette vérité, et non d’une quelconque déformation de l’histoire ou de la géographie ou de l’usage divertissant d’un pseudonyme que l’auteur veut nous entretenir.

4e mythe : Les livres deutérocanoniques dénient eux-même être des écrits inspirés de Dieu.

Correction : deux des livres deutérocanoniques semblent nier être inspirés, et même, c’est une affirmation aventureuse. Les deux livres en question sont le Siracide et le deuxième livre des Macchabées. Le Siracide commence avec une brève préface du petit fils de l’auteur, disant en partie, qu’il traduit le livre de son grand-père, qu’il pense que le livre est important et que, « Vous êtes donc invités à en faire la lecture avec une bienveillante attention et à vous montrer indulgents là où, en dépit de nos efforts d’interprétation, nous pourrions sembler avoir échoué à rendre quelque expression » De la même façon, l’éditeur du second livre des Macchabées débute avec un commentaire sur la difficulté qu’il a eu à composer le livre, et termine avec une sorte de fatalisme en disant : « Je finirai mon ouvrage ici même. Si la composition en est bonne et réussie, c’est aussi que je l’ai voulue. A-t-elle peu de valeur, et ne dépasse-t-elle peu de valeur et ne dépasse-telle pas la médiocrité ? C’est tout ce que j’ai pu faire ».

Ces passages, et ceux-ci seulement, sont la base du mythe selon lequel les livres deutérocanoniques (tous les sept et non pas seulement ces deux-là) dénient eux-mêmes leur inspiration divine . On peut dire plusieurs choses à ce sujet.

En premier lieu, est-il raisonnable de penser que ces expressions orientales d’humilités signifieraient quelque chose de plus qu’un simple acte conventionnel et une habitude de rabaisser ses propres talents, attitude commune parmi les écrivains des cultures orientales ? Non. Par exemple, quelqu’un pourrait très bien dire de la même manière, que puisque Saint-Paul déclare lui- même être « un avorton » ou bien être « le premier des pécheurs » (et il mentionne ce fait au présent, pas au passé) , ses écrits sont nécessairement sans intérêt.

Ensuite, en parlant de Saint-Paul, nous sommes confrontés à des affirmations bien plus fortes et explicites de dénie d’inspiration de ses écrits. Cependant, aucun protestant ne se sentira l’obligation d’exclure les écrits de Paul du canon du Nouveau Testament. Considérez son affirmation en 1 Corinthiens 1 : 16, selon laquelle il ne peut se rappeler qui il a baptisé. Si l’on s’en tenait à ce principe protestant de discernement des Écrits inspirées qui est : « Si l’Esprit Saint avait parlé, cela sonnerait différent », Saint-Paul serait recalé ! Selon cet étonnant critère, comment croire que l’Esprit ait oublié qui Saint-Paul avait baptisé, ou qu’il ait inspiré à Saint-Paul d’oublier ?

1 Corinthiens 7 : 40 nous donne une affirmation ambiguë qui pourrait, selon ce mythe, être interprétée comme signifiant que Paul n’est pas certain de l’inspiration de ses enseignements. Ailleurs. Saint-Paul explique que certains de ses enseignements ont pour origine « non pas moi, mais le Seigneur » (1Co 7 : 10), tandis qu’à d’autres endroits, leurs origines est « moi qui le dis, non le Seigneur » (1Co 7 : 12). C’est un déni de l’inspiration bien plus explicite que ceux des livres deutérocanoniques cités ci-dessus, et pourtant, personne ne discute le retrait des écrits de Paul des Écritures. Et dans le même temps, tous les livres deutérocanoniques devraient être retirés de l’Ancien Testament, simplement sur le crédit de ces quelques modestes passages du Siracide et du deuxième livre des Macchabées ?

Pourquoi pas ? Parce que dans le cas de Paul ces gens reconnaissent qu’un écrivain puisse écrire sous l’inspiration divine même quand il ne s’en rend pas compte et ne s’en réclame pas, et que cette inspiration n’est pas « une dictée » de l’Esprit Saint à l’auteur. En effet, nous reconnaissons que l’Esprit peut inspirer les écrivains à écrire la vérité à propos d’eux-mêmes, comme dans le cas où Paul dit aux Corinthiens qu’il ne se rappelle plus bien qui il a baptisé.

Pour singer le vieux proverbe, « ce qui est bon pour l’apostolique, l’est aussi pour le deutérocanonique ». Ainsi, les écrivains des livres deutérocanoniques peuvent bien écrire la vérité sur eux-mêmes – qu’ils pensent que l’écrit puisse être difficile, mal traduit, et qu’ils ne sont pas certains d’avoir fait du bon travail- sans que de telles vérités remettent en question le caractère inspiré de ce qu’ils ont écrit. Ce mythe ne montre rien d’autre que ce que la foi catholique dit des livres de l’Écriture Sainte : ils sont vraiment écrits par des hommes qui restent pleinement libres et humains, même quand ils écrivent sous l’inspiration directe de Dieu.

5e mythe : Certains premiers pères de l’Église, tels que Saint-Athanase ou Saint-Jérôme (qui traduisit la Bible catholique officielle), ont rejeté ces livres deutérocanoniques de l’Écriture, et l’Église les a rajoutés au Concile de Trente.

D’abord, aucun père de l’Église n’est infaillible. Ce charisme est uniquement réservé au pape, de manière extra-ordinaire, et de manière ordinaire ensemble avec les évêques de l’Église catholique qui sont en pleine communion avec lui et qui enseignent définitivement dans les Conciles oecuméniques. Deuxièmement, notre compréhension des doctrines progresse. Ce qui signifie qu’une doctrine qui peut ne pas avoir été clairement définie à un moment donné, puisse le devenir. Un exemple classique est celui de la Trinité qui ne fut pas définie avant l’an 325 au Concile de Nicée, environ 300 ans après le ministère terrestre du Christ. Entre-temps, nous trouvons quelques écrits des Pères avant Nicée qui, de bonne foi, émirent certaines théories sur la divinité qui s’avérèrent inadéquates après le Concile de Nicée. Cela ne fait pas d’eux des hérétiques. Même Michaël Jordan loupe des paniers de temps à autre. Le canon des Écritures, bien qu’il ait été plus ou moins de même forme, incluant les livres deutérocanoniques, en 380 après J.C., ne fut néanmoins pas défini dogmatiquement avant encore un millier d’années. Pendant ce millénaire, il était encore possible, pour les croyants d’avoir une certaine flexibilité sur les livres regardés comme canoniques. Et cela s’applique aussi à la poignée de Pères de l’Église et de théologiens qui émirent des réserves sur les livres deutérocanoniques. Leurs opinions personnelles sur les Deutérocanoniques, elles n’étaient que cela : leurs opinions personnelles.

Et finalement, ce mythe commence à se désintégrer quand vous montrez que l’écrasante majorité des Pères de l’Église et des premiers écrivains chrétiens, considéraient les livres deutérocanoniques au même niveau d’inspiration, de canonicité que les autres livres de l’Ancien Testament. Quelques exemples de cette reconnaissance peuvent être trouvés dans le Didachê, l’épître de Barnabé, le Concile de Rome, le Concile d’Hippone, le troisième Concile de Carthage, le code Africain, les Constitutions Apostoliques, l’épître du pape Clément premier (la première épître aux Corinthiens ) , Saint-Polycarpe de Smyrne, Saint-Irénée de Lyon, Saint-Hyppolite, Saint-Cyprien de Carthage, le pape Damase premier, Saint-Augustin, le pape Saint-Innocent premier.

Finalement, et encore plus intéressant dans cette liste, est un Père déjà cité : Saint-Jérôme. Dans ses dernières années, Saint-Jérôme a finalement accepté les livres deutérocanoniques dans la Bible. En fait, il s’amenda en défendant vigoureusement leur statut d’écrits inspirés, écrivant : « Quel péché aurais-je commis en suivant le jugement des églises ? Mais celui qui témoigne contre moi, rappelant l’objection que les hébreux ont l’habitude de s’élever contre l’histoire de Suzanne, du cantique des trois enfants, et l’histoire de Bel et du Dragon, qui ne sont pas retrouvés dans les volumes (càd Canon) hébreux, prouve qu’il est juste un dénonciateur sans raison. Car je ne donnais pas mes vues personnelles, mais plutôt les remarques qu’ils (= les juifs) faisaient contre elles ». (Contre Rufinus 11 : 33/ [en 402] ). Dans une précédente correspondance avec le pape Damase, Jérôme ne traita pas les deutérocanoniques de non scripturaires, mais il dit seulement que les juifs qu’il connaissait ne les regardaient pas comme canoniques. Mais pour lui, il reconnaissait l’autorité de l’Église pour définir le canon. Quand le pape Damase et les concile d’Hippone et de Carthage inclurent ces livres dans le canon des Écritures, cela fut suffisant pour Saint-Jérôme : il suivit « le jugement des églises».

Martin Luther, lui ne fit pas ainsi. Et cela mène au dilemme important que je mentionnais au début de cet article sur la confiance dans les opinions personnelles des réformateurs protestants sur les livres deutérocanoniques. Car si nous suivons Martin Luther dans son rejet des livres deutérocanoniques, malgré les preuves imposantes de l’histoire montrant que nous ne devrions pas ( càd le Tradition ininterrompue de l’Église, et les enseignements des conciles et des papes), nous ne ferons pas plus que cela.

Car Luther rejeta aussi une belle partie du Nouveau Testament. De Jacques, par exemple, il dit : « Je ne le considère pas comme l’écrit d’un Apôtre », car il croyait qu’ « il s’oppose catégoriquement à Saint-Paul et à tout le reste des Écritures, en attribuant la justification aux oeuvres » (Préface de l’épître de Jacques). De la même manière, dans d’autres écrits, il ajoute à ce rejet de Jacques en le traitant « d’épître de paille … car il n’y a rien de la nature des Évangiles en lui ». (Préface du Nouveau Testament)

Mais l’épître de Jacques ne fut pas le seul sur la liste de Luther. Il retira du canon Hébreux, Jude, et l’Apocalypse, les cantonnant à un statut presque canonique. C’est seulement par accident que ces livres ne furent pas exclus du Nouveau Testament par le protestantisme, tandis que Sirach, Tobie, le premier et deuxième livre de Macchabées, et les autres furent exclus du canon de l’Ancien Testament. De la même manière, la grande ignorance de cette triste histoire amène beaucoup à rejeter les livres deutérocanoniques.

A moins, bien sûr, que nous rejetions ces mythes et que nous prenions conscience sur le fondement de l’autorité des Écritures, incluant les Deutérocanoniques. La seule base que nous ayons pour déterminer le canon des Écritures est l’autorité de l’Église que le Christ a établie, à travers laquelle nous avons reçu ce canon. Comme Saint-Jérôme l’écrivit, c’est sur la base « du jugement des églises » et sur aucune autre que le canon est connu, puisque les Écritures sont simplement la partie écrite de la Tradition apostolique. Et le jugement des églises, est rendu tout au long de l’histoire, comme il fut rendu en Actes 15, par le moyen des conciles des évêques en union avec Saint-Pierre. Les livres que nous avons dans le Bible furent acceptés selon leur compatibilité -ou pas- aux vérités contenues dans la Sainte Tradition et l’autorité divine déléguée au Corps du Christ, rassemblées en concile en union avec Saint-Pierre.

La vérité sur tout ceci : ni le concile de Florence, ni le concile de Trente n’ont ajouté quoique ce soit au canon de l’Ancien Testament. Au contraire, ils ratifièrent et officialisèrent la pratique antique des Apôtres et des premiers chrétiens en définissant dogmatiquement la collection des Écritures de l’Ancien Testament (incluant les Deutérocanoniques) utilisée avant l’époque du Christ , utilisée par Notre Seigneur et ses Apôtres, héritée et reconnue par les Pères, répétée et formulée par plusieurs conciles et plusieurs papes pendant des siècles, et lue dans la liturgie et les prières pendant 1,500 ans.

Puisque certaines personnes décidèrent de rejeter ces livres pour suivre leur opinions théologiques personnelles, l’Église fut amenée à prévenir cela (aux Conciles de Florence et de Trente ) en établissant que ce même canon était réellement le canon de l’Ancien Testament de l’Église et qu’il l’avait toujours été.

Bien loin d’avoir ajouté de nouveaux livres à l’authentique canon des Écritures, l’Église fit simplement de son mieux pour empêcher que les gens n’en retirent des livres qui y appartiennent. Cela n’est pas une légende : cela, c’est l’Histoire.