(Liturgie de la Parole : Ap 72…14 ; Ps 23 ; 1 Jn 31-3 ; Mt 51-12)

Ma question peut paraître impertinente, voire irréaliste, ou téméraire, pourtant, comme en témoigne le Nouveau Testament, les premiers chrétiens avaient conscience d’être des Saints (Ac 9.32,41 ; Rm 16.15 ; 1 Co 6.1 ; 2 Co 1.1 ; 13.12 ; Ep 1.15,18 ; 3.8,18 ; 4.12 ; 6.18 ; Ph 1.1 ; 4.22 ; Col 1.4 ; Phm 1.5 ; He 6.10 ; 13.24…). Et en effet, pourquoi être chrétien et recevoir la grâce des sacrements, sinon pour se sanctifier ? Saint Augustin affirmait que celui qui, après avoir communié, dirait qu’il n’est pas saint, blasphémerait. Si Dieu nous invite à la communion avec Lui, n’est-ce pas pour que nous devenions un avec Lui (Jn 17.21), et donc saints comme Il est saint (Mt 5.48) ? Certes, nous ne sommes pas encore entrés dans l’éternité, mais déjà notre baptême nous a lavés du péché, et déjà donné la vie éternelle (1 Jn 5.20) ! C’est là une différence essentielle d’avec toutes les autres religions : alors que partout ailleurs l’homme religieux vit dans l’angoisse de savoir s’il sera sauvé ou non, nous, chrétiens, nous pouvons dire que nous sommes déjà sauvés (Rm 6.11,13) ! La seule chose que nous avons à faire est de ne pas perdre la vie éternelle, reçue aussi gratuitement dans le baptême que la vie temporelle nous a été donnée à notre conception, et pour la garder, il nous faut la donner, évangéliser, faire de nouveaux saints, car : on ne possède que ce que l’on donne (Mt 13.12 ; Jc 5.20) ! « Celui qui a, on lui donnera, et celui qui n’a pas, même ce qu’il croit avoir, on le lui prendra. (Mt 13.12) ».

En transmettant à l’humanité le message des Béatitudes (Mt 5.1-12), la religion chrétienne lui annonce le bonheur, et la fête de la Toussaint assure que ce bonheur n’est pas vain, puisqu’il est actuellement et définitivement possédé par tous les Saints du Paradis. Ainsi apparaît l’orientation fondamentale de la vie humaine : le bonheur même de Dieu ! C’est ce que confessent la foule des Élus, les Anciens et les quatre Évangélistes de la première lecture, qui se prosternent « devant le Trône, la face contre terre, pour adorer Dieu (Ap 7.11) et l’Agneau (Ap 5.8,13 ; 7.10 ; 22.3) ».

Les Béatitudes révèlent la joie parfaite (2 Jn 1.12) qui doit transformer notre vie terrestre en gestation de la vie du Ciel … laquelle commence maintenant, ou ne sera jamais !

Tous les hommes veulent être heureux, mais peu se rendent compte des conditions nécessaires pour obtenir le bonheur, que nul ne recevra s’il ne le demande pas à Dieu, car c’est Lui qui nous a créés. Et qui nous a créés pour Se donner à nous, si nous Le voulons bien… Les sacrements ont précisément ce rôle de nous donner Dieu, en nous unissant au Christ mort et ressuscité, de sorte que nous vivions déjà67526389image-203-jpg de Sa vie, la vie du Ciel (Ep 2.6 ; 2 P 1.4). « Prenez et mangez ceci EST Mon corps ». De même que l’Apocalypse nous montre les élus marqués du sceau de Dieu sur le front (Ap 7.4 ; 22.4), de même le jour de notre baptême nous avons été marqués du signe de la Croix, et parce que ce don procède du Père et du Fils, il nous a été à nouveau donné au jour de notre confirmation (2 Co 1.22). De même qu’ils ont lavé leurs « vêtements (Ap 7.14) », de même avons-nous été lavés du péché originel dans les eaux de notre baptême, et ensuite dans le sacrement de pénitence. Ils se sont « purifiés dans le Sang de l’Agneau », versé pour nous à chaque Eucharistie … Et à ce titre, en ces jours où le sang coule à flot au nom d’Allah sur notre sol, et que l’on canonise les tués du seul fait qu’ils ont été tués, je voudrais faire remarquer qu’il ne suffit pas d’être tué pour être un martyr, il faut offrir sa vie, librement. Les 21 coptes égorgés en Lybie sont de vrais martyrs parce que les dévots d’Allah leur ayant proposé d’abjurer la foi chrétienne pour se convertir à l’islam, ils ont refusé. Ils ont ainsi vraiment fait le don de leur vie par fidélité à Dieu, qu’ils ont aimé plus que leur propre vie, comme il convient (Lc 14.26-33). Autre chose semble être le cas du père Hamel s’étant débattu et ayant cherché à repousser ses agresseurs aux cris de “Arrière Satan !” On le voit, on ne s’improvise pas martyr. Mais les conditions sont certainement favorables pour nous disposer à le devenir moyennant cette offrande continuelle de nous-même selon la parole de saint Paul : “Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre. (Rm 12.1)” Alors aussi nous accomplirons ce devoir de sauver notre vie en demeurant toujours prêt, selon le commandement du Seigneur : Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. (Mt 25.13)”

Bienheureux sommes-nous de désirer le seul vrai bonheur qui est Dieu même ! Pour autant, notre union à Dieu ne va pas nous rendre indifférents à la vie de ce monde, que l’Écriture appelle « la grande épreuve », dont il nous faut sortir vainqueurs. L’épreuve que nous avons à remporter est celle de la fermeté dans la foi (2 Tm 4.7). Sans la foi, sans faire confiance à Dieu, on ne se sauve pas (Jn 3.36 ; 5.24 ; 6.47 ; Mc 16.16). Sans la foi en l’autorité de Dieu qui révèle, sans la foi en l’Église, placée par Lui au milieu des peuples comme Maîtresse, Guide et Lumière pour toutes les nations (cf. Is 42.6, 49.6 ; Lc 2.32 ; Ac 13.47 ; Ep 3.10,21 ; 1 Tm 3.15), on ne se sauve pas. L’Église est le Corps du Christ hors de laquelle il n’y a point de salut. On ne se sauve pas si on ne croit pas à la Loi éternelle de Dieu, cette loi qui ne change pas ni ne peut changer, et à laquelle personne ne peut attenter sans encourir la Colère de Dieu. On ne se sauve pas si on ne croit pas dans les paroles du Verbe de Dieu qui ne peut ni Se tromper ni nous tromper.

La Toute-puissance divine exige que l’homme sur terre reconnaisse Dieu comme le Seigneur et Maître de tout et de tous, et qu’à Lui est due pleine et absolue soumission. Il n’y a aucun saint qui ne se soit pas soumis en tout, à l’exemple de Jésus, à la très douce Loi d’amour de Dieu, même s’il dut le payer de grandes souffrances et de la mort, car cette épreuve était finalement celle de l’amour… Comment en effet ne rendrions-nous pas amour pour amour à Celui qui nous a tirés du néant, lavés de nos péchés dans Son sang, et qui continue à Se donner à nous par ses sacrements ? L’amour s’exprime alors en Béatitudes, car seul l’amour ne rencontre pas d’obstacle! Comme le feu, il transforme tout en lui-même, et ainsi tout lui sert à s’élever toujours plus haut, à aimer encore plus ! Seul l’amour donne la force de porter la croix ! Que de saints, hier et aujourd’hui, témoignent d’un amour que le monde ne connaît pas ! Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître : il ne voit pas l’amour de Dieu manifesté dans la Croix de Jésus !

L’Église, qui ne veut oublier personne, a institué la solennité de la Toussaint pour fêter tous les saints, connus et inconnus. Elle nous dit ainsi que la sainteté peut demeurer ici-bas inconnue. Mais la fête de tous les saints nous rappelle aussi l’unité qu’ils vivent en Dieu, qui est « Tout en tous (1 Co 15.28) ». Aussi, fêter la sainteté de l’un c’est fêter la sainteté de tous. Au Ciel, la prière de Jésus est parfaitement accomplie : « Père, qu’ils soient un, comme Nous sommes un : Moi en eux et Toi en Moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité. (Jn 17.21) »… Tous communient à l’unique vie de l’unique Christ Jésus circulant en tous ses membres ; c’est ce que l’on appelle « la Communion des saints ». Cette communion dans la vie du Christ comprend les trois états sous lesquels existe l’Église : l’Église militante, encore sur terre ; l’Église en Purgatoire ; et l’Église triomphante, aujourd’hui à l’honneur. Ces trois états ne forment qu’une seule et même Église. Et de même que dans une famille ordonnée dans 635_1l’amour, chaque membre concourt au bien de tous en un échange harmonieux de biens donnés et reçus, ainsi, entre ces trois états solidaires en Jésus-Christ, il y a communication constante de prières, de mérites et de grâces. Le trésor de l’Église en lequel tout vient de Jésus-Christ, est fait des mérites de Marie et de tous les Saints, et tous peuvent y puiser.

La mort ne met pas fin à l’activité des âmes, que ce soit dans le bien… ou dans le mal. La vie continue une fois la chrysalide rompue… Ceux qui nous ont précédés sous le signe de la foi, qu’ils soient en Purgatoire ou en Paradis, nous aiment toujours, et d’un amour infiniment plus pur, plus vif et plus grand que sur la terre. Ils sont animés d’un grand désir de nous aider à surmonter les dures épreuves de la vie pour nous permettre d’atteindre ― comme eux-mêmes l’ont déjà fait ― la grande ligne d’arrivée, le but de la vie elle-même. Mais leur aide est dans une bonne mesure conditionnée par notre foi et notre libre volonté de nous mettre en route vers eux… de vivre donc déjà de la vie du Ciel

Dans le Credo, nous disons croire « à la communion des saints », mais que faisons-nous des ressources inépuisables de grâce que nous offre cette communion ? Si nous savions la grandeur, la puissance et l’activité vibrante d’amour et de vie de la Communion des Saints ! Si nous vivons dans cette communion, alors nous verrions notre pouvoir sur les forces du Mal être démultiplié et notre épreuve se transformer en victoire éclatante ! Mais hélas, le matérialisme a si bien obscurci l’âme de tant de fidèles et de prêtres que cette réalité spirituelle grandiose, vivante et vraie, active au Ciel comme sur la terre, leur est étrangère…  Quelles immenses ressources de grâce sont ainsi perdues… Rares sont les âmes qui ne se contentent pas de croire abstraitement dans la Communion des Saints, mais y vivent activement… Si la Toussaint est la fête de tous les saints, est-ce aussi la nôtre ?

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