Sommaire

INTRODUCTION : INSUFFISANCES DU MATÉRIALISME ÉCONOMIQUE

Beaucoup de Français éprouvent un sentiment de lassitude à l’égard des idéologies sans fondement solide qui réclament leur adhésion; ils sentent le besoin de se rattacher à des points fixes, à des repères immuables; ils en viennent à mettre en question l’élément central commun aux idéologies qui leur sont proposées : le matérialisme économique; ils sentent qu’il faut d’autres critères que la croissance du P.I.B. (produit intérieur brut) pour définir une bonne politique; ils sentent que la société doit être ordonnée autrement qu’en fonction des seuls besoins de l’économie; qu’elle doit l’être en fonction d’une certaine hiérarchie des valeurs, en fonction de certains principes.

Hiérarchie des valeurs tenant compte d’autres valeurs que de celles qui sont purement économiques; principes stables d’organisation sociale : la pensée s’achemine ainsi vers la notion de doctrine sociale.

QU’EST-CE QU’UNE DOCTRINE SOCIALE?

• Le dictionnaire Le Robert définit le mot «doctrine» : «Ensemble de notions qu’on affirme être vraies, et par lesquelles on prétend fournir une interprétation des faits, orienter ou diriger l’action».

A l’idée de doctrine est associée par conséquent l’idée d’ensemble, de synthèse.

Une doctrine sociale sera ainsi un ensemble d’explications rendant compte ou prétendant rendre compte de tous les aspects de la vie sociale de l’homme sur terre.

• Une deuxième idée – non mise en évidence par Le Robert – se rattache au mot «doctrine» : idée de permanence et d’universalité. Une doctrine est un ensemble de notions stables dans le temps et dans l’espace, valables pour toutes les époques et pour tous les hommes.

Un système sociopolitique méritera donc le nom de doctrine sociale s’il est suffisamment synthétique, stable et universel, s’il se présente vraiment comme une synthèse expliquant la destinée de l’homme en tant qu’être social et donnant à son activité un cadre et des normes.

OÙ TROUVER UNE DOCTRINE SOCIALE DIGNE DE CE NOM?

Étant donnée cette définition, on pourrait penser que toutes les grandes religions, que tous les partis politiques soucieux d’une certaine cohérence possèdent leurs propres doctrines sociales et les considèrent comme obligatoires pour leurs adeptes. Il n’en est rien.

Les religions non-catholiques – sauf le judaïsme et l’islam –n’ont, en fait de doctrine sociale, que des éléments si notoirement insuffisants qu’on ne peut guère parler de doctrine à leur sujet.

Quant aux organisations politiques – exception faite de la franc-maçonnerie et du parti communiste – elles proposent des recettes en matière sociale et politique, mais rien qui ait le caractère d’une doctrine sociale au sens qui vient d’être défini; elles expliquent comment restreindre le chômage, réformer les municipalités accroître les exportations, organiser le crédit, assurer la stabilité monétaire… Dans tout cela, il n’y a pas à proprement parler de doctrine faute d’une vue synthétique des choses; ou bien si l’on croît y découvrir une synthèse, elle se rattache inévitablement soit à la conception marxiste, soit à la conception maçonnique, soit à un mélange des deux (tel est le cas des socialistes français) ([1]).

Ainsi, en dehors de la doctrine sociale de l’Église catholique, on ne trouve guère, comme systèmes méritant plus ou moins le nom de doctrine sociale, que ceux qui se rattachent au coran, au talmud, ou aux idéologies maçonnique ou marxiste.

Nous n’allons pas faire ici la critique de ces systèmes. Qu’il suffise de rappeler qu’aucun d’entre eux ne respecte la loi naturelle; le coran et le talmud ont amputé celle-ci d’une partie de ses commandements codifiés dans le décalogue; et dans les idéologies maçonniques et marxistes, la notion même de loi morale immuable et universelle a disparu.

De ce fait, quand nos contemporains sentent le besoin d’établir une hiérarchie des valeurs dans la société et d’y faire respecter un certain sens de la dignité de l’homme, ils sont bien en peine de trouver une doctrine sociale répondant à leur requête à moins qu’ils ne se tournent vers celle de l’Église.

UNE DOCTRINE UNIQUE EN SON GENRE

L’Église est donc le seul corps social à présenter avec autorité une doctrine sociale cohérente et respectant intégralement la loi naturelle. A lui seul, ce fait constitue un puissant argument d’apologétique en faveur du catholicisme.

UNE DOCTRINE QUI REVIENT EN FORCE

Jean-Paul II, plus que ses prédécesseurs immédiats, a consacré de grands efforts à faire connaître la doctrine sociale et à en montrer l’importance :

«La “nouvelle évangélisation” dont le monde moderne a un urgent besoin (…) doit compter parmi ses éléments essentiels l’annonce de la doctrine sociale de l’Église, apte, aujourd’hui comme sous Léon XIII, à indiquer le bon chemin pour répondre aux grands défis du temps présent, dans un contexte de discrédit croissant des idéologies. Comme à cette époque, il faut répéter qu’il n’existe pas de véritable solution de la “question sociale” hors de l’Évangile et que, d’autre part, les “choses nouvelles” peuvent trouver en lui leur espace de vérité et la qualification morale qui convient».

(Encyclique Centesimus annus du 1er mai 1991, § 5)
On comprend que des groupes extérieurs à l’Église aient pu parler de «retour en force» de la doctrine sociale, comme en témoigne cette remarque du Centre patronal de Lausanne ([2]) dans sa revue Études et Enquêtes :

«La publication par Jean-Paul II de l’encyclique Centesimus annus, à l’occasion du centième anniversaire de Rerum novarum, confirme le retour en force de la doctrine sociale de l’Église catholique après l’éclipse subie au lendemain de Vatican II, jusqu’à l’avènement du pape venu de l’Est» ([3])

UNE DOCTRINE DONT L’ENSEIGNEMENT CONNAIT UNE CERTAINE CRISE

Il faut reconnaître que le retour en force de la doctrine sociale s accompagne d’une certaine crise dans son enseignement.

Il était fatal que la crise doctrinale actuelle dans l’Église ait eu des répercussions sur cet enseignement et en ait compromis la cohérence. De multiples études ont été publiées à ce sujet, l’une des principales étant celle du père Joseph de sainte Marie intitulée Le concile Vatican II échappe-t-il à l’accusation de libéralisme ([4]) A la faveur du Concile, des idées libérales ont pénétré dans l’enseignement du Magistère. Si bien qu’aujourd’hui, il n’est pas rare de trouver, sur un même point de doctrine sociale, des textes qui ne s’accordent pas.

Un exposé d’ensemble sur la doctrine sociale de l’Église – si sommaire soit-il – doit tenir compte d’un tel facteur et apporter les éclaircissements nécessaires. Il s’agit là d’un point particulièrement important auquel sera consacré près de la moitié de la présente brochure.

D’où le plan adopté :

• la première et la deuxième partie sont consacrées à des remarques générales sur la doctrine sociale de l’Église et à la présentation de celle-ci;

• la troisième partie étudie la pénétration de fausses doctrines au sein de la vraie;

• la quatrième partie donne quelques indications sur la manière de faire face aux carences actuelles de l’autorité en matière doctrinale.

1ère PARTIE : REMARQUES GÉNÉRALES SUR LA DOCTRINE SOCIALE DE L’ÉGLISE

«Vouloir tirer une ligne de séparation entre la religion et la vie, entre le surnaturel et le naturel, entre l’Église et le monde comme si l’un n’avait rien à faire avec l’autre, comme si les droits de Dieu ne s’appliquaient pas à toute la réalité multiforme de la vie quotidienne, humaine et sociale, est parfaitement contraire à la pensée chrétienne, et c’est nettement antichrétien»

(Pie XII, 22 janvier 1947)

«La doctrine sociale de l’Église est claire en tous ses aspects; elle est obligatoire; nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi et l’ordre moral»

(Pie XII, 29 avril 1945)

1. DÉFINITION ET SCHÉMA GÉNÉRAL

La doctrine sociale de l’Église est cette partie de la doctrine de l’Église qui traite de la vie des hommes dans les sociétés temporelles qu’ils forment (de la famille à l’État en passant par les divers corps intermédiaires). Disons, pour être plus précis, qu’il s’agit de «l’application des principes constants de la théologie morale à la vie en société» ([5]).

Pour en donner une idée plus concrète, nous en présentons ci-dessous un schéma général en huit points qui sera développé par la suite :

1 – Notions fondamentales

Notions sans lesquelles il est impossible de définir l’ordre social : vérité, ordre, liberté, bien commun…

2 – Généralités sur la vie sociale

– L’autorité, cause réalisatrice de la société

– Le principe de totalité; relations entre personne et société

– Le principe de subsidiarité; l’organisation par corps de la société

3 – La royauté sociale de Nôtre-Seigneur (Jésus-Christ est la pierre angulaire de tout l’édifice social)

4 – La société familiale

(Mariage – Respect de la vie – Éducation – École -Patrimoine)

5 – La société professionnelle et la vie économique

– Le travail – La propriété – L’argent

– Les corps professionnels (métiers – entreprises – professions)

6 – Les autres corps intermédiaires

7 – La société politique

– Ordre privé et ordre public

– Patrie – Nation – État

– Souveraineté de l’État – Constitution chrétienne de l’État -Les régimes politiques

– Les rapports entre États (Droit international – Guerre, paix et pacifisme) ^

– L’État et l’Église (Deux pouvoirs indépendants dans leurs domaines – La prédominance de l’Église en matière doctrinale et morale – Le rôle de l’État au service de la vraie religion)

8 – Étude et critique des idéologies politico-sociales et de leurs appareils

– Communisme, socialisme, autres formes de totalitarismes, libéralisme politique, libéralisme économique, franc-maçonnerie, théologie de la libération…

Tout cela forme un vaste ensemble. On comprend que le contenu complet de la doctrine sociale de l’Église soit habituellement réparti sur plusieurs ouvrages.

2. RAISON D’ÊTRE ET IMPORTANCE DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’ÉGLISE

Le seul fait de parler de la doctrine sociale de l’Église soulève fréquemment la question de sa raison d’être et de sa légitimité. L’Église a-t-elle vraiment besoin de s’occuper de l’ordre temporel? Est-elle compétente en ce domaine?

L’ÉGLISE PEUT-ELLE NÉGLIGER L’ORDRE TEMPOREL?

• L’objection : L’Église – dira-t-on – est chargée des affaires d’ordre surnaturel, du salut des âmes. Pourquoi faudrait-il qu’elle se préoccupe de politique, d’économie, de finance, de syndicalisme?

• «De la forme donnée à la société… dépend et découle le bien ou le mal des âmes»

L’Église fait preuve ici de réalisme. L’homme n’est pas un pur esprit; il est composé d’un corps et d’une âme. Les conditions dans lesquelles il vit (sociales, culturelles, économiques, politiques…) ont une incidence directe sur son salut éternel.

«De la forme donnée à la société, disait Pie XII, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes, c’est-à-dire le fait que les hommes, appelés tous à être vivifiés par la grâce du Christ, respirent, dans les contingences terrestres du cours de la vie, l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales ou, au contraire, le microbe morbide et souvent mortel de l’erreur et de la dépravation…» (5).

«Coopérer au rétablissement de l’ordre dans la société, poursuit Pie XII, (…) n’est-ce pas là un devoir sacré pour tout chrétien?» ([6]).

Sur cette question, voir aussi la citation de dom Gérard, ci-dessous p. 56.

Se référant à l’histoire de l’Église, Pie XII montre ensuite comment a été compris, au cours des siècles, ce «devoir sacré» :

«Comme si depuis deux mille ans ne vivait pas, ne persévérait pas dans l’âme de l’Église, le sentiment de la responsabilité collective de tous pour tous, ce sentiment qui a poussé et pousse encore les âmes jusqu’à l’héroïsme charitable des moines agriculteurs, des libérateurs d’esclaves, des guérisseurs de malades, des messagers de foi, de civilisation, de science, à toutes les générations et à tous les peuples, en vue de créer des conditions sociales capables de rendre à tous possible et aisée une vie digne de l’homme et du chrétien» (5)

D’où la conclusion :

«Vous, conscients et convaincus de cette responsabilité sacrée, ne vous contentez pas, au fond de votre âme, d’une médiocrité générale des conditions publiques, dans laquelle la masse des hommes ne puisse, sinon par des actes de vertu héroïque, observer les divers commandements inviolables toujours et dans tous les cas…» (5)

L’ÉGLISE EST-ELLE COMPETENTE EN MATIERE TEMPORELLE ?

• L’objection : L’on soutiendra que l’Église n’a pas de compétence dans des questions qui paraissent fort éloignées de son activité essentielle comme l’organisation de l’économie, le désarmement nucléaire ou la politique de la vie… questions qu’elle ferait mieux de laisser à des spécialistes.

• Une compétence d’ordre doctrinal et moral

Il faut répondre :

– que l’Église est compétente en matière de morale;

– qu’elle a le droit de juger – sous l’angle de la morale – tout acte où intervient la volonté de l’homme et présentant de ce fait un aspect moral;

– qu’elle peut donc juger – sous l’angle de la morale – aussi bien les actes de la vie professionnelle ou politique que ceux de la vie privée;

– qu’il est donc illégitime de couper en deux la vie de l’homme (vie privée soumise à la morale; finance, économie ([7]), politique… constituant un domaine réservé échappant à la morale).

Dans le domaine temporel, l’Église est donc compétente, mais compétente d’une certaine façon : compétente sous l’angle de la doctrine et de la morale, non sous l’angle de la prudence et de la technique. Ainsi, est-elle compétente pour définir la doctrine sur la peine de mort (peine légitime dans telle ou telle condition); elle ne l’est pas pour déterminer si dans tel pays, en telles circonstances, il convient de faire figurer la peine de mort dans le code pénal (question deprudence politique qui est du ressort des chefs politiques) ([8]).

• «L’Église maîtresse de la morale, partout où la morale entre et doit entrer»

Les papes contemporains ont souvent insisté sur la compétence morale de l’Église dans les domaines social, économique, politique.

«L’Église, écrit Pie XI, reconnaît à l’État sa sphère d’action propre et en enseigne, en ordonne le plus consciencieux respect. Mais elle ne peut pas admettre que la politique se passe de la morale, pas plus qu’elle ne peut oublier le précepte du divin Fondateur qui lui commanda de s’occuper en propre de la morale, d’être la maîtresse de la morale partout où la morale entre et doit entrer»([9])

La même idée est ainsi exposée par Pie XII :

«Incontestable en revanche est la compétence de l’Église dans cette part de l’ordre social qui entre en contact avec la morale, pour juger si les bases d’une organisation sociale donnée sont conformes à l’ordre immuable des choses que Dieu a manifesté par le droit naturel et la Révélation» ([10])

«En matière sociale, ce n’est pas seulement une mais plusieurs questions très graves, soit purement sociales, soit politico-sociales, qui engagent l’ordre moral, les consciences, le salut des âmes; l’on ne peut donc prétendre qu’elles ne sont pas du ressort de l’autorité de l’Église.Bien plus, même hors de l’ordre social, se posent des questions non strictement religieuses mais concernant des affaires politiques intéressant les nations en particulier ou dans leur ensemble. Ces questions touchent l’ordre moral, engagent les consciences, peuvent exposer, et très souvent exposent l’accomplissement de la fin dernière à de graves dangers. Telle par exemple la question du but et des limites du pouvoir civil; celle des relations entre les individus et la société; celle des “États totalitaires”, quels que soient leur principe et leur origine; celle de la “laïcisation totale de l’État” et de la vie publique; de la “laïcisation” complète de l’école; de la moralité de la guerre, de son caractère légitime ou illégitime dans les conditions où on la fait de nos jours, de la possibilité d’y collaborer pour l’homme qui a des principes religieux; des engagements et liens moraux qui s’établissent entre les nations et régissent leurs relations» ([11]).

«UNE DOCTRINE DONT ON NE PEUT S’ÉCARTER SANS DANGER POUR LA FOI ET L’ORDRE MORAL»

On comprend dès lors l’importance que les papes attachent à la doctrine sociale :

• Pie XII

«La première recommandation concerne la doctrine sociale de l’Eglise. (…) Si cette doctrine est fixée définitivement et sans équivoque dans ses points fondamentaux, elle est toutefois suffisamment large pour pouvoir être adaptée et appliquée aux vicissitudes variables des temps, pourvu que ce ne soit pas au détriment de ses principes immuables et permanents. Elle est claire en tous ses aspects; elle est obligatoire; nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi et l’ordre moral; il n’est donc permis à aucun catholique (encore moins à ceux qui appartiennent à vos organisations) d’adhérer aux théories et aux systèmes sociaux que l’Église a répudiés et contre lesquels elle a mis ses fidèles en garde» ([12]).

• Jean XXIII

«Nous réaffirmons avant tout que la doctrine sociale chrétienne est partie intégrante de la conception chrétienne de la vie» ([13]).

• Jean-Paul II

«La doctrine sociale de l’Église, en s’appuyant sur tout ce que lui apportent les sciences et la philosophie, se propose d’assister l’homme sur le chemin du salut» ([14])

LE MODERNISME MORAL, JURIDIQUE ET SOCIAL

La doctrine sociale de l’Église ne constitue donc pas une matière à option. Et Pie XI va jusqu’à qualifier de modernistes ([15]) ceux qui la refusent :

«Combien sont-ils, en effet, ceux qui admettent la doctrine catholique sur l’autorité civile et le devoir de lui obéir, le droit de propriété, les droits et devoirs des ouvriers de la terre et de l’industrie, les relations réciproques des États, les rapports entre ouvriers et patrons, les relations du pouvoir religieux avec le pouvoir civil, les droits du Saint-Siège et du Pontife romain, les privilèges des évêques, enfin les droits du Christ Créateur, Rédempteur et Maître, sur tous les hommes et tous les peuples? Et même ceux-là, dans leur discours, leurs écrits et tout l’ensemble de leur vie, agissent exactement comme si les enseignements et les ordres promulgués à tant de reprises par les Souverains Pontifes, notamment par Léon XIII, Pie X et Benoît XV, avaient perdu leur valeur première ou même n’avaient plus du tout à être pris en considération.

Ce fait révèle comme une sorte de modernisme moral juridique et social ([16]). Nous le condamnons aussi formellement que le modernisme dogmatique» ([17]).

3 QUELLE IDÉE SE FONT LES CATHOLIQUES DE LEUR DOCTRINE SOCIALE?

Cette doctrine sociale, attirante pour un certain nombre d’incroyants, est-elle appréciée à sa juste valeur par les catholiques? Il faut reconnaître que beaucoup de ceux-ci nient son existence, la minimisent… ou l’ignorent purement et simplement.

CEUX QUI N’Y CROIENT PAS

De nombreux catholiques ont été marqués par un tour d’esprit anti-intellectuel hérité du protestantisme, d’où est issu une conception anti-intellectuelle de la religion ([18]); la notion de doctrine leur est devenue étrangère; ils n’ont que faire d’une doctrine sociale. Comme représentant de cette catégorie, citons le père Chenu qui consacra à la doctrine sociale un livre intitulé La doctrine sociale de l’Église comme idéologie ([19]). L’auteur s’en prend au concept même de doctrine sociale qui, d’après lui, serait inadéquat aux problèmes de l’homme vivant en société :

«(…) l’expression (doctrine sociale) est de plus en plus contestée. Elle est particulièrement inacceptable dans les Églises du tiers monde, dans lesquelles les catégories occidentales ne répondent pas aux situations économiques et culturelles locales. En vérité, c’est là le premier échec de ce concept : il unanimise des catégories socioculturelles qui sont la réfraction d’une situation historique et géographique déterminée, et qui, par conséquent, blessent les réalités qu’elles n’ont pas intégrées. Il détemporalise des notions qui sont le produit du temps dans lequel elles furent élaborées» (p.88).

Pour mieux faire saisir le caractère inadéquat de la doctrine sociale de l’Église, le père Chenu cherche à montrer qu’elle correspondrait à une démarche intellectuelle discutable dans son principe :

«Bref, on énonce des principes abstraits à partir desquels, par déduction, on cherche des applications, au lieu de se mesurer effectivement avec les réalités dans les lieux concrets de l’existence collective (…)».

«Unanimiser», «détemporaliser», «blesser la réalité» : voilà les reproches adressés au concept même de doctrine sociale. Et s’il est vrai que le fait de fixer des normes universelles en matière sociale aboutit à «blesser la réalité», autant dire que le mot «universel» n’a plus de sens en ce domaine. Seuls seraient à prendre en considération le particulier, le singulier, le concret. On voit le tour d’esprit du père Chenu. Les philosophes le qualifieraient de nominaliste. Il conduit à nier l’existence d’un ordre universel pour la vie en société, autrement dit d’un ordre politique universel ([20]).

CEUX QUI IGNORENT LA DOCTRINE SOCIALE

Le n° VII de la revue Itinéraires contient une enquête de grand intérêt sur l’encyclique Centesimus annus du 1er mai 1991. Dans l’épilogue, Jean Madiran souligne à quel point la doctrine sociale est ignorée de ceux qui devraient la connaître :

«Le propos du pape (dans ses textes traitant de doctrine sociale) se développe en supposant connue la doctrine sociale de l’Église. Dans le même sens, me semble-t-il, Alexis Curvers souligne le besoin d’un catéchisme de doctrine sociale : le mot est juste, il nous incite à étendre notre regard à l’ensemble de ce qui pourrait (ou devrait) être catéchisé, c’est-à-dire transmis et enseigné sous forme de catéchisme. Nous rencontrons là l’étonnante désinvolture de l’Église contemporaine à l’égard du rudiment de sa doctrine. C’est l’idée même de “rudiment” qui paraît s’être effacée des préoccupations et du comportement hiérarchiques (…).

Le pape ne connaîtrait-il pas l’état d’ignorance croissante où se trouvent le peuple chrétien, le clergé catholique et souvent même l’épiscopat en matière de doctrine sociale, comme d’ailleurs en matière de théologie et de toutes autres sciences ecclésiastiques?» ([21]).

«L’enseignement social de l’Église depuis Léon XIII est un admirable monument pour philosophes et lettrés (s’il en reste qui soient capables de l’apprécier). Il est aussi un flagrant échec pédagogique» ([22]).
Illustrons d’un exemple les remarques de Jean Madiran :

Soit l’exemple du socialisme. Il s’agit là d’une théorie incompatible avec la doctrine de l’Église et qui fut à plusieurs reprises condamnée par celle-ci ([23]). Qui le sait? Lors des élections de mai-juin 1981,de celles d’avril 1988, de celles de mai-juin 1997, aucun texte, aucune déclaration de la hiérarchie, aucun article dans la grande presse ne vint rappeler cette condamnation et les motifs qui la justifient.

Le diagnostic porté ci-dessus date de 1991. Il doit aujourd’hui être corrigé en ce qui concerne la doctrine sociale sur le respect de la vie et sur la famille : celle-ci est plus largement connue grâce au retentissement qu’a obtenu l’encyclique Evangelium vitae (25 mars 1995).

CEUX QUI SE FONT, DE LA DOCTRINE SOCIALE, UNE IDÉE EN PARTIE FAUSSE

Si, sur le plan général, on constate ce que Madiran appelle «l’état d’ignorance croissante où se trouvent le peuple chrétien, le clergé et souvent même l’épiscopat en matière de doctrine sociale»,on constate parallèlement dans certains milieux catholiques, un regain d’intérêt pour la doctrine sociale à la suite des multiples interventions de Jean-Paul II en ce domaine.
En réapparaissant ainsi sur le devant de la scène catholique, la doctrine sociale de l’Église est trop souvent exposée (dans la presse catholique en particulier) de façon ambiguë ou erronée.

• Erreurs sur le domaine couvert par la doctrine sociale

Souvent on assimile la doctrine sociale de l’Église à un ensemble de textes pontificaux (comme l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII) traitant principalement du travail et de la condition des ouvriers. Confondre ainsi la doctrine sociale de l’Église avec la doctrine de l’Église sur la «question sociale» ([24]), c’est confondre le tout et la partie. Quand l’Église donne un enseignement sur la vraie conception de la liberté et les conséquences politiques qui en découlent (encyclique Libertas), sur la royauté sociale de Nôtre-Seigneur (encyclique Quas Primas), sur l’éducation (encyclique Divini illius magistri), sur la franc-maçonnerie (encyclique Humanum genus), elle traite de points de doctrine sociale qui ne sont pas «la question sociale» et dont l’importance est capitale.

Autre erreur réductrice, moins grave que la précédente mais plus répandue : faire commencer la doctrine sociale à la fin du siècle dernier. C’est ce que pourrait laisser entendre l’introduction du livre de Marcel Clément, La doctrine sociale de l’Église, 1891-1991 :

«En 1991, l’Église a célébré le centième anniversaire de sa doctrine sociale. Depuis 1891, date de la promulgation de “Rerum novarum”, ce sont dix encycliques “sociales” – auxquelles il convient d’ajouter la constitution conciliaire “Gaudium et spes” –qui ont été données aux chrétiens (…)» ([25]).

Conséquence d’une telle thèse : on ne tient plus guère compte des grands textes de Léon XIII et de Pie IX sur le libéralisme, la Révolution, la franc-maçonnerie, la constitution chrétienne des États. Or ces textes font partie intégrante de la doctrine sociale… et sont fort utiles pour réfuter le libéralisme de la période post-conciliaire.

• Ambiguïtés et erreurs portant sur la doctrine sociale elle-même

Elles résultent des ambiguïtés et erreurs que contiennent certains textes du magistère et seront examinées dans la troisième partie (chapitres 12 et 13).

CEUX QUI CHERCHENT A SE FAIRE UNE IDÉE EXACTE DE LA DOCTRINE SOCIALE

A côté des catholiques qui nient l’existence de la doctrine sociale, qui l’ignorent ou s’en font une idée partiellement fausse, un certain nombre de groupes ont essayé de présenter cette doctrine avec rigueur et exactitude.

Telle est l’une des tâches auxquelles s’est consacrée l’Action familiale et scolaire, dans le sillage de Jean Ousset et des œuvres qu’il a créées (Cité catholique… Office des oeuvres de formation civique et d’action culturelle selon le droit naturel et chrétien…) ([26]).

4. OÙ CONDUIT LA MÉCONNAISSANCE DE LA DOCTRINE SOCIALE?

«La doctrine sociale de l’Église, disait Pie XII/...) est obligatoire : nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi et l’ordre moral» ([27]). Ainsi s’expliquent les multiples déviations où sont tombés hommes et groupes qui ont voulu faire de l’action sociale (et politique) sans connaissances adéquates en matière de doctrine sociale.
Nous en donnerons trois exemples :

LE SILLON

Mouvement politico-religieux lancé par Marc Sangnier à la fin du siècle dernier, le Sillon avait développé une forme sociale et politique de modernisme ([28]). Il fût condamné par saint Pie X dans sa lettre Notre charge apostolique (25 août 1910) dont voici un extrait :

«Le “Sillon” s’égarait. Pouvait-il en être autrement? Ses fondateurs, jeunes, enthousiastes et pleins de confiance en eux-mêmes, n’étaient pas suffisamment armés de science historique, de saine philosophie et de forte théologie pour affronter sans péril les difficiles problèmes sociaux vers lesquels ils étaient entraînés par leur activité et leur cœur, et pour se prémunir, sur le terrain de la doctrine et de l’obéissance, contre les infiltrations libérales et protestantes».

LES PRÊTRES OUVRIERS

L’expérience des prêtres ouvriers commença officiellement en France en 1947.

Dans ces années d’après-guerre, des prêtres généreux, soucieux d’un meilleur apostolat en milieu ouvrier, voulurent partager intégralement la condition ouvrière. Ils reçurent l’appui d’un certain nombre d’évêques.

Peu formés en matière de doctrine sociale (discipline qui n’était guère enseignée dans les séminaires), beaucoup d’entre eux furent séduits par l’idéologie régnant dans les milieux où ils vivaient:

«La plupart des prêtres-ouvriers sont passés ainsi, insensiblement et naturellement, pourrait-on dire, du militant communiste qui les avait touchés à la doctrine communiste, du marxiste dont ils avaient admiré la générosité au marxisme, qui se présentait uniquement pour eux comme l’idéologie libératrice de leurs camarades d’usine et de syndicat. Sans expérience politique, sans formation sociale et économique véritable, ne voulant connaître du communisme que l’ardeur que leurs camarades reflétaient, comment auraient-ils pu résister?» ([29]).

L’expérience des prêtres-ouvriers fut arrêtée par décision de Rome (lettre du 14 septembre 1959 du cardinal Pizzardo au cardinal Feltin). De nombreux prêtres ouvriers continuèrent néanmoins à vivre comme tels.

Si, sans bases doctrinales, la plupart des prêtres-ouvriers n’ont pu résister à la séduction du marxisme, comment les simples laïcs d’aujourd’hui, aussi dépourvus de bases doctrinales, pourraient-ils résister à la séduction des thèses de la société libérale et permissive dans laquelle ils sont plongés?

UN EXEMPLE QUE DONNE PIERRE DEBRAY

Dans son Courrier hebdomadaire ([30]), Pierre Debray décrit l’évolution d’un groupe de jeunes férus d’action sociale auquel il avait appartenu dans les années 1945-50 :

«Nous avions construit sur le sable, négligeant la formation doctrinale au profit d’une religiosité dont la ferveur nous dissimulait la fragilité. Le plus pieux de nos camarades s’est retrouvé maoïste, tandis que l’aumônier, dont la foi nous soulevait, se perdait dans les nuées de l’activisme le plus brouillon, en attendant de se marier, de divorcer, de se remarier».

5. DIFFICULTÉS DU SUJET

Si Pie XII pouvait constater, en 1945, que la doctrine sociale de l’Église était «claire en tous ses aspects», il faut reconnaître qu’aujourd’hui les choses se sont compliquées.

On sait qu’à la faveur du concile Vatican II, le libéralisme et le modernisme ont accentué leur pénétration dans l’Église. Certains des textes du magistère en matière de doctrine sociale ont été marqués par cette influence libérale et moderniste; textes dont les uns s’avèrent ambigus, dont les autres introduisent des doctrines nouvelles en désaccord plus ou moins net avec la doctrine traditionnelle.

De ce fait est partiellement rompue la continuité qui, jusqu’à la période conciliaire, caractérisait l’enseignement de l’Église dans le domaine politique et social.

On se trouve là en présence d’un des aspects de la crise actuelle dans l’Eglise (qui est d’abord une crise du magistère) ([31]).

Il est donc impossible aujourd’hui d’exposer la doctrine sociale de l’Eglise en faisant l’hypothèse – implicite ou explicite – que tous les textes du magistère s’y rapportant sont parfaitement clairs et en parfaite continuité les uns avec les autres ([32]). Pour les textes des pontificats postérieurs à celui de Pie XII, il faudra faire preuve de discernement et repérer éventuellement la pénétration d’une fausse doctrine venant plus ou moins altérer la vraie.

Nous sommes donc conduits, après les considérations générales qui viennent d’être exposées, à consacrer les deux parties suivantes :

– à une présentation plus détaillée de la doctrine sociale

– à l’étude de la pénétration de fausses doctrines au sein de la vraie.

IIème PARTIE : PRÉSENTATION DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’ÉGLISE

«La force des sociétés est dans la reconnaissance pleine et entière de la royauté sociale de Notre-Seigneur et dans l’acceptation sans réserve de la suprématie doctrinale de Son Église»

Saint Pie X, 22 octobre 1913

Nous passerons successivement en revue :

  • les fondements de la doctrine sociale de l’Église,
  • les textes qui l’explicitent,
  • son contenu,
  • certaines de ses modalités d’application

6. FONDEMENTS DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’ÉGLISE

Un double fondement, naturel et surnaturel

La doctrine sociale de l’Église se fonde :

  • sur la loi naturelle
  • sur la loi surnaturelle connue par la Révélation

Ce double fondement est ainsi présenté par Pie XII :

«Incontestable est la compétence de l’Église dans cette part de l’ordre social qui entre en contact avec la morale pour juger si les bases d’une organisation sociale donnée sont conformes à l’ordre immuable des choses que Dieu a manifestées par le droit naturel et la Révélation, double manifestation dont se réclame Léon XIII dans son encyclique. Et avec raison : les principes du droit naturel et les vérités révélées dérivent, en effet, par des voies diverses, comme deux courants non contraires, mais convergents, de la même source divine» ([33]).

Une doctrine fondée sur la loi naturelle

«La loi naturelle! Voilà le fondement sur lequel repose la doctrine sociale de l’Église. C’est précisément sa conception chrétienne du monde qui a inspiré et soutenu l’Église dans l’édification de sa doctrine sur un tel fondement» ([34])

• Définition

La loi naturelle est «l’ensemble des lois qui dérivent de la nature humaine et que l’homme connaît par la lumière naturelle de sa raison» ([35])

«La loi naturelle désigne (…) les lois qui doivent diriger l’activité propre de l’homme, animal raisonnable et libre. Ensemble de lois que la raison doit pouvoir découvrir, car il s’agit de l’activité propre à l’être humain, à qui il incombe de se proposer des buts conformes à sa nature raisonnable et libre. Buts qui doivent permettre à cette nature de s’épanouir au mieux, en tenant compte de ses exigences, et en respectant dans l’homme la dignité d’être spirituel» ([36])

«La loi naturelle est d’abord cette lumière de la raison placée en nous par Dieu lors de la Création. Par cette lumière naturelle nous savons ce qu’il faut faire (le bien, conforme à la nature qui nous a été donnée) et ce qu’il faut éviter (le mal, contraire à notre nature)» ([37])

• Une loi inscrite par Dieu dans le cœur de l’homme

Ce point a été expliqué par saint Paul et fréquemment rappelé dans les enseignements de l’Église :

«Nous pensons ici en particulier à ce qu’on appelle le droit naturel ([38]), inscrit de la main même du Créateur sur les tables du cœur humain et où la saine raison peut lire, quand elle n’est pas aveuglée par le péché et par la passion» ([39]).

• Une loi confirmée par la Révélation

«La raison humaine a le pouvoir de découvrir en elle-même et de comprendre par ses propres forces les vérités de la loi naturelle, et, parmi ces vérités, de s’élever jusqu’à une vraie connaissance d’un Dieu personnel. Toutefois, à cause des conséquences du péché originel et des passions qui risquent toujours d’obscurcir la raison et d’empêcher les hommes de voir clair, de juger avec certitude et sans se tromper, le Concile du Vatican a défini que, même pour ces vérités de raison, la Révélation est moralement nécessaire dans l’état actuel du genre humain, ainsi que l’enseignement authentique par l’Église. La Révélation confirme la loi naturelle. Elle la dépasse aussi, l’agrandit et l’approfondit» ([40]).

Cette confirmation de la loi naturelle par la Révélation correspond à ce que le philosophe français Etienne Gilson a appelé «l’arrivée par des voies non philosophiques de vérités philosophiques» ([41]). Elle s’effectua quand, sur le mont Sinaï, Dieu donna à Moïse le texte du décalogue inscrit sur deux tables de pierre.

• L’équivalence loi naturelle – décalogue – commandements de Dieu

«”Décalogue”, “commandements de Dieu”, “loi naturelle” (de l’homme) sont les trois noms d’une seule et même réalité. Chacun de ces noms a sa raison d’être, car chacun dit quelque chose que les autres ne disent pas :

Décalogue : ce sont les dix prescriptions fondamentales telles qu’elles ont été révélées par Dieu à Moïse et au peuple juif.

Commandements de Dieu : ce nom rappelle que Dieu est l’auteur de la loi (morale) naturelle et que cette loi est enseignée par l’Église.

Loi naturelle est un nom qui exprime deux choses :

  1. ce ne sont pas des commandements qui nous seraient extérieurs, ils sont inscrits dans notre nature et ils nous dirigent vers le bien qui nous est connaturel, le bien auquel aspire notre nature et qui la comble;
  2. ces commandements sont naturels, aussi, en ce qu’ils peuvent être découverts par la raison naturelle en l’absence de toute Révélation divine.

Il en résulte que pour celui qui n’est ni juif ni chrétien, il existe deux autres voies pour arriver à connaître la loi naturelle» ([42]).

• La confirmation de la loi naturelle par la Révélation ne se limite pas au décalogue

Le décalogue n’est qu’un résumé. D’autres textes de l’Écriture sainte apportent une confirmation directe ou indirecte de la loi naturelle :

«Le “Croissez et multipliez-vous” des origines est le fondement de la doctrine sociale sur la famille; ou bien “Dieu plaça Adam dans le Paradis pour qu’il le cultive” éclaire le problème du travail. Les fondements de la propriété sont illustrés par l’histoire des relations d’Abraham et de Lot. Les principes de fraternité humaine et le respect de la vie sont recueillis de l’histoire de Caïn et celui de la piété filiale est recueilli de l’histoire des fils de Noé et de celle de Tobie.

Il y a les recommandations morales : “Que le salaire de ton employé ne reste pas un jour dans la maison”, appartient au code du travail ou “soldats, contentez-vous de votre solde” est intégré dans le règlement militaire de toutes les nations civilisées.

Il y a des “proverbes” tels que cet avis de portée si universelle : “ne séparez pas ce que Dieu a uni” ou le célèbre “Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu” (principe d’après lequel doivent être réglés les rapports entre l’Église et l’État)» ([43]).

• Trois voies pour connaître la loi naturelle

«Nous avons trois voies pour accéder à la connaissance de la loi naturelle :

  1. – La première et la plus sûre, et qui est suffisante en elle-même pour acquérir une base certaine, est de se reporter au Décalogue que l’Église, quand elle n’est pas atteinte de collapsus, fait enseigner au catéchisme sous le nom de Commandements de Dieu ([44])(…)
  2. – Seconde voie : la lumière de la raison. Tous les préceptes du Décalogue sont accessibles à la raison naturelle. Toutefois cette possibilité théorique de la raison n’est pas toujours, en fait, une possibilité réelle : il y faut un travail philosophique et tout le monde n’est pas Aristote; il y faut beaucoup de temps, un cheminement intellectuel qui comporte des risques d’erreur, car si la raison humaine est capable de connaître, elle n’est pas assurée de ne jamais se tromper.
  3. – Troisième voie : consulter sa propre nature humaine. Non plus la connaissance par la raison, mais une connaissance dite “connaturelle”, une connaissance comme spontanée et pour ainsi dire instinctive. La loi naturelle est inscrite dans le coeur de l’homme : l’expression est de saint Paul. Que l’homme consulte donc son coeur et l’inclination naturelle de son coeur : mais la véritable inclination naturelle. Dans l’état de nature déchue qui est celui de l’humanité depuis le péché d’Adam, sous le joug de la loi de concupiscence qui incline au mal, une telle consultation du coeur risque d’être trompeuse.

Ces deux voies naturelles vont généralement ensemble, s’éclairant et s’aidant l’une l’autre. Dans ce cas, la loi naturelle est appelée la loi non écrite (la loi non écrite de l’Antigone de Sophocle) par distinction d’avec les lois écrites par le législateur humain» ([45]).

• Deux méthodes de recherche rationnelle des vérités morales et politiques

La seconde voie (recherche par la raison de la loi naturelle) donne lieu à deux démarches complémentaires, l’une déductive, l’autre inductive :

«Cette recherche rationnelle des vérités morales peut elle-même se faire de deux manières; ce qui a donné naissance à deux écoles, appelées l’une philosophique et l’autre historique. La première s’attache à la considération intime de la nature humaine, d’où elle déduit ses conclusions. L’autre prend la tradition pour base; et, étudiant les lois, les usages et les inclinations des peuples selon la différence des temps et des circonstances, elle accepte en quelque sorte les faits comme la règle du droit, au lieu de les juger d’après une règle immuable fixée à priori. Sans doute, dans les choses morales, tout ce qui tient à l’élément historique et traditionnel mérite une grande attention; car c’est souvent la manifestation extérieure des lois intimes qui régissent la nature humaine. Ceux qui font profession de mépriser cet élément pour se livrer à un rationalisme purement spéculatif, sont fort exposés à donner dans les chimères de l’esprit de système. Néanmoins, comme les faits procèdent aussi souvent de l’abus de la liberté, il est nécessaire de les comparer à des principes absolus qui leur servent de règle; et l’on sera dans le vrai en mêlant dans une juste mesure l’une et l’autre méthode. La science de la morale doit donc s’appuyer de telle sorte sur la raison, qu’elle s’aide aussi de l’histoire et des traditions du genre humain, et qu’elle ait toujours devant les yeux le flambeau de la révélation pour éclairer et assurer sa route» ([46]).

Retenons cette dernière leçon, particulièrement utile à ceux qui se préoccupent de formation politique : «L’on sera dans le vrai en mêlant dans une juste mesure l’une et l’autre méthode», la méthode inductive et la déductive.

Voici comment Charles Maurras présentait la méthode inductive à laquelle il avait habituellement recours et qu’il appelait «empirisme organisateur» :

«Depuis l’âge où l’on croit penser, je n’ai jamais imaginé que les théories fissent naître les institutions. Il est vrai que je ne saurais non plus contester la puissance d’une doctrine juste dans l’esprit d’une homme d’État, aucun fatalisme historique n’ayant jamais été mon fait. Si l’on veut, j’eus des “théories”, et si l’on veut, j’en ai encore : mais, de tout temps, ces théories ont mérité leur nom, qui en montre l’humilité, elles s’appellent l’Empirisme organisateur, c’est-à-dire la mise à profit des bonheurs du passé en vue de l’avenir que tout esprit bien né souhaite à sa nation» ([47])

«L’examen des faits sociaux naturels et l’analyse de l’histoire politique conduisent à un certain nombre de vérités certaines, le passé les établit, la psychologie les explique et le cours ultérieur des événements contemporains les confirme au jour le jour; moyennant quelque attention et quelque sérieux, il ne faut pas un art très délié pour faire une application correcte de ces idées, ainsi tirées de l’expérience, de ces faits nouveaux que dégage une expérience postérieure. La déduction est en ce cas la suite naturelle des inductions bien faites et le sens critique éveillé dans la première partie de l’opération n’éteint pas son flambeau pendant les mystères de la seconde puisque l’on vérifie au départ et à l’arrivée!» ([48]).

Une doctrine fondée sur la loi surnaturelle

«On ne changera point l’essence des choses : Jésus-Christ est la pierre angulaire de tout l’édifice social. Lui de moins, tout s’ébranle, tout se divise, tout périt» ([49]).

Ce texte du cardinal Pie suffit à situer la loi surnaturelle comme fondement de la doctrine sociale de l’Église. Dire que Jésus-Christ est pierre angulaire de tout l’édifice social revient à dire que «Les hommes ne sont pas moins soumis à l’autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée» ([50]). C’est toute la doctrine de la royauté sociale de Notre Seigneur dont les grandes lignes et les fondements scripturaires ont été magnifiquement rappelés par le pape Pie XI dans l’encyclique Quas primas du 11 décembre 1925 ([51]).

On mutile donc la doctrine sociale de l’Église quand on la limite à ce qui provient directement de la loi naturelle.

Naturel et surnaturel… tels sont donc les fondements de la doctrine sociale de l’Église; doctrine aussi ancienne que le christianisme et qui en est une partie intégrante; doctrine qui, loin de séparer naturel et surnaturel, les unit et par là même fait preuve d’un réalisme parfait; doctrine qui, mise en pratique, donna naissance à la chrétienté ([52]).

7 PRINCIPAUX TEXTES EXPOSANT LA DOCTRINE SOCIALE DE L’ÉGLISE

0221 DOCUMENTS MULTIPLES ([53])

Fondée sur les principes du droit naturel et sur les vérités révélées, perfectionnée par l’expérience acquise au cours de l’histoire, la doctrine sociale de l’Eglise se trouve exposée dans de multiples documents se rattachant à l’une ou l’autre de ces sources :

L’Ancien et le Nouveau Testament

2° Les textes des pères de l’Église. Exemple : divers traités de saint Augustin (Des moeurs de l’Église, La cité de Dieu…).

Autre exemple : les dialogues de saint Léon, pape, adressés à l’empereur Honorais, sur les devoirs du prince, les rapports de l’Église et de l’État.

L’enseignement des docteurs de l’Église et surtout de celui qui a fait la synthèse de tous les autres en un corps de doctrine complet et cohérent, saint Thomas d’Aquin, dont Benoît XV a déclaré (encyclique Fausto appetente die) que «L’Église a fait sienne sa doctrine» tandis que Pie XI (encyclique Studiorum ducem) a commandé que ce soit cette doctrine qui soit enseignée partout ([54]).

L’histoire de l’Église

L’Église met sa doctrine en pratique, parfois avant de l’avoir formulée de façon explicite.

Exemple : bien avant d’avoir formulé le «principe de subsidiarité», l’Église l’a mis en pratique au sein de ses propres structures, en laissant les fidèles libres de leurs initiatives religieuses. Les ordres religieux sont issus d’initiatives privées; ils ont souvent été fondés par de simples laïcs comme saint François ou saint Ignace.

Ainsi, peut-on considérer l’Église comme modèle de la vie sociale ([55])… règle qui souffre évidemment des exceptions. Quand des services de l’Église, quand une partie de la hiérarchie de l’Eglise ne respectent plus, dans leurs activités propres, la doctrine sociale de cette même Église, n’est-ce pas là un signe de crise ([56])?

Les enseignements pontificaux

C’est à eux que l’on pense d’abord quand on parle de doctrine sociale :

«Les points principaux (de la doctrine sociale de l’Église), explique Pie XII, sont contenus dans les documents du Saint-Siège, c’est-à-dire dans les encycliques, les allocutions et les lettres pontificales» ([57]).

IMPORTANCE DES TEXTES DE PIE XII

Parmi les documents récents, soulignons l’importance des textes du pape Pie XII que l’on peut considérer comme le grand docteur de la doctrine sociale ([58]).

Parlant de l’enseignement social de Pie XII en 1950 – donc bien avant qu’il ne soit achevé – Marcel Clément, qui l’avait étudié de façon approfondie, pouvait écrire :

«œuvre immense (…) qui a repris tous les principes formulés par les papes des encycliques sociales, les a appliqués aux problèmes particuliers de notre époque, en a accentué les exigences concrètes en les traduisant dans un langage juridique plus familier aux acteurs de la vie économique, en a complété certaines parties par des développements sur des problèmes non encore traités en eux-mêmes. Cette oeuvre, en outre, est marquée au coin d’un exceptionnel génie de synthèse, et l’unité parfaite qui en unit harmonieusement toutes les parties et les divers éléments la revêt d’une exceptionnelle séduction intellectuelle» ([59]).

8. EXPOSÉ SOMMAIRE DU CONTENU DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’ÉGLISE

Sans prétendre être complets, nous présentons ici une sorte d’aide-mémoire développant le schéma général donné au chapitre 1 ci-dessus. Pour chacun des points évoqués seront indiquées les références de quelques documents pontificaux et de quelques études s’y rapportant.

1 NOTIONS FONDAMENTALES

Vérité : il y a vérité quand l’idée correspond à la réalité.

Thèses contraires : toutes celles qui nient l’objectivité de la connaissance : à chacun sa vérité…

Ordre : disposition des choses correspondant au but à atteindre.

  • Liberté : n’est pas un absolu; est ordonnée par l’ordre du vrai et du juste.
  • Loi naturelle : «Cette lumière de la raison placée en nous par Dieu lors de notre création et par laquelle nous savons ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter». Elle est codifiée dans le décalogue (commandements de Dieu).
  • Bien commun : Il comporte des biens (temporels et spirituels) et les conditions de conservation de ces biens : «L’établissement de conditions publiques normales et stables telles qu’aux individus aussi bien qu’aux familles il ne soit pas difficile de mener une vie digne,régulière, heureuse selon la loi de Dieu : le bien commun est la fin et la règle de l’État et de ses organes» (Pie XII, 8 janvier 1947).

Documents signalés :

  • Jean Madiran, Court précis de la loi naturelle selon la doctrine chrétienne (Difralivre).
  • Jean Ousset, Fondements de la cité
  • M. Berger, Sur la terre comme au ciel, chrétienté et commandements de Dieu (A.F.S.)
  • M.Berger et A.de Lassus. Tolérance, pluralisme et liberté (AFS).

2 GÉNÉRALITÉS SUR LA VIE SOCIALE

Autorité : tout pouvoir vient de Dieu

Thèse contraire : tout pouvoir vient du peuple; c’est la souveraineté populaire, fondement de nos modernes démocraties.

Principe de subsidiarité : «De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes».

(Pie XI, encycl. Quadragesimo anno).

(A ce principe, qui conduit à placer les centres de décision le plus bas possible, compte tenu de la compétence des intéressés, s’oppose la thèse socialiste selon laquelle plus une décision est prise à un niveau élevé, plus elle serait efficace pour le service de l’intérêt général).

Conséquence : l’organisation par corps de la société.

•Principe de totalité : «Là où se vérifie la relation de tout à partie, dans la mesure exacte où elle se vérifie, la partie est subordonnée au tout; celui-ci peut, dans son intérêt propre, disposer de la partie».

(Pie XII, 14 septembre 1952)

(Ce qui signifie que les hommes et les communautés naturelles ne sont soumis à l’autorité de l’État que dans certaines limites. C’est sur ce principe que se fonde la réfutation doctrinale des systèmes politiques totalitaires).

Documents signalés
  • Jean Madiran, Le principe de totalité (NEL)
  • Jean Madiran, De la justice sociale (NEL)
  • Marcel de Corte, De la justice (DMM)

3 LA ROYAUTÉ SOCIALE DE NOTRE-SEIGNEUR

Jésus-Christ est le Dieu des peuples, des nations, des communautés et pas seulement le Dieu des individus et des familles. C’est le point central de la doctrine sociale de l’Église (voir chapitre 9 ci-dessous).

Documents signalés
  • Père Théotime de saint Just, La royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ d’après le cardinal Pie (éditions sainte Jeanne d’Arc et éditions de Chiré)
  • Jean Ousset, Pour qu’il règne, éditions D.M.M.
  • Dom Gérard, Demain la chrétienté (édition sainte Madeleine)
  • Dom de Monléon, Le Christ-Roi
  • Michel Berger, Le Christ-Roi, salut des nations (A.F.S.)

4 LA SOCIÉTÉ FAMILIALE

Mariage :

  • C’est un sacrement : (l’union de l’homme et de la femme étant l’image de celle du Christ avec son Église)
  • son caractère indissoluble
  • ses fins : «La fin primaire du mariage est la procréation et l’éducation des enfants : la fin secondaire est l’aide mutuelle et le remède à la concupiscence»
(Canon 1013 de l’ancien code de droit canon)

Respect de la vie : en particulier par le refus de la contraception:

«Est exclue également toute action qui, soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles se proposerait comme but ou comme moyen de rendre impossible la procréation»

(Paul VI, encycl. Humanae vitae)

Éducation-École :

«La famille reçoit immédiatement du Créateur la mission et conséquemment le droit de donner l’éducation à l’enfant, droit inaliénable parce qu’inséparablement uni au strict devoir corrélatif, droit antérieur à n’importe quel droit de la société civile et de l’État, donc inviolable par quelque puissance terrestre que ce soit».

(Pie XI, encycl. Divini Illius Magistri)

Patrimoine :

«La nature a lié intimement la propriété privée à l’existence de la société humaine et de sa vraie civilisation, mais dans un degré éminent à l’existence et au développement de la famille».

(Pie XII, radio-message du 1er juin 1941)
Documents signalés
  • Jean Ousset, Amour et sexualisme (DMM)
  • Les promesses du Sacré-Coeur aux familles (A.F.S.)
  • M.Berger, Qu’est-ce qu’une politique familiale (A.F.S.)
  • M.Berger, La contraception (A.F.S.)
  • M.Berger, Les allocations familiales (A.F.S.)
  • E.Beth, La France… sans familles (A.F.S.)
  • F.Desjars, La convention sur les droits de l’enfant (A.F.S.)
  • R.Florentin, L’homme peut-il fabriquer l’homme? (A.F.S.)
  • R. Florentin, Mourir au XXème siècle (A.F.S.
  • A.Perrachon et F.Desjars, Féminisme et vocation de la femme (A.F.S.)
  • Famille et politique (Actes du congrès A.F.S. de 1994)
  • J. de Viguerie, Les anciennes éducations et celle d’aujourd’hui (A.F.S.)

5 L’ORGANISATION PAR CORPS DE LA SOCIÉTÉ – LES CORPS INTERMÉDIAIRES

Organisation par corps : est conforme au principe de subsidiarité.

«La forme corporative de la vie sociale – et spécialement de la vie économique – favorise pratiquement la doctrine chrétienne concernant la personne, la communauté, le travail et la propriété privée…»

(Pie XII, 10 juillet 1946)

Corps intermédiaires : situés entre la famille et l’État, ils coordonnent les intérêts professionnels, éducatifs, culturels… Expression de la vitalité d’un vrai peuple, ils doivent être réglementés par l’État en vue du bien commun et non écrasés par lui.

Thèse contraire : celle de Rousseau mise en pratique par la Révolution : il ne faut pas d’intermédiaire entre l’individu et l’État.

Documents signalés
  • René de la Tour du Pin, Vers un ordre social chrétien (éditions du Trident)
  • Père Gabriel-Marie Jacquier, L’ordre social chrétien par le règne social de Marie (éditions du Lion)

6 VIE ECONOMIQUE ET ORGANISATION PROFESSIONNELLE

  • Travail : réhabilité et mis à sa juste place, qui n’est pas la première : l’homme est créé, non pour travailler, mais «pour louer, honorer et servir Dieu Notre Seigneur et, par ce moyen, sauver son âme» (St Ignace, Principe et fondement) – Le précepte du repos dominical.
  • Propriété : «Le droit de propriété, même des biens de production, a valeur permanente pour cette raison précise qu’il est un droit naturel (…)». (Jean XXIII, encycl. Mater et Magistra)

Les devoirs de la propriété, devoirs de justice et devoirs de charité; l’aumône.

Argent : condamnation de l’usure ainsi définie : «L’usure consiste à exiger, sans titre légitime, un intérêt illicite pour une somme prêtée, en abusant du besoin et de l’ignorance d’autrui»(Catéchisme de saint Pie X).

Thèse contraire : La réhabilitation de l’usure par Calvin; d’où le capitalisme libéral, régime économique fondé sur l’usure.

Corps professionnels : le corps de métier, l’entreprise, la profession, corps intermédiaires naturels de base.

Documents signalés
  • A.de Ledinghen, Les catholiques français et le monde du travail, de la Révolution à nos jours(A.F.S.)
  • A. de Lassus, Finance, économie et politique (A.F.S.)

7 LA SOCIÉTÉ POLITIQUE

Patrie : «II existe un ordre établi par Dieu , selon lequel il faut porter un amour plus intense et faire du bien de préférence à ceux à qui l’on est uni par des liens spéciaux. Le Divin Maître Lui-même donna l’exemple de cette préférence envers sa terre et sa patrie en pleurant sur l’imminente destruction de la Cité sainte…»

(Pie XII, 10 octobre 1939)

État : – Sa fin : «Le bien commun est la fin et la règle de l’État et de tous ses organes»

(Pie XII, 8 janvier 1947)

– Ses devoirs envers la vraie religion :

  • «La profession sociale et non pas seulement privée de la (vraie) religion;
  • L’inspiration chrétienne de la législation
  • La défense du patrimoine religieux du peuple contre toute attaque de ceux qui voudraient lui arracher le trésor de sa foi et de la paix religieuse»
(Cardinal Ottaviani, Les devoirs de l’État catholique envers la religion)

Ses rapports avec l’Église :

«Dieu a divisé le gouvernement du genre humain entre deux puissances : la puissance ecclésiastique et la puissance civile; celle-là préposée aux choses divines, celle-ci aux choses humaines. Chacune d’elles en son genre est souveraine; chacune est renfermée dans des limites parfaitement déterminées et tracées en conformité de sa nature et de son but spécial (…).

Leur autorité s’exerçant sur les mêmes sujets, il peut arriver qu’une seule et même chose, bien qu’à un titre différent (…) ressortisse à la juridiction et au jugement de l’une et de l’autre puissance (…). Il est donc nécessaire qu’il y ait entre les deux puissances un système de rapports bien ordonné non sans analogie avec celui qui dans l’homme constitue l’union de l’âme et du corps»

(Léon XIII, encycl. Immortale Dei).

Thèse en partie contraire : la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse.

Documents signalés
  • Jean Ousset, A la semelle de nos souliers (DMM)
  • M. Berger, Le nationalisme est-il un péché? (A.F.S.)
  • M. Berger, Défendre aujourd’hui l’identité nationale (A.F.S.)
  • M. Berger, L’immigration, approche chrétienne (A.F.S.)
  • Arnaud de Lassus, Politique et religion (A.F.S.)

La liberté religieuse trente ans après Vatican II (A.F.S.)

  • R. Fontaine, La peine de mort (A.F.S.)

8 ÉTUDE ET CRITIQUE DES IDÉOLOGIES POLITICO-SOCIALES ET DE LEURS APPAREILS

Communisme : «Le communisme est intrinsèquement pervers et l’on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne»

(Pie XI, encycl. Divini Redemptoris)

Socialisme : «Les catholiques ne peuvent en aucune façon adhérer aux théories des socialistes (…), car :

-enfermant l’ordre social dans les horizons temporels, ils ne lui assignent d’autre objectif que le bien-être terrestre;

-faisant de la production des biens matériels la fin de la société, ils limitent indûment la liberté humaine;

-il leur manque une vraie conception de l’autorité dans la société»

(Pie XI, encycl. Quadragesimo anno)

«II faut empêcher la personne et la famille de se laisser entraîner dans l’abîme où tend à les jeter la socialisation de toutes choses, socialisation au terme de laquelle la terrible image du Léviathan deviendrait une horrible réalité. C’est avec la dernière énergie que l’Église livrera cette bataille où sont en jeu des valeurs suprêmes : dignité de l’homme et salut éternel des âmes»

(Pie XII, 14 septembre 1952)

Nazisme : «Quiconque prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’Etat, ou les dépositaires du pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine – toutes choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable – quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de valeurs, même religieuses, et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi».

(Pie XI, encycl. Mit brennender Sorge, 14 mars 1937)
  • Libéralisme politique : La souveraineté populaire et les droits de l’homme de 1789 «si contraires à la religion et à la société» (Pie VI, encycl. Adeo nota); un État laïc et donc séparé de l’Église ; une société complètement sécularisée.
  • Libéralisme catholique – Démocratie chrétienne : refus d’utiliser la force au service de la vérité; séparation de l’Église et de l’État («L’Église libre dans l’État libre») ; diverses formes de mariage de l’Église avec les idées révolutionnaires.
  • Libéralisme économique : théorie qui établit une cloison étanche entre la morale et l’activité économique; le jeu de l’offre et de la demande suffirait à régler celle-ci.
  • Franc-maçonnerie : «Le jugement négatif de l’Église sur la Franc-maçonnerie demeure donc inchangé, parce que ses principes ont toujours été considérés comme incompatibles avec la Doctrine de l’Église»
(Cardinal Ratzinger, 26 novembre 1983)

Documents signalés

  • Jean Ousset, Pour qu’il règne (DMM)
  • Jean Ousset, Marxisme et révolution (DMM)
  • Jean Madiran, Les droits de l’homme DHSD (Difralivre)
  • R. Fontaine, Genèse d’une mythologie – Les prémices philosophiques de la Révolution (A.F.S.)
  • A. de Lassus, Philosophie de la Révolution et droits de l’homme (A.F.S.)
  • A. de Lassus, Connaissance élémentaire de la franc-maçonnerie (A.F.S.)
  • A. de Lassus, Laïcité, cléricalisme, deux erreurs symétriques (A.F.S.)
  • L. d’Anselme, R. Fontaine, A. de Lassus, Vers une nouvelle religion, la laïcité (A.F.S.)
  • A. de Lassus, Michel Berger, Connaissance élémentaire de la démocratie (A.F.S.)
  • Pascal Bernardin, Machiavel pédagogue (Éditions N.D. de Grâce)
  • Pédagogie, halte au massacre (Actes du congrès A.F.S. de 1992)
  • Mère Marie-Albert, L’enseignement du français aujourd’hui (A.F.S.)
  • Mère Marie-Albert, L’enseignement de l’histoire aujourd’hui (A.F.S.)

9. EXPOSÉ SOMMAIRE DU CONTENU DE LA DOCTRINE SOCIALE (suite) – LA ROYAUTÉ SOCIALE DE NOTRE-SEIGNEUR.

La clef de voûte de la doctrine sociale

Que faut-il entendre par royauté sociale de Notre Seigneur?

Le Christ, dans son humanité, est roi universel de la création : «Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre», a-t-il dit[60].

Sa royauté s’exerce non seulement sur les hommes pris individuellement mais aussi sur les corps sociaux quels qu’ils soient (familles, corps intermédiaires, États…) ; c’est en ce sens qu’elle est dite sociale.

Cette royauté sociale entraîne pour les corps sociaux une double obligation :

rendre au Christ le culte qui Lui est dû (l’État, par exemple,doit lui rendre un culte public) ;

obéir à Sa loi (naturelle et surnaturelle); autrement dit mettre en pratique les autres aspects de la doctrine sociale de Son Église.
La doctrine de la royauté sociale de Notre Seigneur constitue ainsi non seulement une partie intégrante de la doctrine sociale mais encore l’élément qui donne au reste sa pleine signification. A tel point que l’expression «reconnaissance de la royauté sociale de Notre Seigneur» est souvent utilisée pour caractériser l’ordre social chrétien, comme en témoignent ces deux textes de saint Pie X :
«La force des sociétés est dans la reconnaissance pleine et entière de la royauté sociale de Notre Seigneur et dans l’acceptation sans réserve de la suprématie doctrinale de Son Église»[61]
«Le salut de la France ne peut être obtenu que par la reconnaissance du règne du Christ sur la nation»[62]
II est devenu courant aujourd’hui de faire silence sur la royauté sociale de Notre Seigneur quand on présente la doctrine sociale de l’Église. Grave omission qui ampute celle-ci de son fondement surnaturel.

Grandes lignes de l’encyclique QUAS PRIMA

Dans son encyclique Quas primas (11 décembre 1925), instaurant la fête liturgique du Christ-roi, le pape Pie XI a donné sur cette doctrine un exposé très complet. En voici quelques extraits :

  • Liens entre la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ et le mystère de l’Incarnation

Il est de toute évidence que le nom et la puissance du roi, au sens propre du mot, doivent être attribués au Christ dans son humanité; car c’est seulement du Christ en tant qu’homme qu’on peut dire : Il a reçu du Père “la puissance, l’honneur et la royauté”. Comme Verbe de Dieu, consubstantiel au Père, Il ne peut pas ne pas avoir tout en commun avec le Père et, par suite, la souveraineté suprême et absolue sur toutes les créatures (…).

  • La royauté du Christ est universelle

Et, à cet égard, il n’y a lieu de faire aucune différence entre les individus, les familles et les États; car les hommes ne sont pas moins soumis à l’autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée. Il est l’unique source du salut, de celui des sociétés comme de celui des individus : “Il n’existe de salut en aucun autre; aucun autre nom ici-bas n’a été donné aux hommes , qu’il leur faille invoquer pour être sauvés”. Il est l’unique auteur, pour l’État comme pour chaque citoyen, de la prospérité et du vrai bonheur : La cité ne tient pas son bonheur d’une autre source que les particuliers, vu qu’une cité n’est pas autre chose qu’un ensemble de particuliers unis en société”.

  • L’État doit rendre au Christ un culte public et se soumettre à son enseignement

Les chefs d’État ne sauraient donc refuser de rendre – en leur nom personnel et avec tout leur peuple – des hommages publics de respect et de soumission à la souveraineté du Christ; tout en sauvegardant leur autorité, ils travaillent ainsi à promouvoir et à développer la prospérité nationale (…).

Aux États, la célébration annuelle de la fête (du Christ-Roi) rappellera que les magistrats et les gouvernants sont tenus, tout comme les citoyens, de rendre au Christ un culte public et de lui obéir ; elle évoquera devant eux la pensée de ce dernier jugement où le Christ, non seulement expulsé de la vie publique mais encore négligé ou ignoré avec dédain, vengera sévèrement de telles injustices, car sa royauté exige que l’Etat tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens.

Un commentaire du Cardinal Pie

«Dire que Jésus-Christ est le Dieu des individus et des familles et n’est pas le Dieu des peuples et des sociétés, c’est dire qu’il n’est pas Dieu. Dire que le christianisme est la loi de l’homme individuel et n’est pas la loi de l’homme collectif, c’est dire que le christianisme n’est pas divin. Dire que l’Église est juge de la morale privée et domestique, qu’elle n’a rien à voir à la morale publique et politique, c’est dire que l’Église n’est pas divine»[63].

«N’oublions pas et ne laissons pas oublier ce que nous enseigne le grand apôtre : que Jésus-Christ, après être descendu des cieux, y est remonté, afin de remplir toutes choses : ut impleret omnia. Il ne s’agit pas de sa présence comme Dieu, puisque cette présence a toujours été, mais de sa présence comme Dieu et homme tout à la fois. Au fait, Jésus-Christ est désormais présent à tout, sur la terre aussi bien qu’au Ciel; Il remplit le monde de son nom, de sa loi, de sa lumière, de sa grâce. Rien n’est placé hors de sa sphère d’attraction ou de répulsion; aucune chose ni aucune personne ne peuvent lui demeurer totalement étrangères et indifférentes; on est pour ou contre Lui; Il a été posé comme la pierre angulaire; pierre d’édification pour les uns, pierre d’achoppement et de scandale pour les autres, pierre de touche pour tous. L’histoire de l’humanité, l’histoire des nations, l’histoire de la paix et de la guerre, l’histoire de l’Église surtout n’est que l’histoire de Jésus remplissant toutes choses : ut impleret omnia»[64].

«On ne changera point l’essence des choses : Jésus-Christ est la pierre angulaire de tout l’édifice social. Lui de moins, tout s’ébranle, tout se divise, tout périt»[65].

Un commentaire de dom Guéranger

Dans son Année liturgique, dom Guéranger, en conclusion d’une notice sur saint Ambroise, s’adresse à lui en ces termes :
«Bannissez de nos esprits, ô Ambroise, ces timides et imprudentes théories qui font oublier à des chrétiens que Jésus est le Roi de ce monde, et les entraînent à penser qu’une loi humaine qui reconnaît des droits égaux à l’erreur et à la vérité pourrait bien être le plus haut perfectionnement des sociétés. Obtenez qu’ils comprennent, à votre exemple, que si les droits du Fils de Dieu et de son Église peuvent être foulés aux pieds, ils n’en existent pas moins; que la promiscuité de toutes les religions sous une protection égale est le plus sanglant outrage envers celui “à qui toute puissance a été donnée au ciel et sur la terre”; que les désastres périodiques de la société sont la réponse qu’il fait du haut du ciel aux contempteurs du Droit chrétien, de ce Droit qu’il a acquis en mourant sur la Croix pour les hommes; qu’enfin s’il ne dépend pas de nous de relever ce Droit sacré chez les nations qui ont eu le malheur de l’abjurer, notre devoir est de le confesser courageusement, sous peine d’être complices de ceux qui n’ont plus voulu que Jésus régnât sur eux».

Deux conceptions opposées de l’ordre politique : laïcité et royauté sociale de Notre Seigneur

Ce dernier texte met en évidence les erreurs contemporaines qui s’avèrent les plus nocives dans l’ordre politique :

des droits égaux sont accordés à l’erreur et à la vérité[66] ;

la vraie religion et les fausses religions jouissent d’une protection égale de la part de l’État (ce qui est une injure à Dieu, qui veut être adoré «en vérité»)[67] ;

le droit chrétien est foulé aux pieds et méconnu des chrétiens eux-mêmes (et même des hommes d’Église), qui ne comprennent pas que sa non application n’entraîne pas sa non-existence.

L’ensemble de ces erreurs constitue ce qu’on appelle la «laïcité»[68].

Royauté sociale de Notre Seigneur ou laïcité : entre ces deux conceptions de l’ordre social et politique, l’une fondée sur le Dieu fait homme, l’autre sur l’homme qui se fait Dieu, il n’existe ni juste milieu ni compromis auquel puisse être trouvé une véritable cohérence.

Un commentaire de Jean Jaurès

La chose a été reconnue par des adversaires de l’Église.

Dans un discours à la Chambre des députés, en 1905, lors du vote de la loi de séparation des Églises et de l’État, le socialiste Jean Jaurès, s’adressant à ses collègues catholiques, leur disait :

«Laissez-moi dire que ceux d’entre vous qui connaissent la pensée de l’Église dans sa vérité, dans son audace, qui a sa noblesse comme elle peut avoir aujourd’hui, pour bien des esprits, son scandale, ceux-là ne contesteront pas ce que je dis, car il est impossible que, lorsqu’on a proclamé que DIEU est si intimement mêlé aux choses humaines qu’il s’est incarné dans un individu humain et qu’il a transmis à une Église le droit de continuer cette incarnation, il est impossible que DIEU ne reste pas incarné dans cette Église comme la puissance souveraine et exclusive devant laquelle les individus, les sociétés, les patries, toutes les forces de la vie, doivent s’incliner. Voilà la contradiction des deux mondes, voilà la contradiction des deux principes et voilà, par conséquent, quand nous arrivons au problème de l’enseignement, la dualité et le conflit. Si les hommes de la Révolution poussent jusqu’au bout le principe révolutionnaire et si les chrétiens poussent au bout le problème de l’Église, c’est, dans une société unie en apparence, c’est, dans une société où nous aurons tous la même figure d’hommes, le plus prodigieux conflit qui se puisse imaginer.

(…)

Nos adversaires, nous ont-ils répondu ? Ont-ils opposé doctrine à doctrine, idéal à idéal ? Ont-ils eu le courage de dresser contre la pensée de la Révolution l’entière pensée catholique qui revendique pour Dieu, pour le Dieu de la révélation chrétienne, le droit non seulement d’inspirer et de guider la société spirituelle, mais de façonner la société civile? Non, ils se sont dérobés; ils ont chicané sur des détails d’organisation. Ils n’ont pas affirmé nettement le principe même qui est comme l’âme de l’Église»[69].

Ainsi, le tribun socialiste comprenait-il, mieux que beaucoup de catholiques, la connexion nécessaire entre le mystère de l’Incarnation et la royauté sociale de Notre Seigneur.
Retenons la leçon qu’il nous donne : des catholiques dignes de ce nom doivent «réclamer pour le Dieu de la Révélation chrétienne» – donc pour Jésus-Christ – «le droit non seulement d’inspirer la société spirituelle mais de façonner la société civile»[70].

10 – SAVOIR DISTINGUER DOCTRINE ET APPLICATION DE LA DOCTRINE

UNE QUESTION DE COMPÉTENCE

La doctrine sociale de l’Église fixe les grands principes qui doivent guider la vie sociale et politique. Elle n’entre pas dans les modalités d’application qui sont du ressort des pouvoirs temporels et qui se déterminent en fonction de ce qu’on appelle la prudence politique.

C’est ici qu’intervient l’enseignement de l’Église sur les rapports entre religion et politique que résume la parole de Notre Seigneur «Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu»[71].

Rendre à César ce qui est à César… qu’est-ce à dire? Que la politique est l’affaire des laïcs; et que, dans ce domaine, ils doivent être laissés libres d’agir comme ils l’entendent à condition de respecter la doctrine de l’Église en matière sociale et politique et son pouvoir indirect sur le temporel. Sans doute le pape peut-il donner, s’il le juge bon, des conseils politiques, des directives politiques. Mais ces conseils restent des conseils et ne doivent pas être pris pour des ordres, ces directives n’ont pas de caractère d’obligation.

Tel est l’enseignement constant de l’Église ainsi résumé par saint Thomas d’Aquin :

«Le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel proviennent l’un et l’autre du pouvoir divin. Le pouvoir temporel est donc soumis au pouvoir spirituel dans la mesure où Dieu l’y a soumis, c’est-à-dire pour ce qui se rapporte au salut de l’âme; et c’est pourquoi, en ces matières, il faut plutôt obéir au pouvoir spirituel qu’au pouvoir séculier. Mais dans les matières qui se rapportent au bien de la cité (bonum civile), il faut plutôt obéir au pouvoir séculier qu’au pouvoir spirituel, selon cette parole de saint Matthieu (XXIII, 21) : “Rendez à César ce qui est à César”»[72].

DEUX EXEMPLES

Soit l’exemple de la peine de mort

L’Église enseigne que l’État peut légitimement user de la peine de mort pour sanctionner des crimes graves qui portent atteinte à l’ordre public. Elle précise :

«Même quand il s’agit de l’exécution d’un condamné à mort, l’État ne dispose pas du droit de l’individu à la vie. Il est réservé alors au pouvoir public de priver le condamné du bien de la vie, en expiation de sa faute, après que, par son crime, il s’est dépossédé de son droit à la vie» ([73]).

Mais l’Église s’arrête là. Ce n’est pas elle qui dira à un chef d’État s’il doit maintenir – ou non – la peine de mort dans l’arsenal des peines prévues par le code pénal de son pays, ou s’il doit appliquer cette peine dans telle ou telle circonstance. C’est là un problème qui met en jeu la prudence politique (au sens fort du mot «prudence»); il relève de la compétence du chef de l’État et non de celle de l’autorité ecclésiastique.

Autre exemple : celui des sectes maçonniques. L’Église apporte un enseignement sur la nocivité de ces sectes, leurs caractères anti-catholiques; elle interdit aux fidèles d’y adhérer; pour lutter contre elles, elle indique les moyens surnaturels à utiliser et les met (ou devrait les mettre) en oeuvre. Là s’arrête sa tâche. Il ne lui appartient pas de déterminer les moyens qui seront utilisés pour la lutte contre la franc-maçonnerie sur le plan temporel (législation spéciale, exclusion des francs-maçons de certaines fonctions; campagnes pour sensibiliser l’opinion, information – et formation méthodique des principaux responsables civils et militaires…).

Il s’agit là d’une distinction trop oubliée aujourd’hui et que justifie le simple bon sens (à chacun son métier).

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

«De la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien et le mal des âmes».

On en revient toujours à cette remarque de Pie XII qui justifie l’extrême importance de la doctrine sociale de l’Église; doctrine qui ne fait que traduire les exigences de la loi divine (naturelle et surnaturelle) aux plans politique, social, économique.

Deux textes de Pie XI et Pie XII en résument les lignes essentielles :

«Les hommes ne sont pas moins soumis à l’autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée» ([74])

«En quelle direction faut-il alors chercher la sécurité et l’assurance intime d’une vie en commun sinon dans un retour des esprits vers la conservation et le rappel des principes de la vraie nature humaine voulue par Dieu, à savoir : qu’il y a un ordre naturel même si ses formes changent avec les développements historiques et sociaux.

Mais les lignes essentielles ont toujours été et demeurent les mêmes : la famille et la propriété comme bases d’assurance personnelle puis, comme facteur complémentaire de sécurité, les institutions locales et les unions professionnelles et finalement l’État» ([75]).

Faut-il ajouter que par sa cohérence, son harmonie, son réalisme, la doctrine sociale de l’Église constitue l’une des gloires du catholicisme. Par elle se manifeste une des supériorités de l’Église sur les autres religions. Que peuvent proposer, en regard, dans le domaine social, les religions orthodoxe, protestante, musulmane, hindouiste?

Aujourd’hui, où elle est trop peu connue et si peu mise en pratique, c’est peut-être le réalisme de cette doctrine de l’ordre temporel qui en constitue le caractère le plus frappant.

Car l’ordre temporel a besoin d’une doctrine pour devenir ce qu’il doit être : un ordre social chrétien, un ordre basé sur des institutions chrétiennes, bref une chrétienté… cette chrétienté dont dom Gérard a donné une si belle description dans son livre Demain la chrétienté (p.75,76). Parlant des premiers temps de l’Église, il écrit :

«Il s’agissait de fonder une société. Pas seulement de “convertir”. Qu’est-ce qu’un converti privé de son milieu, de sa terre nourricière et de l’oxygène qui ravitaille ses poumons? Et voilà réapparaître de nouveau l’idée de chrétienté comme espace, comme atmosphère, comme terreau, comme labour dûment irrigué où, sous le regard d’un bon cultivateur, les germes trouveront les conditions nécessaires à leur développement (…).

Humilité du propos qui voit dans le redressement de l’ordre temporel non la cause mais la condition du salut, Dieu restant la cause unique».

IIIème PARTIE : LA PÉNÉTRATION DE FAUSSES DOCTRINES AU SEIN DE LA VRAIE

«La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée
avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu.
Qu’est-il arrivé? Un choc, une lutte, un anathème?
Cela pouvait arriver; mais cela n’a pas eu lieu (…)»
Paul VI, 7 décembre 1965([76])
«L’ouverture au monde fut une véritable
invasion de l’Église par l’esprit du monde»
Paul VI, 23 novembre 1973 ([77])
«Contentons-nous ici de constater que le texte
(“Gaudium et spes”)joue le rôle d’un contre-syllabus dans
la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation
officielle de l’Église avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789»
Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique ([78])

11. LE FAIT NOUVEAU : DES TEXTES AMBIGUS OU HÉTÉRODOXES ÉMANANT DU MAGISTÈRE

Comme la chose a été indiquée ci-dessus, les points principaux de la doctrine sociale de l’Eglise sont contenus dans les documents du Saint-Siège : encycliques, allocutions et lettres pontificales, radio-messages… ([79])

DES TEXTES PARFAITEMENT CLAIRS JUSQU’EN 1963

Jusqu’à la fin du pontificat de Pie XII (1958) et même jusqu’à la dernière encyclique de Jean XXIII(Pacem in terris, 11 avril 1963), les textes pontificaux en matière de doctrine sociale, sauf cas très rares, ne soulevaient pas de problèmes d’interprétation ([80]); ils étaient clairs et constituaient un ensemble cohérent couronné par les enseignements de Pie XII.

L’ENCYCLIQUE “PACEM IN TERRIS”, «TOURNANT DANS L’HISTOIRE DE L’ÉGLISE»

Les difficultés ont commencé avec l’encyclique Pacem in terris du 11 avril 1963. On y trouve la phrase suivante :

«Chacun a le droit d’honorer Dieu suivant la juste règle de sa conscience et de professer sa religion dans la vie privée et publique» ([81]).

La doctrine libérale de la liberté religieuse était en germe dans cette phrase. Ce qui a permis au père Rouquette s. j. d’écrire dans la revue Les Études de juin 1963 (p. 405) : «Elle (l’encycliquePacem in terris) est en effet un événement qui, pour les historiens de l’avenir, marquera un tournant dans l’histoire de l’Église» ([82]).

LE CAS DES TEXTES CONCILIAIRES

Depuis 1963, les difficultés de ce genre se sont multipliées. Et d’abord avec plusieurs textes du concile Vatican II.

• Les diagnostics du père Calmel et de Jean Madiran

Sur les textes conciliaires pris dans leur ensemble, le père Calmel o.p., dans son livre Apologie pour l’Église de toujours, portait le jugement suivant :

«On sait depuis longtemps que ce sont des textes de compromis. On sait encore qu’une fraction modernisante voulait imposer une doctrine hérétique. Empêchée d’aboutir, elle est quand-même parvenue à faire adopter des textes non formels; ces textes présentent le double avantage pour le modernisme de ne pouvoir être taxés de propositions carrément hérétiques, mais cependant de pouvoir être tirés dans un sens opposé à la foi. Nous attarderons-nous à les combattre directement? Un moment, nous y avions pensé. La difficulté c’est qu’ils ne donnent pas prise à l’argumentation; ils sont trop mous. Lorsque vous essayez de presser une formule qui vous paraît inquiétante, voici que – dans la même page – vous en trouvez une autre entièrement irréprochable. Lorsque vous cherchez à étayer votre prédication ou votre enseignement sur un texte solide, impossible à tourner, propre à transmettre à votre auditoire le contenu traditionnel de la foi et de la morale, vous vous apercevez bientôt que le texte que vous avez choisi au sujet par exemple de la liturgie, ou du devoir des sociétés à l’égard de la vraie religion, ce texte est insidieusement affaibli par un second texte qui, en réalité, exténue le premier alors qu’il avait l’air de le compléter. Les décrets succèdent aux constitutions et les messages aux déclarations sans donner à l’esprit, sauf exception rarissime, une prise suffisante» ([83])

On rapprochera le jugement du père Calmel de celui de Jean Madiran :

«… Les textes conciliaires ont été complétés (dans le cas de la Nota praevia) ou même rédigés d’une manière suffisamment traditionnelle pour pouvoir être votés par une quasi-unanimité, et cependant d’une manière suffisamment astucieuse pour permettre, comme la suite l’a montré, des développements ultérieurs qu’à l’époque les pères conciliaires auraient refusés» ([84]).

• Le témoignage du père Schillebeeck

Le père Schillebeeck o.p., qui fut l’un des experts très écoutés du concile Vatican II, apporta, sur un point particulier, un témoignage venant confirmer les diagnostics du père Calmel et de Jean Madiran. En 1965, dans un article de la revue hollandaise De Bazuin, il expliqua comment avait été élaboré le texte sur la collégialité de la constitution conciliaire Lumen gentium :

«La minorité (des pères conciliaires) n’était pas contre la collégialité telle qu’elle est formulée littéralement dans le texte, mais bien contre l’orientation pleine d’espérance que la majorité de la Commission Doctrinale, par le moyen d’une manière de parler délibérément vague et, en outre, trop diplomatique, voulait que l’on sous-entendit dans le texte, même si les termes de celui-ci ne l’exprimaient pas directement (…). Un théologien de la Commission Doctrinale, à qui, déjà durant la deuxième Session, j’avais exprimé mon désappointement en face du minimalisme sur la collégialité papale, me répondit, dans l’intention de me tranquilliser : “Nous l’exprimons d’une façon diplomatique, mais après le Concile, nous tirerons les conclusions implicites “.

J’estimais cela malhonnête (…)» ([85]).

Textes rédigés de façon astucieuse et diplomatique, mélange de l’irréprochable et de l’inquiétant, ambiguïtés… telles sont, selon les auteurs précités, les caractéristiques de plusieurs textes conciliaires. Il faudrait ajouter, pour certains d’entre eux, comme la constitution Gaudium et spes et la déclaration Dignitatis humanae : mélange d’éléments irréprochables et d’éléments non conciliables avec la doctrine traditionnelle ([86]).

LE CAS DES TEXTES POST-CONCILIAIRES

On se rappelle les verdicts impressionnants sur la crise dans l’Église portés par le cardinal Ratzinger (dans son livre Entretien sur la foi édité en 1986) et Paul VI (dans ses discours). Nous en citerons deux :

«Quelque part la fumée de Satan est entrée dans le temple de Dieu»(Paul VI, 30 juin 1972)

«L’ouverture au monde fut une véritable invasion de l’Église par l’esprit du monde» (Paul VI, 23 novembre 1973) ([87])

Si l’Église est envahie par l’esprit du monde, il a bien fallu qu’une doctrine sociale d’ouverture au monde moderne, autrement dit d’ouverture au libéralisme ait en partie remplacé la doctrine sociale traditionnelle refusant de pactiser avec ce monde moderne ([88]); il a bien fallu qu’il y ait eu changement doctrinal.

La chose a été reconnue par divers organes ecclésiastiques. Citons, à titre d’exemple le Conseil «Justice et paix» des diocèses d’Algérie qui écrivait en 1983 :

«Dans le monde chrétien, entre Vatican I et Vatican II, on a pu voir les dominantes s’inverser. Finalement, une large partie des convictions libérales condamnées au XlXè siècle se sont trouvées intégrées dans la nouvelle vision de l’homme et des sociétés proposées par l’Église du XXè siècle, en particulier à Vatican II, à travers les constitutions sur la liberté religieuse ou sur l’Église dans le monde de ce temps» ([89]).

L’examen de quelques textes auquel il sera procédé aux chapitres 12 et 13 ci-dessous permettra de mieux situer certains des changements doctrinaux et d’en montrer les causes qui sont les mêmes pour les textes conciliaires et les textes post-conciliaires : présence fréquente d’ambiguïtés, pénétration de fausses doctrines au sein de la vraie (celle-ci n’étant pas positivement niée et étant souvent réaffirmée).

Avant d’aborder cet examen, montrons que l’idée même de changement doctrinal n’est pas une idée catholique.

REMARQUES SUR LA CONTINUITÉ ET LE DÉVELOPPEMENT DES DOCTRINES CATHOLIQUES

L’idée d’un changement de doctrine – aussi bien pour la doctrine sociale que pour toute autre doctrine catholique – paraît admissible aux modernistes ([90]) : ayant adopté une conception évolutive de la doctrine, ils estiment que, puisque les temps changent, il est normal que la doctrine change, elle aussi.

Pour les catholiques qui refusent le modernisme, il n’en va pas de même. Ils savent que les doctrines catholiques sont stables et cohérentes les unes avec les autres; elles peuvent être explicitées; elles peuvent être appliquées dans des conditions nouvelles; mais elles restent toujours fondamentalement les mêmes et ne peuvent pas être remplacées par des doctrines nouvelles.

Comme l’explique Bossuet :

«Lorsqu’il s’agit d’expliquer les principes de la morale chrétienne et les dogmes essentiels de l’Église, tout ce qui ne paraît point dans la tradition de tous les siècles et principalement dans l’antiquité, est dès là non seulement suspect, mais mauvais et condamnable; et c’est le principal fondement sur lequel tous les saints Pères, et les papes plus que les autres, ont condamné les fausses doctrines, n’y ayant jamais eu rien de plus odieux à l’Église romaine que les nouveautés» ([91]).

Et l’horreur de l’Église pour les nouveautés en matière de dogmes et de doctrines n’est pas du tout incompatible avec le développement de ces mêmes dogmes et doctrines.

«… On sait qu’en même temps que le défenseur de l’immutabilité du dogme, Vincent de Lérins est celui de son progrès et de son développement homogènes. Il en a fixé la loi fondamentale dans une formule non moins célèbre ni moins autorisée : il faut, dit-il, que tout ce qui touche à la foi soit maintenu “in eodem dogmate, eodem sensu, eademque sententia” – “dans la même croyance, dans le même sens et dans la même pensée”. Cette formule, souvent reprise, a été canonisée par l’autorité de l’Eglise au 1er Concile du Vatican. L’immutabilité de la foi a donc pour condition cette continuité substantielle dans le développement de ses différents articles» ([92]).

De telles considérations, se rapportant au dogme de la foi et aux principes de la morale chrétienne, peuvent être appliquées à la doctrine sociale de l’Église, parce que celle-ci se définit comme «l’application des principes constants de la théologie morale à la vie en société» ([93]).

Nous examinerons sous deux aspects les changements doctrinaux résultant d’ambiguïtés et de pénétration de fausses doctrines au sein de la vraie :

  • les textes où se manifestent ces changements (chap.12 et 13);
  • la manière dont ils sont perçus par diverses personnalités (chapitre 14).

12. DES TEXTES AMBIGUS

L’ambiguïté – voulue ou non – dans l’expression de la doctrine facilite la pénétration de fausses doctrines au sein de la vraie. D’où son usage fréquent par les hérétiques ([94]). D’où le souci qu’a toujours eu le magistère, jusqu’à ces derniers temps, d’éviter les formulations ambiguës et d’exprimer les divers points de doctrine avec le maximum de précision.

Depuis 1958, le souci de précision s’est atténué; des textes ambigus sont apparus; si bien que le père Joseph de sainte Marie a pu écrire à propos de l’un d’eux [la «déclaration commune» faite en 1977 par Paul VI et le primat de l’Église anglicane ([95])] : «Tout ce texte est marqué du signe de l’équivoque – autrement dit de l’ambiguïté -, l’instrument par excellence de la destruction de la foi et de l’Église depuis près de vingt ans» ([96]).

La doctrine sociale n’a pas échappé à cette maladie de l’ambiguïté. Donnons quelques exemples de textes ainsi caractérisés.

TEXTES AMBIGUS AU SENS STRICT DU TERME

Le mot «ambigu» signifie «qui est à plusieurs sens, à double entente, qui est susceptible de plusieurs interprétations» (Le Robert).

Voici trois exemples de textes ambigus déjà anciens et qui ont contribué a brouiller les idées en matière de socialisme, de marxisme et d’ouverture au monde.

• Le mot «socialisation» dans la traduction française de l’encyclique Mater et magistra (15 mai 1961).

L’ambiguïté est ici imputable non au texte original (en latin) mais à sa traduction.

Dans les traductions françaises de l’encyclique, le mot «socialisation» a été choisi pour traduire diverses périphrases latines signifiant le développement des relations sociales dans le monde contemporain ([97]).

En utilisant dans un sens nouveau un mot servant habituellement à désigner la marche au socialisme, on a pu accréditer l’idée que l’Église était plus ou moins favorable à celui-ci. L’idée fut reprise dans des documents épiscopaux.

• Un texte sur le marxisme

Dans sa Lettre au cardinal Roy du 14 mai 1971, le pape Paul VI écrivait :

«Bien que le type d’analyse marxiste privilégie certains aspects de la réalité au détriment des autres et les interprète en fonction de l’idéologie, il fournit pourtant à certains, avec un instrument de travail, une certitude préalable à l’action avec la prétention de déchiffrer, sous un mode scientifique, les ressorts de l’évolution de la société. Si, à travers le marxisme tel qu’il est concrètement vécu, on peut distinguer ces divers aspects et les questions qu’ils posent aux chrétiens pour la réflexion et pour l’action, il serait illusoire et dangereux d’en arriver à oublier le lien qui les unit radicalement, d’accepter les éléments de l’analyse marxiste sans reconnaître leurs rapports avec l’idéologie, d’entrer dans la pratique de la lutte des classes et de son interprétation marxiste en négligeant de percevoir le type de société totalitaire et violente à laquelle conduit ce processus».

Sans doute faut-il comprendre que l’analyse marxiste, étant liée à l’idéologie marxiste, est par là-même inacceptable.

Mais ne peut-on aussi tirer de ce texte la conclusion suivante : l’analyse marxiste est un instrument de travail qui permet de déchiffrer l’évolution de la société; instrument dangereux certes, puisqu’il est en rapport avec l’idéologie marxiste, mais qu’on peut utiliser à condition de ne pas oublier ces rapports ([98]).

• L’avant-propos de la constitution conciliaire Gaudium et spes

La constitution Gaudium et spes constitue, selon Paul VI, «le couronnement de l’oeuvre du Concile» ([99]). «Elle a été considérée de plus en plus après le Concile comme le véritable testament de celui-ci» ([100]).

La constitution commence par un «avant-propos» dont le cardinal Ratzinger souligne ainsi l’importance : «Ce qui a eu tant d’influence dans ce texte (Gaudium et spes), (…) c’est bien plutôt l’intention générale de départ, laquelle s’est exprimée principalement dans l’avant-propos» ([101]).

Et voici le jugement du cardinal :

«Je me contenterai donc ici d’analyser quelques traits caractéristiques de cet avant-propos (…) parce que l’histoire de son influence telle qu’elle devait se montrer se rattache justement à l’esprit de cet avant-propos et a largement subi l’empreinte de son ambiguïté.

Un premier point caractéristique me paraît résider dans le concept du “monde” qui s’y trouve utilisé et qui, malgré les multiples essais de définition proposés au n° 2, est resté dans une grande mesure à un stade pré-théologique, grâce à quoi précisément il a pu avoir son influence particulière. La Constitution comprend par “monde” un vis-à-vis de l’Église. Le texte doit servir à les amener tous les deux dans un rapport positif de coopération dont le but est la construction du “monde”. L’Église coopère avec le “monde” pour construire le “monde” – c’est ainsi qu’on pourrait caractériser la vision si déterminante du texte. On ne précise pas si le monde qui coopère et le monde en construction est le même; on ne précise pas ce qu’on entend dans chaque cas par le monde» ([102])

Le cardinal Ratzinger, dans la suite du texte, critique d’autres aspects de l’avant-propos deGaudium et spes. Nous nous limitons au passage ci-dessus, qui met en évidence son ambiguïté.

TEXTES AMBIGUS AU SENS LARGE

• Le processus

Reprenons un passage de la citation du père Calmel sur les textes conciliaires, reproduite ci-dessus p.59. : «Lorsque vous essayez de presser une formule qui vous paraît inquiétante, voici que – dans la même page – vous en trouvez une autre entièrement irréprochable».

L’ambiguïté résulte ici de la cohabitation, dans le même document, de propositions irréprochables et de propositions inquiétantes (pour reprendre le vocabulaire du père Calmel)… voire de propositions vraies et de propositions erronées. On trouve de telles cohabitations dans des textes conciliaires et dans des textes du magistère postérieurs au Concile.

• L’exemple de l’encyclique Centesimus annus

Citons à titre d’exemple l’encyclique Centesimus annus (1er mai 1996). Elle réaffirme un certain nombre de vérités trop oubliées aujourd’hui : sur le lien entre liberté et vérité, sur le bien commun, les corps intermédiaires, l’organisation par corps de la société, le principe de subsidiarité. Et simultanément elle réaffirme des points discutables ou erronés devenus hélas classiques : les droits de l’homme avec référence à la déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948, la dignité de la personne présentée comme fondement de l’ordre social, l’apologie de la liberté religieuse (telle qu’elle a été définie par le concile Vatican II), c’est-à-dire de la liberté des cultes, la théorie de la séparation des pouvoirs.

D’où la remarque de Danièle Masson à propos de cette même encyclique :

«Le flottement entre l’exaltation de la personne humaine -fruit de la culture moderne et plus particulièrement du personnalisme qui marqua Karol Wojtyla – et l’accent sur le bien commun – expression de la doctrine sociale de l’Église – caractérise l’encyclique. Elle ressemble en cela à l’auberge espagnole : chacun y trouvera ce qu’il y apportera. Les uns y verront la continuité de la doctrine sociale. Les autres y verront la rupture avec la tradition. Il est difficile de donner tort aux uns ou aux autres, compte tenu de l’ambiguïté de l’encyclique» ([103]).

«Les uns y verront la continuité de la doctrine sociale. Les autres y verront la rupture avec la tradition».

Tel est le résultat de l’ambiguïté de Centesimus annus; il ressort, de manière frappante, de l’enquête faite à son sujet par la revue Itinéraires (n° VIII, automne 1991, p.l à 140); il est d’autant plus redoutable qu’il risque de susciter la dialectique entre esprits de bonne foi tirant d’un même texte des résultats opposés.

Comment éviter la dialectique? En apportant l’attention qu’il mérite au processus qui la fait naître.

13. TEXTES S’OPPOSANT PLUS OU MOINS NETTEMENT A LA DOCTRINE TRADITIONNELLE

Nous venons d’évoquer des documents mélangeant propositions irréprochables et propositions inquiétantes, voire erronées.

Donnons quelques exemples de celles-ci : Ils se rapporteront :

  • à la pénétration du libéralisme sous différentes formes (respect de toutes les opinions et doctrines, la doctrine conciliaire sur la liberté religieuse, la même doctrine reprise après le Concile, l’ouverture à l’humanisme laïc, les droits de l’homme);
  • à la doctrine sur l’État.

On trouvera sur ces diverses questions des exposés plus détaillés :

  • dans les livres de Jean Madiran Le Concile en question ([104]) et Les droits de l’homme DHSD(16);
  • dans le livre de Romano Amerio Iota unum (l6);
  • dans le n° VII (automne 1991) de la revue Itinéraires (Enquête sur l’encyclique Centesimus annus);
  • dans les brochures A.F.S. Vatican II rupture ou continuité?(16) et La liberté religieuse, trente ans après Vatican II(16)

LE RESPECT DE TOUTES LES OPINIONS, DE TOUTES LES DOCTRINES

II s’agit là d’une attitude typiquement libérale que l’on trouve aussi bien dans des discours de circonstance que dans des textes plus solennels.

Donnons-en un exemple :

• Un passage de la déclaration conciliaire Nostra aetate sur les rapports avec les religions non chrétiennes

«L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et sain dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère (sincera cum observantia considerat) ([105]) ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes» (N°2, § 2)

Comment serait-il possible de respecter des doctrines religieuses qui sont fausses (puisqu’elles diffèrent en beaucoup de points de la doctrine catholique) en se basant sur le fait qu’elles contiennent des éléments de vérité? Faudrait-il respecter les doctrines de Luther, Calvin ou Mahomet qui répondent à ces caractéristiques et comportent des enseignements en matière sociale particulièrement erronés?

L’OUVERTURE AU LIBÉRALISME DE LA DÉCLARATION CONCILIAIRE SUR LA LIBERTÉ RELIGIEUSE

Il s’agit là d’un texte particulièrement important. «Par sa déclaration sur la liberté religieuse, écrit Jean Potin dans La Croix du 7 novembre 1994, le concile Vatican II a fait basculer l’Église dans le monde moderne»

• La question en cause

L’homme doit-il être laissé libre de professer publiquement seul ou en groupe la religion de son choix? Ou faut-il admettre au contraire que l’État a le droit (et éventuellement le devoir) de s’opposer au culte public des fausses religions et à leur propagande?

Il s’agit là d’un aspect essentiel des rapports entre l’État et l’Église, entre politique et religion.

• La doctrine traditionnelle

Sur ce point, la doctrine traditionnelle est formelle : quand il s’agit de fausses religions, la liberté civile de conscience et des cultes est une «liberté de perdition», l’État doit normalement réprimer l’exercice du culte des fausses religions; il peut cependant le tolérer dans la mesure où l’exige le bien commun (la répression d’un mal n’étant jamais une norme absolue).

Dans l’encyclique Quanta cura (8 décembre 1864), Pie IX parle de «cette opinion erronée, fatale à l’Église catholique et au salut des âmes, et que notre prédécesseur d’heureuse mémoire, Grégoire XVI, qualifiait de délire, que “la liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme, qui doit être proclamé par la loi et assuré dans tout État bien constitué”».

• La doctrine conciliaire

La déclaration conciliaire Dignitatis humanae sur la liberté religieuse, promulguée par Paul VI le 7 décembre 1965, introduit une nouvelle doctrine sur la liberté civile de conscience et des cultes, liberté rebaptisée «liberté sociale et civile en matière religieuse», ou, plus brièvement, «liberté religieuse». En voici trois points essentiels :

un nouveau droit de la personne :

La liberté sociale et civile en matière religieuse est un droit de la personne qui doit être inscrit dans la loi civile (article 2).

la non-discrimination pour motif religieux

L’État ne doit jamais violer pour motif religieux l’égalité juridique entre les citoyens ni établir de discrimination entre eux pour le même motif (article 6).

l’incompétence de l’État en matière religieuse

L’État n’a pas compétence pour interdire ou restreindre les manifestations publiques d’une fausse religion dès lors que l’«ordre public juste» n’est pas menacé.

• Conséquences de la doctrine conciliaire

Sous couvert de liberté religieuse ont été modifiés les rapports entre politique et religion (il ne faudrait plus employer la force au service de la vérité); a été présentée une nouvelle conception de l’ordre social basée sur le pluralisme; a été posé en principe d’application générale la non-discrimination pour motif religieux; se sont développées, dans les esprits et les comportements, des tendances libérales, dignes héritières du libéralisme catholique du siècle dernier.

•Un jugement du père Joseph de sainte Marie

Sous le titre Le concile Vatican II échappe-t-il à l’accusation de libéralisme? et sous la signature R. Teverence, le père Joseph de sainte Marie, théologien carme, a donné dans le n° 162 (octobre 1976) de la revue Le courrier de Rome une étude de fond sur la déclaration conciliaire ([106]).

Voici un extrait de la partie de cette étude intitulée «Conséquences et implications» :

«Pris tels qu’ils sont, les textes concernant “la liberté religieuse” tombent immédiatement sous le coup des condamnations portées contre le libéralisme par tous les papes précédents, jusqu’à Jean XXIII exclusivement. Car – selon cette doctrine constante de l’Église – autant il est vrai que la liberté sacrée de l’acte de foi interdit toute pression sur la conscience de la personne humaine pour lui imposer ou pour lui interdire cette adhésion religieuse de l’âme à Dieu, autant il est certain que le Christ a institué une religion à laquelle tous les hommes ont le devoir de tendre et que la société civile elle-même a le devoir de servir et de protéger dans la juste distinction entre ce qui est de son domaine et ce qui relève de l’Église» ([107]).

TEXTES POST-CONCILIAIRES SUR LA LIBERTE RELIGIEUSE

Jean-Paul II évoque souvent la liberté religieuse en se référant à la doctrine conciliaire. Voici deux de ses déclarations :

• Chacun a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion

«Le concile Vatican II (…) déclare que la personne humaine “a droit à la liberté religieuse”(Dignitatis humanae n.2). Dans ce document, le Concile se sent allié aux millions de gens dans le monde qui adhèrent – dans toutes ses applications pratiques – à l’article 18 de la déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies, qui affirme que “chacun a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion”» ([108])

• Un droit fondé sur la nature même de l’homme

«En particulier, je renouvelle mon appel à toutes les nations du monde (…), pour le respect, loyal et constructif, de la liberté religieuse à laquelle tous les hommes ont droit. Comme je l’ai rappelé dans le message que j’ai envoyé aux chefs d’État signataires de l’acte final d’Helsinki, “cette liberté concrète se fonde sur la nature même de l’homme dont la caractéristique est d’être libre (n 2)” (…)

Dans ce domaine, l’Église a tracé les principes de son comportement dans la déclaration fondamentale Dignitatis humanae du concile Vatican II et il faut toujours s’y référer pour une véritable et durable paix spirituelle à l’intérieur des nations» ([109])

•A contrario : les § 46 de Centesimus annus et 101 de Veritatis splendor

A côté de textes approuvant la doctrine: conciliaire, on trouve,, chez Jean-Paul II, d’autres textes qui paraissent peu compatibles» avec elle. Celui-ci par exemple qui est tiré de l’encycliqueCentesimus annus (n° 46) et a été repris dans l’encyclique Veritatis splendor (°101)

«S’il n’existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l’action politique, les idées et les convictions peuvent être facilement exploitées au profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire»

Affirmer la nécessité d’une vérité dernière (qui en définitive ne peut être que de nature religieuse) pour guider l’action politique, revient à affirmer la nécessité d’une religion d’État… ce qui est incompatible avec l’article 6 de la déclaration conciliaire.

UNE CERTAINE CONCILIATION AVEC L’HUMANISME LAÏC

La constitution conciliaire Gaudium et spes

Nous avons montré ci-dessus l’ambiguïté qui caractérise l’avant-propos de ce document. Voici le jugement général que porte le cardinal Ratzinger :

Un diagnostic global

«Si l’on cherche un diagnostic global du texte (Gaudium et spes), on pourrait dire qu’il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions dans le monde), une révision du Syllabus de Pie XI, une sorte de contre-syllabus (…)».

Le rôle du Syllabus

«(Le Syllabus) a tracé une ligne de séparation devant les forces déterminantes du XlXè siècle : les conceptions scientifiques et politiques du libéralisme. Dans la controverse moderniste, cette double frontière a été encore une fois renforcée et fortifiée».

Précision donnée en note :

«Rappelons qu’on appelle “Syllabus” un ensemble de déclarations où Pie IX avait pris position sur les problèmes spirituels et politiques entraînés à son époque par la sécularisation. Dans la lutte de Pie X contre le modernisme, la ligne du Syllabus sera reprise et poussée plus loin» ([110]).

Évolution des rapports entre l’Église et le monde après saint Pie X

«Depuis lors, sans doute, bien des choses s’étaient modifiées. La nouvelle politique ecclésiastique de Pie XI avait instauré une certaine ouverture à l’égard de la conception libérale de l’État. L’exégèse et l’histoire de l’Église, dans un combat silencieux mais persévérant, avaient adopté de plus en plus les postulats de la science libérale et, d’un autre côté, le libéralisme s’était vu dans la nécessité, au cours des grands retournements du XXe siècle, d’accepter des corrections notables.

C’est pourquoi, d’abord en Europe centrale, l’attachement unilatéral, conditionné par la situation, aux positions prises par l’Église, à l’initiative de Pie IX et de Pie X, contre la nouvelle période de l’histoire ouverte par la Révolution française, avait été dans une large mesure corrigé via facti; mais une détermination fondamentale nouvelle des rapports avec le monde tel qu’il se présentait depuis 1789 manquait encore…».

Le rôle du contre-syllabus «Gaudium et spes»

«Contentons-nous ici de constater que le texte (Gaudium et spes) joue le rôle d’un contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde tel qu’il était devenu depuis 1789 (…). Cette vue seule permet de comprendre le sens de cet étrange vis-à-vis de l’Église et du monde : par monde, on entend, au fond, l’esprit des temps modernes, en face duquel la conscience de groupe dans l’Église se ressentait comme un sujet séparé qui, après une guerre tantôt chaude et tantôt froide, recherchait le dialogue et la coopération» ([111]).

Résumons :

  1. Le Syllabus de Pie IX constituait, contre le libéralisme issu de la Révolution de 1789, une barrière qui fut renforcée par saint Pie X.
  2. Par la suite, l’Église fut souvent conduite à tolérer, dans sa pratique politique, le libéralisme et l’État libéral, mais sans changer la «détermination fondamentale» de ses rapports avec le monde libéral.

c)Le contre-syllabus Gaudium et spes constitue une détermination fondamentale nouvelle des rapports entre l’Église et «le monde tel qu’il était devenu depuis 1789» : l’objectif étant la réconciliation officielle de l’Église avec ce monde, avec l’esprit des temps modernes.

Ainsi, au Syllabus de 1864 correspond le contre-syllabus de 1964.

A la doctrine du Syllabus correspond la doctrine du contre-syllabus.

Avec la constitution pastorale Gaudium et spes, nous sommes bien en présence d’un texte en opposition (plus ou moins nette) avec la doctrine traditionnelle

• Le discours de Paul VI du 7 décembre 1965 (veille de la clôture du Concile)

«L’Église du Concile s’est aussi beaucoup occupée de l’homme, de l’homme tel qu’en réalité il se présente à notre époque: l’homme vivant, l’homme tout entier occupé de soi, l’homme qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé? Un choc, une lutte, un anathème? Cela pouvait arriver; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes l’a envahi tout entier. La découverte des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre se fait plus grand) a absorbé l’attention de notre Synode.

Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme» ([112]).

Ainsi, emporté par sa «sympathie sans borne envers les hommes», le Concile représentant la religion du Dieu qui s’est fait homme aurait cessé de lutter contre la religion de l’homme qui se fait Dieu. La charité pour l’homme dans l’erreur se traduirait aujourd’hui par l’arrêt du combat contre l’erreur… Entre les religions catholique et maçonnique, il n’y aurait plus de choc, plus de lutte, plus d’anathème de l’une à l’autre!

Stupéfiante déclaration. Elle définissait une ligne de conduite qui n’a été que trop suivie et que vient tristement illustrer l’acceptation par le cardinal Decourtray, en 1991, d’un prix offert par la loge maçonnique juive des B’naï Brith ([113]).

LES DROITS DE L’HOMME

La question des droits de l’homme a déjà été évoquée dans les paragraphes précédents sur la liberté religieuse (pour toutes les religions) : dans «l’optique» libérale, celle-ci, en effet, est considérée comme un droit de l’homme et même l’un des plus importants.

Nous abordons maintenant la question sur un mode plus général.

• Des droits «si contraires à la religion et à la société»

La conception libérale des droits de l’homme, de ceux que Jean Madiran appelle DHSD ([114]),«Droits de l’homme sans Dieu» s’exprime, entre autres documents, dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et dans la déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU. Elle est d’origine maçonnique ([115]). Elle a été condamnée à plusieurs reprises par l’Église, le texte le plus célèbre étant celui du pape Pie VI dans l’encyclique Adeo nota du 23 avril 1791 :

«Les dix-sept articles sur les droits de l’homme (publiés par l’assemblée du Comtat venaissin) ne sont qu’une répétition fidèle de la déclaration faite par l’Assemblée nationale de France de ces mêmes droits si contraires à la religion et à la société».

• L’ouverture de Jean XXIII

L’encyclique Pacem in terris (11 avril 1963) marque un changement dans l’enseignement du magistère sur les droits de l’homme. Le pape y faisait l’éloge de la Déclaration des droits de l’ONU de 1948, signalait cependant que «certains points de cette Déclaration ont soulevé des objections et fait l’objet de réserves justifiées» mais n’indiquait pas en quoi consistaient objections et réserves.

• La double attitude de Jean-Paul II

Jean-Paul II a fait l’éloge de la déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU de 1948 et de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 (texte manifestant le même libéralisme que le précédent). Dans ses discours à l’ONU du 2 octobre 1979 et du 5 octobre 1995, par exemple, parlant de la déclaration des droits de 1948, il disait :

«Ce document est une pierre milliaire sur le chemin long et difficile de la race humaine» ([116])

«Les atteintes barbares portées à la dignité humaine conduisirent l’Organisation des Nations Unies à formuler, trois ans à peine après sa fondation, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme,qui demeure l’une des expressions les plus hautes de la conscience humaine en notre temps» ([117]).

Et, de temps à autre, il affirmera le caractère illusoire de ces mêmes droits qui sont séparés des droits de Dieu :

«Les droits de l’homme n’ont de vigueur, en vérité, que là où sont respectés les droits imprescriptibles de Dieu, et l’engagement à l’égard des premiers est illusoire, inefficace et peu durable s’ils se réalisent en marge ou au mépris des seconds» ([118]).

UNE CONCEPTION DIALECTIQUE DE L’ETAT

Les textes précédemment cités se rapportaient à diverses formes de pénétration du libéralisme dans l’enseignement du magistère. Nous abordons maintenant un point de doctrine où le libéralisme est moins directement en cause, mais où il s’agit toujours de pénétration d’idées libérales au sens large du terme.

• La théorie de la séparation des pouvoirs

On connaît la théorie de la séparation des pouvoirs attribuée à Montesquieu. Pour éviter le despotisme, Montesquieu imagine un État idéal divisé «en trois catégories d’organes séparés, constitués par des hommes distincts, de telle sorte que les diverses parties de l’autorité ne soient pas réunies dans les mêmes mains» ([119]).

«Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir», écrit-il (L’esprit des lois, XI, IV).

Ces trois pouvoirs séparés, s’équilibrant les uns les autres, sont appelés législatif, exécutif et judiciaire.

La théorie de la séparation des pouvoirs est inscrite dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (article 16) ([120]). Elle appartient au patrimoine du système libéral (au sens large du terme).

• La séparation des pouvoirs dans l’encyclique Centesimus annus (1er mai 1991)

L’idée de la séparation des pouvoirs (mais non l’expression consacrée) figure au § 44 de l’encyclique :

«Léon XIII n’ignorait pas qu’il faut une saine théorie de l’État pour assurer le développement normal des activités humaines, des activités spirituelles et matérielles, indispensables les unes et les autres. A ce sujet, dans un passage de Rerum novarum, il expose l’organisation de la société en trois pouvoirs -législatif, exécutif et judiciaire – et cela représentait alors une nouveauté dans l’enseignement de l’Église. Cette structure reflète une conception réaliste de la nature sociale de l’homme qui requiert une législation adaptée pour protéger la liberté de tous. Dans cette perspective, il est préférable que tout pouvoir soit équilibré par d’autres pouvoirs et par d’autres compétences qui le maintiennent dans de justes limites. C’est là le principe de l'”Etat de droit”, dans lequel la souveraineté appartient à la loi et non pas aux volontés arbitraires des hommes».

• Commentaire

a) Léon XIII, dans Rerum novarum parle des fonctions classiques de l’État mais n’expose pas l’organisation de la société en trois pouvoirs :

«A tout prix, il faut des hommes qui gouvernent, qui fassent des lois, qui rendent la justice, qui, enfin, par leurs conseils ou par voie d’autorité administrent les affaires de la paix et les choses de la guerre».

b) Approuver la séparation des pouvoirs est effectivement une «nouveauté dans l’enseignement de l’Église», nouveauté introduite par Jean-Paul II et non par Léon XIII.

c) On ne voit pas comment concilier cette nouveauté avec la doctrine traditionnelle sur l’État.

Si l’État doit être, selon la formule de Pie XII «l’unité organique et organisatrice d’un vrai peuple»([121]), si le premier des caractères de l’Etat, c’est l’unité ([122]), on ne voit pas comment celle-ci pourrait être maintenue si l’Etat est divisé en trois pouvoirs autonomes s’équilibrant les uns les autres… selon une conception plus dialectique qu’organique.

14. COMMENT SONT PERÇUS LES CHANGEMENTS DOCTRINAUX EN MATIÈRE DE DOCTRINE SOCIALE

Les personnalités catholiques qui ont porté un jugement sur l’évolution et les transformations de la doctrine sociale adoptent en général l’une des trois attitudes suivantes :

  • constater la pénétration de nouvelles (et fausses) doctrines au sein de la vraie et la déplorer;
  • constater cette même pénétration et s’en réjouir (parce que les nouvelles doctrines sont considérées comme bonnes);
  • affirmer qu’il n’y a pas changement de la doctrine sociale mais simple développement de celle-ci, dans la continuité.

Voici quelques témoignages à ce sujet.

CEUX QUI CONSTATENT LA PÉNÉTRATION DE DOCTRINES NOUVELLES ET LA DÉPLORENT

Père Joseph de Sainte Marie sur la liberté religieuse

«Pris tels qu’ils sont, les textes concernant “la liberté religieuse” tombent immédiatement sous le coup des condamnations portées contre le libéralisme par tous les papes précédents, jusqu’à Jean XXIII exclusivement»

«Le concile Vatican II échappe-t-il à l’accusation de libéralisme?», Courrier de Rome, n° 162 (octobre 1976)

Mgr Lefebvre sur la liberté religieuse

«(…) Vingt ans ont passé; il est possible de voir maintenant que nos craintes n’étaient pas exagérées quand ce texte fut promulgué sous forme d’une déclaration rassemblant des notions opposées à la Tradition et à l’enseignement des tout derniers papes. Tant il est vrai que des principes faux ou exprimés d’une manière ambiguë ont immanquablement des applications pratiques révélatrices de l’erreur qui a été commise en les adoptant»

Lettre ouverte aux catholiques perplexes, p. 103 (1984)

Jean Madiran sur les droits de l’homme

«II ne devrait demeurer aucune “ambiguïté” sur les maçonniques déclarations des droits de 1789 et de 1948. A côté de quelques bons et vrais droits connus et reconnus depuis toujours, leur nouveauté caractéristique, leur dessein essentiel est de proclamer comme fondamental un droit inédit, celui de ne reconnaître ni subir aucune autorité qui n ‘émane expressément de la volonté populaire par le suffrage univesel. C’est évidemment l’autorité spirituelle de l’Église qui est spécialement visée, qui est moralement détruite par ce droit nouveau. Et pourtant, la doctrine sociale catholique a décidé de ne plus entendre ce qui lui est ainsi corné aux oreilles. Elle n’a plus rien à dire contre. Elle vante les modernes “formulations des droits” comme si elle ne contestait plus ce qui est leur coeur et leur âme, la négation radicale des autorités ecclésiastiques (et aussi des autorités naturelles comme celle de l’homme sur la femme dans le mariage, et des parents sur les enfants) qui ne sont pas fondées sur le vote démocratique, légitimité nouvelle, et désormais unique. Depuis la mort de Pie XII il y a ainsi une acceptation implicite du refus maçonnique de toutes les autorités qui n’émanent pas expressément. C’est une des formes de l'”autodestruction”».

«Une nouvelle dynastie», Itinéraires n°304 (juin 1986)

Abbé Claude Barthe sur la liberté religieuse

«Le projet devenait plus nettement libéral et sous-entendait que l’autorité politique est par nature laïque et incompétente en matière de religion : la reconnaissance civile spéciale accordée à l’Église n’était plus donnée comme étant la règle, la thèse, mais pouvait éventuellement résulter de «circonstances particulières» (Dignitatis humanae, numéro 6). Tout ce qu’avaient pu dire sur ce sujet, en un sens diamétralement opposé, Léon XIII, Pie XI, Pie XII, était tenu pour non avenu. On avait changé de planète»

Trouvera-t-il encore la foi sur la terre?, p. 133 (1996)

CEUX QUI CONSTATENT LA PÉNÉTRATION DES DOCTRINES NOUVELLES ET S’EN RÉJOUISSENT

Hans Kung sur la liberté religieuse

«Lefebvre a tout à fait le droit de remettre en cause la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, parce que – sans donner d’explication – Vatican II a complètement renversé la position de Vatican I» ([123])

Commission mixte catholico-luthérienne sur la liberté religieuse

«Parmi les idées du concile Vatican II, où l’on peut voir un accueil des requêtes de Luther, se trouvent par exemple :… – l’engagement en faveur du droit de la personne à la liberté en matière de religion» ([124])

R.P. Congar sur la liberté religieuse

«On ne peut nier qu’un tel texte (la déclaration Dignitatis humanae) ne dise matériellement autre chose que le Syllabus de 1864 et même à peu près le contraire des propositions 15, 77 et 79 de ce document» ([125])

CEUX QUI AFFIRMENT LA CONTINUITE DE LA DOCTRINE SOCIALE

Dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), § 3, Jean-Paul II se donnait l’objectif suivant :

«Dans la ligne tracée par mes vénérés prédécesseurs sur le siège de Pierre, réaffirmer la continuité de la doctrine sociale de l’Église en même temps que son renouvellement continuel». Et il poursuit : «En effet, continuité et renouvellement apportent une confirmation de la valeur constante de l’enseignement de l’Église. Ces deux qualités caractérisent son enseignement en matière sociale. D’un côté, cet enseignement est constant parce que identique dans son inspiration de base, dans ses “principes de réflexion”, dans ses “critères de jugement”, dans ses “directives d’action” fondamentales, et surtout dans son lien essentiel avec l’Évangile du Seigneur; d’un autre côté, il est toujours nouveau parce que sujet aux adaptations nécessaires et opportunes entraînées par les changements des conditions historiques et par la succession ininterrompue des événements qui font la trame de la vie des hommes et de la société» ([126])

Le cardinal Ratzinger, dans son livre Entretien sur la foi (p.29) affirme la même continuité pour les textes conciliaires :

«Vatican II se situe en étroite continuité par rapport aux deux conciles précédents et les reprend littéralement sur certains points» ([127]).

Les auteurs de traités sur la doctrine sociale de l’Église ou de livres abordant tel ou tel point de cette doctrine adoptent fréquemment la même thèse :

Jean Daujat

Son livre L’ordre social chrétien (1970) ne fait état d’aucune discontinuité. En matière de liberté religieuse en particulier, il soutien la compatibilité entre le concile Vatican II et l’enseignement des papes du XIXème siècle.

Marcel Clément

Quand, dans son livre La doctrine sociale de l’Église 1891-1991, il résume dix encycliques allant de Rerum novarum (1891) à Centesimus annus (1991), on sent que, pour lui, la continuité ne fait pas de doute.

Jean-Luc Chabot

Maître de conférences en science politique à l’université de Grenoble, Jean-Luc Chabot est l’auteur d’un livre de la collection «Que sais-je?» intitulé La doctrine sociale de l’Église (1992). Montrant la nécessaire adaptation des textes pontificaux pour qu’ils puissent apporter une réponse aux problèmes sociaux du moment, il écrit (p.23) : «C’est ainsi que peut aisément se comprendre la chaîne historique des encycliques sur la question sociale : Quadragesimo anno (1931), Octogesima adveniens (1971), Laborem exercens (1981) ou Centesimus annus (1991) sont des mises à jour de Rerum novarum (1891)».

Qui dit «chaîne historique» dit continuité.

Michel Schooyans, professeur à l’université de Louvain la Neuve.

Le chapitre «Un enseignement dynamique» de son livre Droits de l’homme et technocratie (1982) voit une continuité, de Léon XIII à Paul VI, en matière de doctrine sur les droits de l’homme.

COMMENTAIRE

Les deux premières attitudes sont cohérentes parce qu’elles respectent les faits.

La troisième attitude, chez des hommes comme J. Daujat, M.Clément, J.L. Chabot, M. Schooyans participe d’un tour d’esprit assez répandu aujourd’hui et qui consiste à fermer les yeux sur certains aspects de la crise dans l’Église. Tour d’esprit traduisant une bonne intention mais dangereux : en ignorant la pénétration de fausses doctrines au sein de la vraie, ne vient-on pas faciliter une telle pénétration? Quel bien peut-on espérer d’un refus de voir une partie de la réalité?

Sans doute, comme l’explique Jean-Paul II dans le texte cité ci-dessus, est-il nécessaire que la doctrine sociale s’adapte, se renouvelle pour tenir compte de circonstances nouvelles. Mais est-il légitime qu’elle le fasse «au détriment de ses principes immuables et permanents» ([128])?

Or bien des renouvellements récents de la doctrine sociale se présentent non comme des adaptations respectant les principes mais comme des changements profonds supposant des concessions sur les principes.

Le magistère a-t-il réellement fait des concessions de principes? A-t-il adopté les principes du libéralisme? Oui dans certains textes, non dans d’autres (moins nombreux) où les vrais principes sont rappelés et ceux du libéralisme condamnés. On pourrait ainsi soutenir qu’en certains domaines, on trouve, dans les enseignements de Jean-Paul II, deux doctrines sociales.

D’où un désordre doctrinal incontestable. Est-il possible de le nier? Est-il possible de faire silence à son sujet quand on traite de doctrine sociale?

IVème PARTIE : COMMENT FAIRE FACE AUX CARENCES ACTUELLES DE L’AUTORITÉ ?

«Les fautes de mes ministres ne diminuent
en rien le respect qu’on leur doit rendre»
Le dialogue de sainte Catherine de Sienne ([129])
«De nos jours (…), c’est très fréquemment que des actes venant
du Saint-Siège exigent de nous prudence et discernement»
Père Joseph de sainte Marie ([130])
«Le fond du problème est le suivant : comment
rester d’Église alors que sa hiérarchie, par une
mystérieuse permission divine, est aussi dramatiquement
défaillante? Son infaillibilité n’est nullement en cause,
ni non plus les promesses du Christ l’assurant que
“les portes de l’Enfer ne prévaudraient pas contre elle”.
Mais cette promesse n’exclut nullement des temps de ténèbres»
Père Joseph de sainte Marie, lettre n°4, 24 avril 1974

15. QUATRE TENTATIONS

Dans l’état actuel de l’Église (et comme l’ont montré les exemples de la troisième partie), les actes du Saint-Siège en matière de doctrine sociale exigent, de la part des laïcs, «prudence et discernement» ([131]).

Se trouvant ainsi dans une situation particulièrement difficile, les laïcs peuvent être tentés de résoudre les questions doctrinales qui se posent à eux en cédant plus ou moins à l’une des tentations suivantes :

LE FIDÉISME

Il s’agit de ce que Louis Salleron appelle le «nouveau fîdéisme» :

«On ne veut plus exercer son intelligence : on “croit”. Le fidéisme de naguère, c’était de croire en Dieu, en Jésus-Christ, aux vérités révélées, sans souci des motifs de crédibilité ou en les tenant pour dérisoires, voire inexistants. Le nouveau fidéisme, c’est de croire à Rome, au Pape, au Saint-Siège, sans autre souci, quant à ce qui en émane, que d’en justifier la forme et le fond. Roma locuta est, causa finita. Le “fondamentalisme” passe des textes de l’Écriture Sainte à ceux du Vatican» ([132]).

En considérant ainsi comme indiscutables et également valables tous les textes pontificaux en matière de doctrine sociale, on se trouve vite en porte-à-faux avec la doctrine traditionnelle, on risque de tomber dans l’erreur et l’incohérence.

LA CONCILIATION A TOUT PRIX

Beaucoup de personnes refusent d’admettre qu’il puisse y avoir opposition entre ce que le magistère enseigne aujourd’hui et ce qu’il enseignait hier et veulent, à tout prix, concilier ces deux enseignements. D’où des efforts pour concilier les inconciliables, pour faire croire par exemple à la compatibilité entre la doctrine traditionnelle sur la liberté religieuse et celle du concile Vatican II. Efforts souvent émouvants par les intentions qu’ils manifestent mais qui finissent par tout embrouiller et s’achèvent dans l’incohérence.

Il faut bien voir qu’une telle attitude est souvent légitime dans ses débuts : s’il faut être plus disposé, selon le conseil de saint Ignace, à justifier une proposition obscure du prochain qu’à la condamner ([133]), a fortiori faut-il se comporter ainsi quand il s’agit d’une proposition du Saint-Siège. L’attitude devient déraisonnable quand la conciliation (entre la proposition nouvelle et la doctrine traditionnelle) est recherchée à tout prix, en sacrifiant la logique et le sens des mots.

LE RECOURS A LA SEULE TRADITION

Sous prétexte qu’il contient des erreurs, on en vient à écarter complètement l’enseignement en matière sociale du Magistère vivant et à se contenter de l’enseignement traditionnel donné par les papes jusqu’à Pie XII. Attitude typiquement protestante puisqu’elle conduit à considérer le Magistère vivant comme inexistant (dans un domaine où son rôle est fondamental).

LE MANQUE DE RESPECT ENVERS LES PERSONNES CONSACREES

A partir du moment où les détenteurs de l’autorité manifestent certaines faiblesses, certaines insuffisances légitimement criticables, on peut être tenté de manquer de respect à leur égard. Faute particulièrement grave quand il s’agit de personnes consacrées (pape, évêques, prêtres).

Dans Le dialogue de sainte Catherine de Sienne – texte reproduisant les paroles de Dieu Lui-même s’adressant à la sainte -la question du respect dû aux personnes consacrées est abordée à plusieurs reprises dans des passages dont voici quelques extraits :

«Si tu me demandes pourquoi le péché de ceux qui persécutent la sainte Église est plus grave que tous les autres, et pour quelle raison les fautes de mes ministres ne diminuent en rien le respect qu’on leur doit rendre, je te répondrai : parce que tout le respect qu’on leur témoigne, ce n’est pas à eux qu’il s’adresse, mais à Mot, par la vertu du Sang dont je leur ai confié la dispensation (…).

Je t’ai dit, ma très chère fille, quelque chose du respect que l’on doit témoigner à mes oints, malgré leurs défauts. Ces marques de révérence qu’on a pour eux ne leur sont pas dues à cause de leur personne, mais à raison de l’autorité qu’ils tiennent de Moi. Leurs défauts ne peuvent en rien affaiblir ou diviser le mystère du Sacrement. Ils ne doivent donc pas diminuer non plus les hommages qu’on leur doit, non pour eux-mêmes encore une fois, mais pour le trésor du Sang dont ils ont la garde (…)

Je t’ai exposé la dignité dont je le ai revêtus, en les choisissant pour en faire mes ministres. A cause de cette autorité et de cette dignité dont je les ai investis, je ne veux pas, pour quelque faute que ce soit, que les séculiers portent la main sur eux. En touchant à mes prêtres, ils m’offensent misérablement.

Je veux, au contraire, qu’ils aient pour eux, tout le respect qui leur est dû, non à cause d’eux, comme je t’ai dit, mais à cause de Moi, à raison de l’autorité que je leur ai donnée.

Ce respect ne doit donc jamais diminuer, alors même que leur vertu serait amoindrie, parce qu’ils sont toujours, de par Moi, les ministres du Soleil, les dispensateurs du corps et du sang de mon Fils et des autres sacrements.

Cette dignité appartient aux mauvais comme aux bons. Tous sont investis des mêmes fonctions…» ([134]).

16. TEXTES DE RÉFÉRENCE

Comment faire face aux carences actuelles de l’autorité sans tomber dans les pièges que nous venons d’évoquer? Sur cette question, nous nous bornerons à proposer, comme base de réflexion, trois textes qui se complètent.

ROLE DES LAÏCS DANS LA DEFENSE DE LA DOCTRINE(dom Guéranger)

Dans son Année liturgique, dom Guéranger donne, à propos de l’hérésie nestorienne, un enseignement pratique de valeur générale:

«Le Jour de Noël 428, l’archevêque de Constantinople Nestorius, profitant du concours immense des fidèles assemblés pour fêter l’enfantement de la Vierge-mère, laissait tomber du haut de la chaire épiscopale cette parole de blasphème : “Marie n’a point enfanté Dieu; son fils n’était qu’un homme, instrument de la divinité”. Un frémissement d’horreur parcourut à ces mots la multitude; interprète de l’indignation générale, le scolastique Eusèbe, simple laïque, se leva du milieu de la foule et protesta contre l’impiété. Bientôt une protestation plus explicite fut rédigée au nom des membres de cette Eglise désolée, et répandue en nombreux exemplaires, déclarant anathème quiconque oserait dire : “Autre est le Fils unique du Père, autre celui de la Vierge Marie”. Attitude généreuse, qui fut alors la sauvegarde de Byzance, et lui valut l’éloge des conciles et des papes!Quand le pasteur se change en loup, c’est au troupeau à se défendre tout d’abord. Régulièrement sans doute la doctrine descend des évêques au peuple fidèle, et les sujets, dans l’ordre de la foi, n’ont point à juger leurs chefs. Mais il est dans le trésor de la Révélation des points essentiels, dont tout chrétien, par le fait même de son titre de chrétien, a la connaissance nécessaire et la garde obligée. Le principe ne change pas, qu’il s’agisse de croyance ou de conduite, de morale ou de dogme. Les trahisons pareilles à celle de Nestorius sont rares dans l’Eglise; mais il peut arriver que des pasteurs restent silencieux, pour une cause ou pour l’autre, en certaines circonstances où la religion même serait engagée. Les vrais fidèles sont les hommes qui puisent dans leur seul baptême, en de telles conjonctures, l’inspiration d’une ligne de conduite; non les pusillanimes qui, sous le prétexte spécieux de la soumission aux pouvoirs établis, attendent pour courir à l’ennemi, ou s’opposer à ses entreprises, un programme qui n’est pas nécessaire et qu’on ne doit point leur donner» ([135]).

LA CRITIQUE EST PERMISE… MAIS A CERTAINES CONDITIONS (Hamish Fraser) ([136])

«Beaucoup de personnes sont incapables de constater la présence d’une forme ou l’autre de désordre sérieux dans l’Église, sans perdre tout sens de la mesure. Comme Calvin et Luther, elles s’empressent d’abandonner la barque de Pierre pour n’importe quelle épave qu’elles peuvent trouver – ainsi font-elles le jeu des néo­modernistes d’aujourd’hui qui, à l’inverse des réformateurs du XVIème siècle, cherchent plutôt à pousser dehors les catholiques traditionnels.

Il est donc important de voir les choses dans une juste perspective. A cette fin il faut être persuadé que les critiques du pape, de la hiérarchie et des institutions ecclésiastiques ne sont acceptables que si les conditions suivantes sont remplies :

1. Quel que soit le degré de corruption qu’ont pu atteindre des hommes d’Eglise ou des institutions ecclésiastiques, même si les institutions destinées au renouveau continuel de l’Église -écoles, séminaires, universités, etc.. – sont transformées en instruments de subversion systématique, même si l’Église devient presque méconnaissable, le fait demeure que : “Hors de l’Église, il n’y a pas de salut” ([137]).

2. Quels que soient les insuffisances ou défauts de tel ou tel pape, malgré l’immoralité personnelle d’un Alexandre VI ou l’anarchie et la subversion qui caractérisèrent les pontificats de Libère, Honorius et Paul VI, le fait demeure qu’à toute époque, le pape est la pierre sur laquelle repose l’Église. Il peut être nécessaire – comme cela le fut même au temps de saint Pierre (cf. épître aux Galates, 2, 11) – de résister à Pierre et de critiquer certaines actions pontificales en les référant au Magistère constant dont on connaît l’infaillibilité; il reste vrai néanmoins qu’en tout temps c’est Pierre qui constitue le principe de l’ordre et de l’unité catholiques. L’ordre et l’unité catholiques ne peuvent donc jamais être restaurés sans Pierre ou contre Pierre.

Si l’on tient compte de ces considérations, il peut alors être licite de critiquer le pape, des évêques, des institutions ecclésiastiques; la chose peut même constituer un devoir inéluctable, à remplir pour son salut personnel et comme contribution, si modeste soit-elle, à la restauration de l’ordre et de l’unité catholiques. Mais, encore une fois, à condition de tenir compte des considérations précédentes. Si l’on n’en tient pas compte, toute critique devient corrosive, intrinsèquement schismatique, anti-catholique» ([138]).

RÈGLES DU DISCERNEMENT A APPLIQUER AUX ACTES DU SAINT-SIÈGE (Père Joseph de sainte Marie) ([139])

Le n° 173 (juillet 77) du Courrier de Rome a publié dans son courrier des lecteurs, une lettre du père Joseph de sainte Marie apportant, dans sa troisième partie, des suggestions sur la vraie manière de faire face aux carences manifestes des détenteurs de l’autorité hiérarchique dans l’Église.

Nous reproduisons ici cette troisième partie (les sous-titres sont de notre rédaction).

• Comment concilier piété filiale à l’égard du pape et liberté des enfants de Dieu?

«La vénération due à celui que Dieu a choisi et marqué de son sceau, consacré par son onction, relève de la vertu d'”observance” ([140]) et en outre de la piété filiale religieuse. Mais ces vertus restent elles-mêmes subordonnées à celles qui dépassent toutes les autres, la foi, l’espérance et la charité, et qui fondent la dignité et la sainte liberté des enfants de Dieu, ou plus exactement l’exercice des devoirs et des droits que ce titre comporte. Le problème que pose la défaillance, partielle sans doute, mais pourtant très grave de l’autorité peut donc être posé en ces termes : comment concilier piété filiale et liberté des enfants de Dieu? ou : comment concilier les devoirs qu’impose la première envers le Vicaire du Christ et les droits et devoirs que comportent, pour tous les baptisés, leur titre de fils de Dieu dans le Christ?

Par une distinction (…) qui se situe au niveau des actes de la personne investie du pouvoir et chargée de l’institution…»

La distinction fondamentale

«La question à se poser sera celle de savoir si les actes du Souverain Pontife sont tels que l’on puisse reconnaître en eux les actes de Pierre, c’est-à-dire des actes exigeant l’assentiment et l’obéissance dus à l’autorité du Vicaire du Christ, et à quel degré cette autorité y est engagée.

Dans le cas de l’infaillibilité, le 1er Concile du Vatican a énuméré les conditions à remplir pour que le Pape puisse l’engager, c’est-à-dire pour qu’il puisse parler et “définir” en vertu du privilège d’infaillibilité dont il jouit personnellement en tant que successeur de Pierre. Ces conditions étant bien précises et les cas où elles sont remplies étant rares et étant manifestés habituellement sur le mode solennel, il n’y aura guère de difficultés à ce sujet.

Mais c’est dans tout le domaine de son magistère ordinaire et dans celui du gouvernement quotidien de l’Église que la question peut se poser. En des temps normaux, cela n’arrive qu’exceptionnellement et les théologiens enseignent l’attitude de réserve permise au moins intérieurement.

Mais de nos jours, et c’est là un des signes les plus manifestes du caractère extraordinairement anormal de la situation actuelle de l’Église, c’est très fréquemment que des actes venant du “Saint-Siège” exigent de nous prudence et discernement. Rappelons que l’expression “Saint-Siège” a un sens canonique et théologique bien précis qui justifie l’emploi que nous en faisons ici. Elle désigne en effet “non seulement le Pontife Romain, mais également les Congrégations, Tribunaux et Offices par lesquels le même Souverain Pontife traite ordinairement les affaires de l’Église universelle” (Code de Droit canonique, canon 7 ep. 246-264). C’est pourquoi les actes de ces organes, surtout lorsqu’ils sont authentiquement approuvés par le Pape, engagent son autorité personnelle de successeur de Pierre».

Principes sur lesquels se fonde le discernement

«Dire les conditions qu’ils doivent remplir pour qu’on y reconnaisse un enseignement et un ordre de Pierre serait refaire toute la théologie dogmatique et morale et tout le droit canon. Il n’est donc pas question d’en tenter même une simple esquisse dans cette mise au point. Mais le principe fondamental est accessible à tous : il faut que ces actes soient conformes à la Tradition et à la doctrine de l’Église ainsi qu’aux règles du droit canon, même quand c’est pour en dispenser, selon le pouvoir que le Pape a de le faire».

Catéchisme et bon sens chrétien suffisent souvent

«S’il est des cas où seuls des théologiens solidement formés peuvent se prononcer – car la théologie, rappelons-le, est une science qui a ses principes et ses normes, et dans laquelle il est imprudent de s’aventurer sans la formation nécessaire, et plus encore sans une humilité et un sens de l’Église à la mesure de la difficulté des questions à étudier – il est, par contre, d’autres cas, et ils sont nombreux, où la connaissance du catéchisme et le bon sens chrétien suffisent…»

Un exemple ([141])

«Lorsque, dans une “déclaration commune” avec le primat de l’Église schismatique anglicane, le Pape joint sa voix à celle du docteur Coggan pour exhorter les catholiques en ces termes : “C’est Notre désir que l’on cherche les moyens de la collaboration (dans l’oeuvre de l’évangélisation)” (Osservatore Romano du 30 avril 1977), il y a là un désordre profond qu’on ne peut pas ne pas dénoncer :

– premièrement parce que le primat de l’Église anglicane n’est pas en communion avec le pape, non seulement parce qu’il refuse de reconnaître son primat et son infaillibilité, mais encore et en premier lieu parce qu’il n’est ni évêque ni même prêtre (les ordinations de l’Église anglicane étant invalides);

-deuxièmement parce qu’il est contradictoire de demander la collaboration dans l’annonce de la foi à des croyants qui ne partagent pas la même foi, comme la déclaration le reconnaît un peu plus loin;

  • troisièmement parce que tout ce texte est marqué du signe de l’équivoque, l’instrument par excellence de la destruction de la foi et de l’Église depuis près de vingt ans;
  • quatrièmement parce que cette déclaration s’inscrit dans un contexte et dans une stratégie de plus en plus visible tendant à une espèce de syncrétisme où l’Église catholique ne serait plus qu’une “dénomination chrétienne” parmi les autres ([142]) (et sur ce plan, la tournée du docteur Coggan, passant par Rome et Constantinople pour se terminer au “Conseil oecuménique des Églises” à Genève, est plus qu’un signe : un véritable symbole, surtout quand on sait les liens étroits de l’Église anglicane avec la Maçonnerie” ([143]).

Les promesses du Christ nous assurent que cette entreprise n’aboutira pas. Mais en attendant, que de mal fait par ces confusions et par l’indifférentisme auquel elles conduisent inévitablement! Et si l’Église du Christ bâtie sur la pierre inamovible ne peut être détruite, par quelles purifications lui faudra-t-il passer et par quels abaissements pour sortir de cette confusion?

(Cet exemple) illustre le principe donné plus haut : dans le respect dû à la personne du Pape, il faut distinguer entre ses paroles et ses actes où l’on reconnaît la voix du successeur de Pierre et ceux où l’on ne reconnaît que les options personnelles d’un Pontife agissant au nom de principes et en fonction d’une pastorale – ou d’un politique – qui sont en désaccord manifeste avec ceux de la tradition de l’Église et plus particulièrement avec celle du Saint-Siège».

Dénoncer les failles et maintenir le respect et la vénération

«Manifester ces désaccords pour éclairer la conscience chrétienne est la tâche du publiciste catholique, tâche délicate, ô combien! car il faut en même temps dénoncer les failles manifestes et évidentes de celui qui siège sur le trône de Pierre et maintenir le respect et la vénération filiales dus à sa personne sacrée.

Plus encore que celle de l’écrivain, la dénonciation de ces failles est la tâche des évêques, et très spécialement celle des cardinaux. Car pour eux, en tant que membres éminents du clergé romain et que conseillers attitrés du Pape, c’est à lui-même qu’ils doivent s’adresser pour lui signifier leur désaccord. Mais, hélas! la dégradation de l’institution cardinalice et la démission de fait d’un très grand nombre de ses membres ne constituent pas l’un des moindres maux dont souffre aujourd’hui l’Église.

Temps difficiles que les nôtres, certes, mais rien n’est de nature à ébranler notre foi, car tout ce qui nous arrive est écrit dans l’Évangile. C’est plus que jamais le temps, non seulement de garder la foi, mais d’abord de “raison garder”. La prière et surtout la prière pour le Pape, ultime espoir de l’Église contre les menées de la subversion, reste le premier, le principal moyen à employer pour y parvenir. Le sang-froid et le bon sens y aideront aussi puissamment.

Mais ne risquons-nous pas de nous trouver en opposition à Dieu en attaquant celui qui est son Vicaire ici-bas? Évitons tout ce qui, en actes ou en paroles, pourrait contribuer à affaiblir davantage encore l’autorité pontificale. Si tel ou tel des actes du Saint-Siège n’est pas ou ne semble pas conforme à la vérité ou au droit de l’Église, disons-le franchement, dans les termes et avec la prudence qui conviennent : une institution comme la papauté n’a rien à craindre de la manifestation de la vérité. Mais n’agissons pas dans un mépris implicite ou explicite de ces actes et de leur auteur, l’on augmenterait le trouble des fidèles, les divisions dans l’Église et l’ébranlement de l’autorité apostolique, sans parler du mal que l’on se ferait à soi-même, car cette pierre-là, qui s’y frotte s’y brise».

17. EN PRATIQUE, COMMENT Y VOIR CLAIR?

En présence du désordre doctrinal évoqué ci-dessus, que peut faire le simple laïc qui cherche à connaître la doctrine sociale dans son intégrité, en écartant les altérations éventuelles?

Il semble que puissent être proposés ici une règle et des critères de discernement.

UNE RÈGLE

C’est celle qui fut exposée dans le texte cité ci-dessus du père Joseph de sainte Marie :

«De nos jours, et c’est là un des signes les plus manifestes du caractère extraordinairement anormal de la situation actuelle de l’Église, c’est très fréquemment que des actes venant du “Saint Siège” exigent de nous prudence et discernement».

DES CRITÈRES DE DISCERNEMENT

Le père Joseph de sainte Marie en citait deux : le catéchisme et le bon sens chrétien.

Ajoutons-y la référence au magistère constant, autrement dit à l’enseignement traditionnel, à ce qui a été cru toujours, partout et par tous suivant la formule classique de saint Vincent de Lérins ([144]).

Comment pourrait-il être illégitime de référer à la certitude du magistère constant des enseignements récents du magistère non couverts par l’infaillibilité? N’est-ce pas une règle de bon sens que de référer le moins certain à ce qui est parfaitement certain?

Dans un texte souvent cité, Jean-Paul II a d’ailleurs demandé que ce critère de référence (le magistère constant) soit appliqué aux textes du concile Vatican II : s’adressant au Consistoire (assemblée des cardinaux) le 5 novembre 1979, parlant de ce qu’il appelait la «doctrine intégrale du Concile», il précisait : «”Doctrine intégrale”, c’est-à-dire doctrine comprise à la lumière de la sainte Tradition et référée au magistère constant de l’Église elle-même» ([145]).

En appliquant la règle et les critères de discernement qui viennent d’être indiqués, on reste sur un terrain solide.

CONCLUSION

Rappelons quelques-unes des caractéristiques de la doctrine sociale de l’Église qui viennent d’être évoquées :

Une doctrine importante et obligatoire

  • importante sur le plan personnel : «Nul ne peut s’en écarter sans danger pour la foi et l’ordre moral» (Pie XII);
  • importante sur le plan politique : «La force des sociétés est dans la reconnaissance pleine et entière de la royauté sociale de Notre Seigneur et dans l’acceptation sans réserve de la suprématie doctrinale de son Église» (saint Pie X).

Une doctrine stable et certaine

«Elle est fixée définitivement et sans équivoque dans ses points fondamentaux» (Pie XII)

Une doctrine parfaitement claire

Elle est «claire en tous ses aspects», disait Pie XII; ce qui était vrai de son temps; ce qui l’est encore aujourd’hui à condition que soient éliminées les altérations récentes.

Une doctrine ignorée du plus grand nombre des fidèles

• Que faudrait-il entreprendre pour que la doctrine sociale de l’Église soit plus largement connue et mieux comprise?

Les premiers efforts devraient porter, semble-t-il, principalement sur trois points :

effort de clarification de la doctrine dans tous les domaines qui ont besoin d’être clarifiés, du fait des altérations récentes.

Il s’agit surtout d’éliminer les pénétrations du tour d’esprit libéral; chose relativement facile, une fois bien compris ce qu’est le libéralisme.

effort d’enseignement de la doctrine, en la présentant de façon simple, avec des brochures de type scolaire (au bon sens du terme)… pour ne pas retomber dans l’échec pédagogique dont parlait Jean Madiran. Peut-être faudrait-il reprendre l’idée d’un catéchisme de doctrine sociale exposant les rudiments de celle-ci ([146]).

effort de plus grande fidélité aux principes de l’ordre social chrétien qui constituent l’armature de la doctrine sociale; principes vrais opposés aux principes faux de l’ordre social libéral et révolutionnaire.

On sait que «La Révolution se fait faire des concessions de principe et ne renonce jamais à aucun des siens» ([147]). C’est en refusant toute concession de principes qu’on peut le mieux la combattre.

• Pourquoi attacher de l’importance à la fidélité à des principes qui ne sont pas appliqués, qui ne sont guère applicables dans l’état actuel de nos sociétés et qui, à vue humaine, ne le seront pas davantage demain?

Dans une telle question se glissent deux erreurs :

-S’ils ne sont pas applicables hic et nunc au niveau politique suprême, les principes de l’ordre social chrétien le restent dans des domaines plus restreints : à l’échelle de la famille, de l’école, de l’entreprise, des divers corps intermédiaires, des municipalités, des organismes régionaux où il nous reste des possibilités d’action.

-Par ailleurs, la machine révolutionnaire – c’est une de ses caractéristiques – ne se contente jamais d’imposer sa loi; elle exige de ceux qu’elle veut assujettir qu’ils y adhèrent par l’esprit. Si quelques-uns d’entre eux restent fidèles aux principes d’un ordre qui n’est pas le sien, c’est pour elle un échec.

Restons donc fidèles à nos principes, même s’ils paraissent loin de toute réalisation.

• La fidélité suppose la connaissance; la connaissance suppose l’étude; étude facile, passionnante… et qu’il faut entreprendre de toute urgence (si ce n’est chose déjà faite) pendant que nous en avons encore le loisir.


  1. Sur la double inspiration – marxiste et maçonnique – de la «doctrine sociale» des socialistes, voici deux témoignages : – «Représentant, par l’origine de ses adhérents, des couches sociales auxquelles il fait appel, il (le parti socialiste) réalise la synthèse des courants de pensée qui font la richesse et la force du socialisme. S’il n’obéit à aucun dogme et se garde de toute doctrine officielle, l’apport théorique principal qui l’inspire est et reste marxiste» (François Mitterrand, in L’identité du Parti socialiste, brochure rééditée par le PS p 8) – Montrant que le P.S. est «profondément imprégné d’esprit maçonnique». Le Monde du 13 août 1981 expliquait que cette imprégnation résultait : «d’une influence intellectuelle et morale qui a façonné les mentalités jusqu’à créer une sorte d’osmose au point qu’on ne saurait dire aujourd’hui avec précision lequel, du Parti socialiste ou du grand-Orient de France, a investi l’autre». Pour les influences maçonniques s’exerçant sur le gouvernement Jospin (juin 1997) voir 1 article «Genèse et caractéristiques d’un gouvernement» du n°132 de l’A.F.S.
  2. 2, avenue Agassiz, 1001 Lausanne, Suisse.
  3. Études et enquêtes, n°12, décembre 1991, p.3; ce numéro est intitulé «Le retour de la doctrine sociale de l’Église».
  4. ) Etude publiée initialement dans le n°162 (octobre 1976) du courrier de Rome et reproduit dans les n°315 (juillet-août 1987) et VIII (hiver 1991-1992) d’Itinéraires. Les passages essentiels de cette étude ont été reproduits dans la brochure AFS (31 rue Rennequin 75017 Paris) : La liberté religieuse, trente ans après Vatican II.
  5. Jean Madiran, «Une nouvelle dynastie». Itinéraires n° 304 (juin 1986).
  6. Pie XII, discours pour le cinquantième anniversaire de l’encyclique Rerum novarum, 1er juin 1941. Souligné par nous.
  7. La théorie séparant l’économie de la morale porte le nom de libéralisme économique; elle a été condamnée par l’Église à de multiples reprises (cf. : dans l’encyclique Centesimus annus, 1er mai 1991).
  8. Question reprise ci-dessous au chapitre 10.
  9. Pie XI, 12 mai 1936 (souligné par nous).
  10. Pie XII, discours pour le cinquantième anniversaire de l’encyclique Rerum novarumv (souligné par nous).
  11. Pie XII, allocution aux cardinaux et évêques, 2 novembre 1954 (souligné par nous).
  12. Pie XII, allocution aux membres de l’Action catholique italienne, 29 avril 1945. (8) Jean XXIII, encycliqueMater et Magistra, 15 mai 1968.
  13. Jean XXIII, encyclique Mater et Magistra, 15 mai 1968
  14. Jean-Paul II, encyclique, Centesimus annus, 1er mai 1991.
  15. Le fond du modernisme se définit ainsi : «que l’âme religieuse ne tire d’aucune autre source que d’elle-même l’objet et le motif de sa propre foi» (cf. R. Amerio, Iota Unum, p.42). Sur le modernisme, voir la brochure A.F.S. de François Desjars Le modernisme, hier et aujourd’hui. Cf note 4).
  16. Sur le modernisme moral, juridique et social, voir la lettre Notre charge Apostolique de S. Pie X (25 août 1910) et l’annexe sur la Démocratie Chrétienne de la brochure A.F.S. Connaissance élémentaire de la démocratie.
  17. Pie XI, encyclique Ubi arcano, 23 décembre 1922.
  18. Cf. la brochure A.F.S. Connaissance élémentaire du protestantisme.
  19. . Éditions du Cerf, 1979
  20. Cf. l’analyse de ce livre dans le n° 29 de l’A.F.S
  21. Jean Madiran, Itinéraires n° VII (automne 1991), p.134-135.
  22. Jean Madiran, ibid, p. 140.
  23. Qu’il suffise ici de citer ce texte de Pie XI (encycl. Quadragesimo anno du 15 mai 1931) : «Les catholiques ne peuvent en aucune façon adhérer aux théories des socialistes, malgré l’apparence de leur position plus modérée. Car, en enfermant l’ordre social dans les horizons temporels, ils ne lui assignent d’autre objectif que le bien-être terrestre; de plus, faisant de la production des biens matériels la fin de la société, ils limitent indûment la liberté humaine; il leur manque enfin une vraie conception de l’autorité dans la société».
  24. On appelle ainsi l’ensemble des problèmes que soulève le sort et le statut des ouvriers dans les sociétés industrielles de l’ère moderne.
  25. Marcel Clément, La doctrine sociale de l’Église 1891-1991, Introduction, p.9.
  26. Sur Jean Ousset, voir l’article «In memoriam – Jean Ousset» dans le n°113 de l’A.F.S.
  27. Pie XII, 29 avril 1945; texte déjà cité.
  28. ) Sur le Sillon, ancêtre de la démocratie chrétienne, voir la brochure AFS Connaissance élémentaire de la démocratie, annexe I. Sur le modernisme, voir ci- dessus.
  29. Pierre Audren, Histoire des prêtres ouvriers, p. 179 (Nouvelles éditions latines).
  30. Résidence Victoria, 78-82 Bd. d’Angleterre, 85000 La Roche-sur-Yon
  31. Sur cette question, voir : – le livre de Romano Amerio Iota unum (Nouvelles éditions latines), – le livre de Claude Barthe Trouvera-t-il encore la foi sur la terre9 (édit FX de Guibert), – les brochures A.F.S. Vatican II, rupture ou continuité et La Liberté religieuse trente ans après Vatican IL En vente à l’A.F.S. 31, rue Rennequin 75017 Paris
  32. Dans les livres récents traitant de doctrine sociale, l’hypothèse de la continuité des textes du magistère s’y rapportant est néanmoins souvent admise (voir ci-dessous, p. 84). C’est là une hypothèse incompatible avec les faits.
  33. Pie XII, message radiophonique du 1er juin 1941 pour le cinquantième anniversaire de l’encyclique Rerum novarum. Texte déjà cité partiellement ci-dessus. Souligné par nous.
  34. Pie XII, allocution aux membres du Congrès international des études humanistes, 25 septembre 1949. Commentaire de Jean Madiran sur ce texte : «Pie XII peut parfaitement dire, comme il l’a souvent fait : “La loi naturelle est le fondement de la doctrine sociale catholique”. Elle est “le” fondement. Point c’est tout. Point à la ligne. Mais non pas point final. La doctrine sociale du Christ-Roi ne vient pas abolir; elle vient accomplir, la doctrine sociale de la loi naturelle» (Quand il y a une éclipse, p.26).
  35. Jolivet, vocabulaire de philosophie, p.119.
  36. Chanoine Vancourt, article du n°166 de Permanences.
  37. Jean Madiran, Court précis de la loi naturelle selon la doctrine chrétienne, p.7 (éditions Difralivre). En vente à l’A.F.S., 31 rue Rennequin 75017 Paris.
  38. Dans ce texte, l’expression «droit naturel» a le même sens que loi naturelle.
  39. Pie XI, encyclique Mit brennender Sorge, 14 mars 1937.
  40. Mgr Guerry, La doctrine sociale de l’Église, p. 14. Le concile cité ici est le premier concile du Vatican.
  41. Cf. Jean Ousset, Pour qu’il règne, p.339 à 347.
  42. Jean Madiran, op.cit., p.ll.
  43. «Schéma d’étude sur la doctrine sociale de l’Eglise, dossier 1», CEDEPSE, 1 rue Louis Codet – 75007-Paris.
  44. Voir à ce sujet la troisième partie du catéchisme du concile de Trente, intitulé «Du décalogue».
  45. Jean Madiran, op. cit., p. 11.
  46. M.B. Institutes du droit naturel privé et public et du droit des gens, tome I p.6 (Paris, 1876).
  47. Action française mensuelle, 1er février 1908.
  48. La démocratie religieuse, p.481 (Nouvelles éditions latines).
  49. Cardinal Pie, Oeuvres, v. 333.
  50. Pie XI, encyclique Quas primas.
  51. Voir le résumé de cette doctrine au chapitre 9 ci-dessous.
  52. Voir ci-dessous, conclusions de la deuxième partie.
  53. Cf. le document du CEDEPSE déjà cité, p.3 et 4.
  54. Jean Daujat, L’ordre social chrétien, p.7.
  55. Dans le livre de Michel Creuzet, Les corps intermédiaires, voir l’annexe intitulée «L’Église, modèle de toute vie sociale».
  56. A titre d’exemple, voir le livre de Jean-Claude Didelot, Clérocratie dans l’Église de France (édit. Fayard) et l’article de François Desjars à son sujet dans le n° 99 de l’A.F.S.
  57. Pie XII, 17 octobre 1953.
  58. La collection complète des oeuvres de Pie XII – 1 volume par année – est disponible en librairie; elle est éditée par les éditions St Augustin, à Saint Maurice, Valais, Suisse.
  59. Marcel Clément, L’économie sociale selon Pie XII, t.1, p.21.
  60. Matth. XVIII, 18.
  61. Saint Pie X, 22 octobre 1913
  62. Saint Pie X, Lettre à l’abbé Debout, 8 mai 1906.
  63. Cardinal Pie, Œuvres, T. VII, p. Cité dans le livre de Jean Ousset, Pour qu’Il règne. La première partie de ce livre, intitulée « Le Christ-roi » constitue un magnifique développement sur la doctrine exposée ici.
  64. Cardinal Pie, Oeuvres, V, p. 166.
  65. Cardinal Pie, Oeuvres, V. 333; texte déjà cité
  66. En fait, la situation aujourd’hui est pire puisque sont accordées à de multiples erreurs morales, sociales et politiques, des droits et des facilités d’expression qui sont refusées aux vérités correspondantes.
  67. Cf. la brochure A.F.S. La liberté religieuse, trente ans après Vatican II et le polycopié A.F.S. Laïcité cléricalisme, eux erreurs symétriques ; bulletin de commande en dernière page.
  68. Cf. la brochure A.F.S. Vers une nouvelle religion, la laïcité, bulletin de commande en dernière page.
  69. Cité dans E. Barbier, Histoire du catholicisme libéral et social, t.IV, p.39. Souligné par nous. Voir aussi Pour qu’il règne, p.504.
  70. «… le droit de façonner la société civile»… Remarquons que l’objectif ainsi défini : façonner la société civile de telle façon qu’elle soit conforme au droit social chrétien doit être réalisé selon les règles de la prudence politique. C’est ici qu’intervient la juste notion de tolérance qui tient compte du fait que la répression d’un mal n’est jamais une obligation absolue et qu’on peut y renoncer en vue d’un bien plus grand. Les points essentiels de la doctrine sur la tolérance peuvent être ainsi résumés: «Premièrement : ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence, ni à la propagande, ni à l’action.Deuxièmement : le fait de ne pas l’empêcher par le moyen de lois d’État et de dispositions coercitives peut néanmoins se justifier dans l’intérêt d’un bien supérieur et plus vaste» (Pie XII, 6 décembre 1953).
  71. Voir à ce sujet la brochure A.F.S. Politique et religion.
  72. Commentaire sur les sentences, dist. 44
  73. Pie XII, 13 septembre 1952.
  74. Pie XI, encyclique Quas primas.
  75. Pie XII, 20 février 1946.
  76. Texte cité plus complètement ci-dessous p.76
  77. Texte cité ci-dessous, p.61
  78. Texte cité plus complètement ci-dessous, p. 75
  79. Voir ci-dessus, chapitre 7.
  80. En revanche, ces textes étaient souvent mal traduits; d’où des problèmes liés à la traduction.
  81. La «juste règle de sa conscience» traduit le latin «rectam conscientiae suae normam».
  82. Voir à ce sujet la brochure A.F.S. La liberté religieuse, trente ans après Vatican II et l’étude du père Joseph de sainte Marie Le concile Vatican II échappe-t-il à l’accusation de libéralisme?
  83. R.P. Calmel o.p., Brève apologie pour l’Église de toujours, p.35-36 (édit. Difralivre). Certains passages de la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse constituent l’une de ces exceptions. Voir ci-dessous, chapitre 13
  84. Le concile en question, p.63 (éditions D.M.M.). «Nota praevia» : note explicative préalable relative au troisième chapitre de la Constitution dogmatique de l’Eglise (Lumen Gentium) du concile Vatican II.
  85. De Bazuin : 48 (1965), n. 16, 23 janvier 1965, Cité par Raymond Dulac, La collégialité épiscopale au deuxième concile du Vatican (diffusion D.M.M.). En vente à l’A. F. S. 31, rue Rennequin 75017 Paris mèl : a ;[email protected]
  86. Voir à ce sujet les jugements du cardinal Ratzinger et du père Joseph de sainte Marie, p.74 et 72 ci-dessous.
  87. Cité par R. Amerio, Iota unum, p. 17.
  88. Cf. la proposition 80 du Syllabus (qui est – comme toutes les autres propositions de ce document – une proposition condamnée) : «LXXX. – Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et faire un compromis avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne (supra, 230)». Sur cette question, voir le texte du cardinal Ratzinger, ci-dessous p. 74.
  89. Réflexion du Conseil «Justice et Paix» des diocèses d’Algérie, publiée dans la Documentation catholique, n° 1849 (3 avril 1983).
  90. Sur le modernisme, voir l’encyclique Pascendi de saint Pie X et la brochure de François Desjars Le modernisme, hier et aujourd’hui. En vente à l’A.F.S. [email protected] .
  91. Bossuet, lettre au pasteur Diroys (1682); cité dans le n° 279 d’Itinéraires, p.87.
  92. R.P. Joseph de sainte Marie, L’Eucharistie, salut du monde, p.447. St Vincent de Lérins est connu comme défenseur de l’immutabilité du dogme par sa formule souvent citée : «II faut veiller à tenir ce qui a été cru partout, toujours et par tous». Ce principe de «continuité substantielle» de la doctrine a été récemment explicité à nouveau par Mgr Tarcisio Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans un article publié en italien dans l’Osservatore Romano du 20 décembre 1996 et en français dans laDocumentation catholique n°2153 du 2 février 1997.
  93. Cf. page 12 ci-dessus.
  94. Cf. cette remarque de Bossuet : «Ces hérétiques cachaient leur venin sous des paroles ambiguës» (Histoire universelle, I, 11; cité par Le Robert).
  95. Osservatore Romano du 30 avril 1977.
  96. Courrier de Rome n° 173 (juillet 1977); texte cité plus complètement ci-dessous, chapitre 16 règles du discernement.
  97. Voir à ce sujet la note sur la socialisation parue dans la revue Itinéraires.
  98. Ce type de raisonnement est adopté par les théologiens de la libération. Cf. cette déclaration des théologiens brésiliens Clodovis et Leonardo Boff parue dans leur article «Le cri de pauvreté à partir de la foi»,bulletin DIAL n° 931 (26 avril 1983) : «Ici nous devons parler clairement : la TDL (Théologie de la libération) a toujours entendu utiliser le marxisme comme une médiation, comme un outil intellectuel, comme un instrument d’analyse sociale. Voilà le statut épistémologique du marxisme dans la TDL. De la sorte le marxisme a eu, pour ce qu’il pouvait, certaines de ses catégories intégrées au discours de la foi, et non pas le contraire. Ici c’est la théologie, et non pas le marxisme, qui est dans la position de l’objectif théorique. Certes le marxisme est dangereux, mais il n’en apparaît pas moins utile, utile en particulier pour la compréhension de la réalité sociale, surtout pour ce qui est de la pauvreté et de son dépassement. Mais ce n’est pas parce qu’un outil est dangereux qu’il cesse d’être utilisé surtout quand c’en est un et que nous n’en voyons pas d’autre meilleur». (Cf. la brochure A.F.S. La théologie de la libération)
  99. Paul VI, 21 novembre 1964.
  100. Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, p.423.
  101. Cardinal Ratzinger, ibid, p.424.
  102. Cardinal Ratzinger, ibid, p.424.
  103. Danièle Masson, réponse à l’enquête d’Itinéraires sur l’encyclique Centesimus annus. Itinéraires n° VII (automne 1991), p.72.
  104. En vente à l’A.F.S., bulletin de commande en dernière page.
  105. Il vaudrait mieux traduire «avec un respect religieux». Voir à ce sujet les observations de Claude Barthe dans son livre Trouvera-t-il encore la foi sur terre?, p. 129 (Édit. F.X. de Guibert).
  106. Étude reproduite dans les numéros 315 (juillet-août 1987) et VIII (hiver 1991-1992) de la revue Itinéraires.
  107. Sur cette question de la liberté religieuse, voir la brochure A.F.S. La liberté religieuse, trente ans après Vatican II.
  108. Jean-Paul II, allocution aux évêques de l’Inde en visite «ad limina», 23 juin 1979. AAS du 30 septembre 1979.
  109. Jean-Paul II, discours aux cardinaux, 22 décembre 1980. A.A.S N°2 de 1981.
  110. Le Syllabus, qui accompagnait l’encyclique Quanta Cura du pape Pie IX (8 décembre 1864), se définit lui-même comme «recueil renfermant les principales erreurs de notre temps qui sont signalées dans les allocutions consistoriales, les encycliques et les autres lettres apostoliques de notre saint père le pape Pie IX». Voici, dans l’ordre, les principaux sujets traités : Panthéisme – Naturalisme -Rationalisme – Indifférentisme – Socialisme – Communisme – Sociétés secrètes -Erreurs sur la société civile considérée soit en elle-même soit dans ses rapports avec l’Église – Erreurs sur la morale – Erreurs sur le mariage chrétien – Erreurs sur le principat civil du pontife romain – Erreurs qui se rapportent au libéralisme contemporain. Il s’agit donc d’un texte essentiellement doctrinal.
  111. Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, p.426-427. Les sous-titres sont de notre rédaction.
  112. Traduction française publiée par YUfficio Stampa, revue sur le texte italien publié par l’Osservatore Romanodu 8 décembre 1965. Reproduit d’après le livre Paul VI – Prendre parti pour l’homme, textes réunis et présentés par Gérard Defois, édit. Le Centurion.
  113. Cf. ce communiqué de l’AFP du 18 novembre 1991 : «Le cardinal Albert Decourtray, archevêque de Lyon et primat des Gaules, a reçu ce week-end le prix de l’action humanitaire de l’association juive B’naï Brith (Les fils de l’alliance) pour son action en faveur des relations inter-religieuses». Sur les B’naï Brith, voir le livre d’Emmanuel Ratier Mystères et secrets des B’naï Brith.
  114. Cf. Jean Madiran, Les droits de l’homme DHSD, édit. de Présent, en vente à l’A.F.S., on peut l’y commander.
  115. Cf. la brochure A.F.S., Connaissance élémentaire de la franc-maçonnerie, p.22-23. commande par mèl : [email protected]
  116. Jean-Paul II, discours à l’ONU du 2 octobre 1979; cf. Documentation catholique n°1772 et A.A.S., 15 octobre 1979.
  117. Jean-Paul II, discours à l’ONU du 5 octobre 1995, cf. Documentation catholique n° 2125.
  118. Jean-Paul II : Lettre aux évêques du Brésil, 10 décembre 1980. Cf. Documentation catholique du 15 février 1981, p.152.
  119. Marcel de la Bigne de Villeneuve, Lettre aux constituants, p.70.
  120. «Art. 16e – Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution».
  121. # Cf. cette remarque de Pie XII dans son allocution au tribunal de la Rote, 2 octobre 1945 : «Il est incontestable qu’une des exigences vitales de toute communauté humaine, et partant également de l’Église et de l’État, consiste à assurer d’une façon durable l’unité dans la diversité de ses membres».
  122. Pie XII, radio-message au monde entier, 24 décembre 1944.
  123. Extrait d’une interview de Hans Kung publiée dans le journal américain National Catholic Reporter du 21 octobre 1977; cité par Michael Davies, dans sa brochure Archbishop Lefebvre and religious liberty.
  124. Déclaration reproduite dans La Documentation catholique du 3 juillet 1983 page 696 et citée par Mgr Lefebvre dans Lettre ouverte aux catholiques perplexes, p. 10.
  125. R.P. Congar, La crise dans l’Église et Mgr Lefebvre, page 50, cité dans La Pensé catholique, n°169.
  126. Sur le même sujet, voir Centesimus annus, § 3.
  127. Dans un texte rédigé en 1975 et publié dans son livre Les principes de la théologie catholique, le cardinal Ratzinger défendait une thèse différente en présentant comme un «contre-syllabus» trois des principaux textes du concile Vatican II. Voir ci-dessus, p. 74.
  128. Cf. le texte de Pie XII (29 avril 1945) cité p. 17 ci-dessus.
  129. Texte cité plus complètement ci-dessous, cf. : manque de respect envers les personnes consacrées.
  130. Texte cité plus complètement ci-dessous, règles du discernement à appliquer…
  131. Expression reprise de l’article du père Joseph de sainte Marie, cité ci-dessous, règles du discernement à appliquer….
  132. Louis Salleron, La nouvelle messe, 2ème édition, p.225.
  133. Saint Ignace de Loyola Exercices spirituels, «supposition préalable».
  134. Le dialogue de sainte Catherine de Sienne, tome second, chap. VII, IX et XI, éditions Téqui, en vente à l’A.F.S.,. Souligné par nous.
  135. Dom Guéranger Année liturgique, fête de saint Cyrille d’Alexandrie (6 février). Dom Guéranger (1805-1875) restaura l’ordre bénédictin en France après la Révolution et fonda l’abbaye de Solesmes.
  136. Hamish Fraser est mort en 1986; il a été pendant vingt ans le directeur de la revue britannique Approaches, qui joua, dans le monde anglophone, un rôle analogue à celui de la revue Itinéraires (revue à laquelle a succédé la revue A propos, éditée par A.S. Fraser. St Expedit, 29 Crown Drive, Inverness, I V 2 3 Q Q, Grande Bretagne).
  137. Sur le sens précis de cette formule, voir la lettre de la Sacrée Congrégation du Saint Office à l’évêque de Boston, 8 août 1949. On en trouvera le texte dans le n°57 de l’A.F.S. et dans la brochure A.F.S. Connaissance élémentaire du Renouveau charismatique.
  138. Hamish Fraser, «Conditions à satisfaire pour que la critique soit permise», article du n° 68 (Carême 1980) de la revue Approaches.
  139. Religieux carme, mort en 1985, le père Joseph de sainte Marie fut l’un des grands théologiens de la fin du XXème siècle. Auteur d’ouvrages sur la messe qu’on a pu considérer comme une somme théologique sur le sujet. Apôtre de Notre-Dame de Fatima. Fut l’ami et le conseiller de l’A.F.S.
  140. L’observance dont il est question ici est l’une des vertus morales qui accompagnent la vertu de justice. Elle a pour objet de rendre aux supérieurs aux personnes constituées en dignité l’honneur, le respect, les services l’obéissance qui leur sont dus.
  141. Exemple datant de l’année 1977.
  142. Voir dans la brochure A.F.S. Connaissance élémentaire du protestantisme le chapitre «L’oecuménisme, levier de la protestantisation de l’Église». Bulletin de commande en dernière page.
  143. Sur ce point, voir la brochure A.F.S. Connaissance élémentaire de la franc-maçonnerie, p.29..
  144. Formule rappelée récemment par Mgr Tarcisio Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi (Documentation catholique, n°2153 du 2 février 1997, p.110).
  145. Formule rappelée récemment par Mgr Tarcisio Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi (Documentation catholique, n°2153 du 2 février 1997, p.110).
  146. Voici la version originale en latin de ce texte : «In “intégra” videlicet doctrina quatenus intellegitur sub sanctae Traditionis lumine et quatenus ad constans Ecclesiae ipsius magisterium refertur» (Discours du 5 novembre 1979, n°6; in AAS 71. 1979, 1452).
  147. Cf. Jean Madiran, Itinéraires n°VII, automne 1991, p. 134, épilogue de l’enquête sur l’encycliqueCentesimus annus.
  148. René Bazin, notice biographique sur le père de Clorivière, p.38 (in Études sur la Révolution, de cet auteur, éd. Ste Jeanne d’Arc).

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