Les Eglises chrétiennes de Papouasie dénoncent la présence croissante des groupes islamistes dans leur région

Les Eglises chrétiennes de Papouasie dénoncent la présence croissante des groupes islamistes dans leur région

Le 15 mai dernier, les responsables des Eglises chrétiennes de Papouasie, province située à l’extrémité orientale de l’archipel indonésien, ont défilé pacifiquement en compagnie d’un millier de fidèles dans les rues de Jayapura, la capitale provinciale. Dans cette province dont 83 % des 3,5 millions d’habitants sont … chrétiens, la Guilde des Eglises (chrétiennes) papoues tenait ainsi à manifester son inquiétude face à l’activisme croissant d’organisations islamistes dans leur région.

L’évêque catholique de Jayapura, Mgr Leo Laba Ladjar, figurait en tête du cortège, aux côtés de différents responsables d’Eglises protestantes. « La présence des groupes [islamistes] radicaux en Papouasie est potentiellement conflictuelle », a affirmé l’évêque, demandant aux autorités nationales de dissoudre des organisations telles que le FPI (Front Pembela Islam ou Front des défenseurs de l’islam) ou le HTI (Hizbut Tahrir Indonesia ou Parti de la Libération). Le FPI est connu pour faire le coup de poing contre tous ceux dont il estime l’attitude contraire à l’islam ; il a été à la manœuvre à Djakarta durant ces derniers mois pour animer la campagne qui a abouti à la condamnation pour « blasphème » du gouverneur de la capitale indonésienne, rodrigo-duterte-800x450 Basuki Tjahaja Purnama, dit ‘Ahok’, chrétien d’origine chinoise.  Le HTI est la branche indonésienne d’un mouvement issu originellement des Frères musulmans qui milite à travers le monde pour le retour du « califat ».

Infiltration de la région par le FPI et le HTI

A ce jour, les deux provinces de la Papouasie et de la Papouasie occidentale, qui constituait jusqu’en 2003 l’Irian-Jaya, ne sont pas le théâtre de violences notables à caractère religieux. Cet immense territoire de l’extrémité Est du pays est en revanche en proie à des tensions récurrentes et souvent violentes entre les forces de l’ordre, qui jouissent dans ces deux provinces de pouvoirs d’exception, et les militants de la cause papoue, qui revendiquent sinon l’indépendance du moins une plus grande autonomie et la prise en compte de leurs particularismes.

Au plan national, si le FPI a les coudées franches pour agir à sa guise et ne voit que rarement ses agissements sanctionnés par l’Etat, le HTI est dans le collimateur des autorités. Le 8 mai dernier, le gouvernement a annoncé le déclenchement d’un processus judiciaire visant à interdire ce mouvement qui, au nom de la charia et du rétablissement du califat, rejette ouvertement la démocratie élective, inscrite depuis 1945 dans la Constitution de l’Indonésie.

En Papouasie, les deux mouvements tentent de prendre pied depuis plusieurs années. Présent en Indonésie depuis les années 1980, le HTI a cherché à pénétrer en Papouasie à la faveur de la chute du régime Suharto, en 1998. De la même manière, le FPI a cherché ces dernières années à gagner en influence au-delà de ses bases d’origine à Java-Ouest pour tenter de s’implanter à Bornéo et en Papouasie. Dans cette dernière province, les manœuvres d’infiltration de ces deux mouvements ont été favorisées par l’essor des populations musulmanes à la faveur des politiques de transmigration des provinces densément peuplées vers celles peu peuplées.

En Papouasie, pour 3,5 millions d’habitants, on compte 65 % de chrétiens protestants et 18 % de catholiques, et la part des musulmans est passée ces dix dernières années de 11 à 15 %. Dans la province voisine de Papouasie-Occidentale, sur 880 000 habitants, on compte désormais 61 % de chrétiens et 38 % de musulmans.

« Prévenir avant qu’il ne soit trop tard »

Selon Mgr Ladjar, si les organisations islamistes présentes en Papouasie n’ont pas encore fait parler d’elles, « nous voulons que les gens soient conscients de leur présence avant qu’il ne soit trop tard ». L’évêque s’inquiète notamment de l’action de Ja’far Umar Thalib, le fondateur et ancien dirigeant des Laskar Jihad, cette milice islamiste qui s’est tristement illustrée aux Moluques lorsque cette province voisine de la Papouasie a été le théâtre de sanglants affrontements entre chrétiens et musulmans entre 1999 et 2002. En 2016, des membres des Laskar Jihad avaient frôlé l’affrontement avec des chrétiens papous à Muara Tami, un district situé à une cinquantaine à l’est de Jayapura.

Pour John Baransano, de l’Eglise évangélique réformée papoue, si Jayapura est à cinq heures et demie d’avion de Djakarta, cet éloignement ne doit pas laisser penser aux Papous que ce qui se passe dans la capitale est sans incidence pour leur province. Citant la condamnation pour « blasphème » du gouverneur Ahok et son emprisonnement subséquent, il estime que le gouverneur de Djakarta « est une victime directe des tensions communautaires et religieuses orchestrées par les groupes [islamiques] radicaux ».

Au sein des milieux chrétiens et papous, l’appel à la vigilance des responsables des Eglises chrétiennes face aux agissements des organisations islamistes n’a pas été compris par tous. Parmi les militants de la cause papoue, certains auraient préféré voir les chefs des Eglises dénoncer les violences, très réelles, commises par les forces de l’ordre contre les Papous plutôt que le danger à venir représenté par ces formations islamistes. Engagé pour la défense des droits des Papous, le P. John Djonga estime ainsi que les responsables chrétiens devraient davantage soutenir cette cause. « Pourquoi les Eglises et l’évêque ne manifestent-ils pas lorsque des Papous sont assassinés ou tombent sous les balles des forces armées ? », interpelle aussi Frederika Korain, elle aussi engagée dans la cause papoue.

A ces critiques, Mgr Ladjar répond que l’Eglise « ne s’est jamais montré silencieuse sur ces sujets, même si elle a choisi pour cela de ne pas descendre dans la rue ». Une affirmation corroborée par des membres de la Commission nationale pour les droits de l’homme, une instance officielle mais indépendante du gouvernement indonésien. « Dans les années 1990, les violations des droits de l’homme en Papouasie ont été connues grâce au travail du diocèse de Jayapura », souligne un membre de la Commission.

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