“Convertie sur Internet… je me suis retrouvée en enfer”

INTERVIEW – C’est le récit d’un long cauchemar. Aujourd’hui âgée de 19ans, cette fille de militaire du Sud-Ouest raconte comment elle a plongé dans l’islam radical. Un témoignage bouleversant.

Elle a accepté de témoigner à condition que son anonymat soit préservé, de taire le nom de la ville du Sud-Ouest où elle réside. La peur est encore là, tapie quelque part. Avec le risque de représailles. “On l’a vraiment sortie d’une mort certaine”, murmure le père de cette belle jeune femme de 19ans. Lui aussi souhaite rester dans l’ombre. Durant plus de deux ans, sur ses temps de repos, ce militaire a bataillé avec les institutions, convaincu d’être non pas face à une simple conversion mais face à une dérive sectaire.

“Le mécanisme d’endoctrinement est le même que celui utilisé par les sectes : une phase de séduction puis de déconstruction pour amener à la rupture”, confirme Catherine Picard, présidente de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi). Les jeunes adolescentes sont des proies faciles.“L’imaginaire de ces jeunes femmes se nourrit de l’idée qu’un homme capable de mourir pour ses convictions est forcément sincère et fidèle”, explique le sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’Ehess* évoquant un “néoromantisme mortifère”.

Comment vous êtes-vous sortie du radicalisme?
Je le dois à mes parents. C’est ma mère qui est venue me chercher et m’a ramenée chez elle. J’étais mariée depuis sixmois, enceinte et complètement détruite. On m’avait dit que la femme est une reine dans l’islam, que c’est une perle, raison pour laquelle il est aussi important de la préserver. Je n’ai rien compris de ce qui m’arrivait. J’étais si soumise et conditionnée que je n’avais même pas les ressources pour m’en sortir. J’étais en train de me laisser mourir.

Comment vous êtes-vous convertie à l’islam?
Un soir, toute seule dans ma chambre, j’ai prononcé la chahada, la profession de foi. J’avais 16ans, j’avais des amis musulmans. J’étais simplement en quête de spiritualité. Je voulais croire en quelque chose. Et l’islam était très accessible. Si j’avais été baptisée par mes parents, je ne me sentais pas pour autant proche du catholicisme. Du fait de son organisation pyramidale avec, au sommet de la hiérarchie, le pape, il y avait trop d’intermédiaires jusqu’à Dieu. Je me suis radicalisée en quelques semaines sur Internet. Je voulais mieux connaître l’islam, apprendre, échanger aussi. J’ai commencé à rejoindre des groupes sur Facebook. Dès lors, des tas de personnes que vous ne connaissez pas vous ajoutent en “amie”. Vous avez le sentiment d’être accueillie. Et puis il y a une telle cohésion de groupe. C’est comme une famille. En fait, vous entrez dans un cercle vicieux ; ça vous appelle tout le temps.

«Je recevais aussi chaque jour des rappels islamiques sur le mur de mon profil ou dans ma boîte mail»

C’est-à-dire?
Sur Internet, les prédicateurs ont des recettes pour tous les compartiments de la vie. Cela va de la manière dont on doit boire un verre d’eau jusqu’à la vie sexuelle. Ils vous donnent des instructions dans les moindres détails. Mais ce n’est jamais de manière autoritaire. Ils visent le cœur. Et puis, ils ont un ton. Une force de conviction. On comprend tout de suite qu’ils savent où ils vont. Et on a juste envie de les suivre! Je recevais aussi chaque jour des rappels islamiques sur le mur de mon profil ou dans ma boîte mail, des photos de femmes voilées, des vidéos montrant des musulmans se faire massacrer en Syrie et en Palestine, des enfants enterrés vivants… On ne peut pas rester insensible à de telles atrocités.

Avez-vous pensé partir en Syrie ou en Irak?
J’étais prête à partir en mission humanitaire au Mali. Je n’avais vraiment que de bonnes intentions et aucune conscience des risques. Je pensais même me marier une fois sur place, comme on me l’avait conseillé. La radicalité est d’une banalité absolue. Toutes les jeunes filles pensent que cela se passe dans la vie comme sur Internet. Dans les communautés de sœurs, sur Facebook encore, certaines parlent de leur vie rêvée d’épouse. C’est comme un roman! Moi, j’y croyais. Le jour de mes 17ans, je suis allée me convertir à la mosquée parce que, sur Internet, on m’avait dit que c’était indispensable. Là, on m’a donné un prénom musulman. C’est un peu comme si vous aviez une nouvelle identité. Que vous deveniez quelqu’un d’autre.

«Quand vous commencez à porter le jilbeb, c’est un peu comme une deuxième peau, voire une cuirasse : vous vous sentez à l’abri»

Et vos parents à vous, comment ont-ils réagi?
Ils étaient catastrophés. Ils ont saisi la justice, qui n’a rien compris de la situation. Les assistantes sociales ont prétendu que mes ­parents me couvaient trop. Le juge a décrété qu’il fallait me laisser vivre ma vie. Impossible de leur faire comprendre que ce n’était pas une simple conversion mais de l’endoctrinement. J’avais changé du jour au lendemain. Je voulais abandonner ma formation en alternance pour suivre des études coraniques. Alors que je travaillais dans un métier de la beauté, je ne prenais plus soin de moi : je ne me maquillais plus, je n’épilais plus mes sourcils. Je m’habillais avec des robes longues informes à manches longues et des collants opaques. Le reste du temps, je portais le jilbeb [vêtement long avec capuchon]. Il m’arrivait même parfois d’enfiler des gants pour sortir. Cela peut paraître insensé mais quand vous commencez à porter le jilbeb, c’est un peu comme une deuxième peau, voire une cuirasse : vous vous sentez à l’abri.

Et à la maison?
Je restais enfermée dans ma chambre. Je ne disais rien de ce que je faisais. Je ne caressais plus notre chien et ne le laissais plus approcher pour ne pas avoir à laver mes mains ou mes vêtements sept fois. Il m’est même arrivé de lui donner des coups de pied pour le repousser. Je me suis coupée de tout le monde, de mes amies qui se maquillaient et sortaient le soir. J’en étais arrivée à considérer qu’elles n’étaient pas saines. Je refusais de participer aux repas de famille. Je répétais que je ne me sentais plus française, que j’allais quitter ce pays de mécréants. Ma mère a fini par tomber en dépression. J’étais devenue une étrangère. Un jour, je lui ai dit : “Quand ce sera la guerre, je te recouvrirai d’un voile pour qu’ils ne te tuent pas!” On ne dit pas assez à quel point c’est dur pour les familles qui assistent impuissantes à la radicalisation de leurs enfants. Je réalise aujourd’hui à quel point mes parents ont souffert, d’autant qu’il y a deuxans, il n’existait encore aucune structure pour leur venir en aide. Ils étaient seuls. Mon père s’est beaucoup battu, notamment pour la création d’une association qui lutterait contre les dérives de l’islam radical. Je lui dois beaucoup. Mes parents ne m’ont jamais abandonnée. Sans eux, je ne sais pas comment j’aurais pu m’en sortir.

«C’est une copine qui a rédigé ma petite annonce pour trouver un mari sur Internet»

Vous avez le sentiment que vous aviez perdu tout esprit critique?
C’est ça, le pire : on a des certitudes mais en fait on n’y connaît rien. Tout ce qu’on sait, on l’a appris sur Facebook ou Youtube… Même les musulmans qui se radicalisent sur Internet. Comme la copine qui m’avait montré comment faire la prière. Elle me donnait beaucoup de conseils que je suivais sans me poser de questions. C’est elle qui a rédigé ma petite annonce pour trouver un mari sur Internet : “Jeune sœur convertie, 17ans, souhaite se marier avec un homme suivant la sunna.” Je l’avais postée sur Facebook dans des groupes de rencontres pour mariage halal. J’avais fini par intégrer qu’une femme ne peut rien faire sans un homme. Je voulais à tout prix me marier et avoir cinqenfants pour remplir mon rôle vis-à-vis de Dieu. J’en étais même venue à penser que la polygamie pouvait présenter certains avantages ainsi que l’expliquaient des Françaises parties en Égypte ou au Yémen et avec qui j’étais en contact sur Facebook.

Dans votre annonce, vous indiquiez être mineure. Vous avez été tout de même contactée par des hommes?
Une femme m’a répondu qu’elle connaissait un frère qui pourrait être intéressé. C’est elle qui nous a mis en contact. Il avait 27ans. Sur sa photo de profil, il avait le drapeau noir du djihad. Il voulait partir en Arabie saoudite ou au Yémen. Ma mère est tombée sur notre conversation. Elle en était malade! Du coup, cela a tourné court. Et puis un autre prétendant est arrivé.

«Il avait vingtans de plus que moi et parlait à peine français mais je voulais absolument me marier avec lui»

Comment l’avez-vous rencontré?
Il allait à la mosquée. Il a commencé par me suivre à la sortie de la prière jusque chez moi. Il est venu me donner son numéro de téléphone. Il restait des heures dans sa voiture sous mes fenêtres à écouter des chants islamiques, le volume à fond. Il avait vingtans de plus que moi et parlait à peine français mais je voulais absolument me marier avec lui! Ma mère, qui était très mal à cause de moi, avait été hospitalisée. Il a été la voir sur son lit d’hôpital pour la convaincre de me donner l’autorisation de l’épouser car j’étais encore mineure. Il a fini par laisser tomber. J’ai su récemment que mon père avait mené sa petite enquête et qu’il avait flairé une escroquerie au titre de séjour. Il a dû lui faire comprendre qu’il ne lui laisserait pas faire un “mariage gris” avec sa fille.

Vous avez quand même fini par vous marier à 18 ans…
Trouver un mari, ce n’est pas compliqué. La priorité, c’est qu’il suive la sunna, qu’il fasse ses prières, qu’il porte des qamis et la barbe, que ses cheveux ne soient pas coupés comme ceux des mécréants, qu’il ne parle pas aux femmes. Très peu de temps après, une copine m’a parlé d’un homme en me le présentant comme quelqu’un de bien parce qu’il avait refusé de travailler pour vendre de l’alcool. La semaine suivante, je le rencontrais chez l’oncle de mon amie parce que ce n’est pas convenable de se voir seuls tant qu’on n’est pas mariés. On a passé moins d’une heure ensemble.

«J’étais tellement soumise que j’avais l’impression que c’était normal.»

Et cela ne vous a pas paru complètement fou?
Je n’étais pas consciente de l’aberration de la situation. J’étais tellement soumise que j’avais l’impression que c’était normal. Et puis il avait l’air tellement gentil! Je ne me doutais pas que c’était une arnaque. Voilà comment, quelques jours après mes 18ans, je me suis mariée avec un homme que je ne connaissais pas. Le jour de notre mariage, je suis restée chez une copine avec les femmes. Les hommes étaient chez lui.

Vous n’avez donc pas assisté à votre propre mariage?
Pas au mariage religieux ; trois mois plus tard, nous nous sommes mariés à la mairie selon sa volonté. Dans l’islam, la femme peut être représentée par son père. Et quand son père est un mécréant, elle peut être représentée par un “tuteur”. Mon futur mari m’en avait choisi un, un Africain que je ne connaissais pas. Je ne saurais même pas le reconnaître si je le recroisais. Ils m’ont fait venir au studio de mon futur mari. Il m’a parlé dans la salle de bains pour que je lui donne mon accord, et ensuite ils m’ont fait partir. Je devais revenir le soir même une fois qu’il n’y aurait plus d’autres hommes que mon mari.

«Il m’a laissée continuer à travailler de manière à ce que je puisse lui donner de l’argent pour faire la da’wa, l’appel à l’islam.»

Comment cela s’est-il passé?
Je voulais la vie extrême. Je suis entrée en enfer. Dans un studio crasseux avec un homme qui faisait ses ablutions mais ne se lavait pas au savon, ne se brossait les dents qu’avec un siwak. Je devais m’excuser à chaque fois que je lui adressais la parole. Je ne pouvais même pas faire un clin d’œil ou tirer la langue, il me disait que c’était le shetan et que je brûlerai en enfer. Il me rabaissait tout le temps. Il m’arrivait d’aller au coin ou de dormir au pied du lit. Je n’avais pas le droit de sortir sans sa permission, y compris en cas d’urgence. Même pour acheter du pain avec mes sous, je devais avoir son autorisation! Lorsqu’il me donnait un ordre, je devais m’exécuter immédiatement sans réfléchir. En revanche, il m’a laissée continuer à travailler de manière à ce que je puisse lui donner de l’argent pour faire la da’wa, l’appel à l’islam. En tant que militant religieux du mouvement Tabligh en France, il lui arrivait de partir en mission pendant plusieurs jours pour propager le message d’Allah.

Et vous n’avez pas eu envie de partir?
Après une semaine de mariage, je voulais déjà divorcer. Mais j’avais peur des réactions, de me retrouver mise au ban. Sur Internet, je lisais que c’était haram, que c’était mal de se plaindre, qu’une femme ne devait pas critiquer son mari. Je ne me sentais même pas le droit d’en parler autour de moi. Puis je me suis rapidement retrouvée enceinte et j’ai été plusieurs fois hospitalisée pour mes vomissements ; dès que mon état de santé s’améliorait, je retournais dans ma prison. J’étais très renfermée, repliée sur moi-même. J’étais si faible que je ne pouvais plus bouger, ce qui ne l’empêchait pas d’abuser de moi. Tantôt il me traitait de comédienne, tantôt il me disait que j’irais au paradis puisque que c’était la volonté de Dieu.

«J’ai commencé à recevoir des SMS qui disaient que j’étais une mauvaise musulmane et que j’irais en enfer»

Vous n’avez pas trouvé de soutien dans la communauté?
Aucun. Et lorsque ma mère m’a recueillie après ma dernière hospitalisation, les femmes des amis de mon mari m’appelaient pour me convaincre de retourner auprès de lui. Elles me disaient que plus une femme est éprouvée, plus elle sera récompensée. Ensuite, j’ai commencé à recevoir des SMS qui disaient que j’étais une mauvaise musulmane et que j’irais en enfer. À un moment, mes parents ont fini par couper mon téléphone.

Les spécialistes comparent la radicalisation à l’emprise d’une secte. Est-il aussi compliqué de s’en extraire?
Pas plus tard que le mois dernier, d’anciennes copines portant le jilbeb sont venues frapper à ma porte : “Il paraît que tu as enlevé ton voile, que tu as brûlé des livres religieux et que tu couches avec des hommes?” Je leur ai répondu que je ne portais plus le voile mais que tout le reste, c’était n’importe quoi! Je me retrouve encore à rendre des comptes. Le plus incroyable, c’est qu’on m’appelle encore pour me présenter des hommes à marier!

«Aujourd’hui encore, je vomis lorsque je sens une odeur qui me rappelle mon calvaire»

Vous avez gardé des séquelles?
Lorsque je suis sortie de là, je ne supportais plus la foule, le bruit. Quand mon père m’a emmenée au supermarché, j’ai été prise d’étourdissements et de suées. Aujourd’hui encore, je vomis lorsque je sens une odeur qui me rappelle mon calvaire. À force d’avoir vécu dans une maison morte sans télévision, sans radio, sans roman, sans personne, j’ai perdu l’habitude de parler et d’écrire. J’avais l’impression parfois que j’allais devenir folle. Aujourd’hui, je sais que je suis capable de regarder un plafond pendant des jours et des jours.

Comment voyez-vous l’avenir?
J’aimerais partir dans une autre ville mais je suis coincée ici, financièrement. Je cherche un travail. Ce n’est pas simple car j’ai arrêté mon métier. Je suis seule dans mes démarches. D’ailleurs, il n’y a toujours pas de jurisprudence pour cette emprise sectaire islamique?! Je me bats aussi pour mon fils, qui n’a que quelques mois. Il m’a donné la force de me relever. Je savais quelle vie l’attendait?: pas de jouets, pas de cantine, pas de dessins… Une vie cloîtrée?! Ce n’était pas concevable. Mon fils m’a sauvée. Sans lui, je ne serais déjà plus là. Et aujourd’hui, après avoir été tellement trompée, qu’on ne me parle plus de religion?!

*Radicalisation (Éd. de la Maison des sciences de l’homme)

Christel De Taddeo – Le Journal du Dimanche

dimanche 15 février 2015

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Les mariages islamo-chrétiens sont à déconseiller, selon feu le roi du Maroc, Hassan II.